Cours d’économie industrielle avec les Tontons flingueurs

Autant que la scène de la péniche du film les Tontons flingueurs, qui constitue un cours appliqué d’économie, les dialogues de la célèbre scène dite de la cuisine méritent  aussi d’être considérés comme une excellente introduction à l’économie industrielle en ce que les leçons de Lautner et Audiard sont loin d’être ennuyeuses, parfaitement documentées et ancrées dans la réalité, une réalité qui constitue le seul horizon digne d’intérêt de l’économie.

Souvenons-nous du slogan électoral de Bill Clinton en 1992, inventé par son directeur de campagne : It’s the economy, Stupid !, traduit en français par l’expression, C’est l’économie, Idiot! Quand on suit les contorsions d’experts destinées à expliquer pourquoi les résultats économiques sont à mille lieux des prévisions, au lieu de couper le son, on devrait plutôt leur balancer ce formidable slogan pour qu’ils cessent chaque mois de converser sur une hypothétique inversion de la courbe du chômage, l’aggravation du déficit et l’explosion de la dette publique, discussions qui ne changent en rien la situation des personnes prises au piège de ce scandale quarantenaire en France.

Tout autant la science économique est par nature complexe lorsqu’il s’agit de traiter des données statistiques par milliers, millions ou milliards d’euros ou de biens, tout autant l’économie est une chose simple qui peut se résumer en une image, celle du « panier de la ménagère ». Ce panier peut appartenir à une entreprise ou à l’Etat, peu importe les acteurs économiques, à la fin ce qui compte, c’est « ce qui rentre et ce qui sort », la situation de trésorerie déterminant les possibilités de consommer ou d’investir en puisant dans l’épargne, ou en s’endettant auprès des acteurs financiers.

Le génie d’Audiard n’est pas simplement de faire des bons mots. C’est aussi de rendre accessible et compréhensible ce qui est invisible : le marché. Là où les économistes passent des années à écrire des traités d’économie ou de finance, en quelques mots concrets Audiard nous décrit d’innombrables mécanismes économiques qui échappent à l’entendement du plus grand nombre.

Prenons l’exemple de la production de Jo le Trembleur décrite dans la scène de la cuisine par maître Folace interprété par Francis Blanche :

Maître Folace : Et … Et … Et … 50 kilos de patates, un sac de sciure de bois, il te sortait 25 litres de 3 étoiles à l'alambic ; un vrai magicien Jo. Et c'est pour ça que je me permets d'intimer l'ordre à certains salisseurs de mémoire qu'ils feraient mieux de fermer leur claque-merde !
Paul Volfoni : Vous avez beau dire, y a pas seulement que d'la pomme… y'a autre chose… ça serait pas des fois de la betterave ? Hein ?
Monsieur Fernand : Si, y en a aussi !

Dans ce court dialogue, Michel Audiard met en évidence l’un des ressorts fondamentaux de l’économie  : l’importance du secret dans la production et les affaires, avec les conséquences juridiques qui en découlent, par exemple, en matière de protection des brevets d’invention ou des marques. En matière de production, il n’y a pas de différence de statut hors le goût entre « la limonade » de Jo le Trembleur et celle d’un producteur de sodas comme Coca Cola. C’est affaire de « magicien » dans les deux cas, et de secret bien gardé. Pour Jo le Trembleur, tout est dans la betterave, pour Coca, dans une formule plus que centenaire, inventée par un « medecine man » du siècle dernier.

Autre enseignement tiré des dialogues d’Audiard : les effets bénéfiques ou désastreux issus de la maîtrise ou de l’absence de maîtrise des processus industriels et des chaînes de production. Dans le premier cas, l’adaptation de la production sous l’Occupation permet à Jo le Trembleur d’atteindre des objectifs de vente au-delà de toute espérance, au point de décimer toute une division de panzers avec sa « limonade » :

Maître Folace : D'accord, d'accord, je dis pas qu'à la fin de sa vie Jo Le Trembleur il avait pas un peu baissé. Mais n'empêche que pendant les années terribles, sous l'occup', il butait à tout va. Il a quand même décimé toute une division de Panzers.
Raoul Volfoni : Ah ? Il était dans les chars ?
Maître Folace : Non, dans la limonade, sois à c'qu'on t'dit !
Raoul Volfoni : J'ai plus ma tête ! J'ai plus ma tête !

La réussite industrielle s’accompagne en effet de l’obligation absolue de maîtriser les risques, sauf à engendrer des désastres industriels qui peuvent mettre en péril l’entreprise comme en témoignent encore les activités de Jo le Trembleur .

Maître Folace : Touche pas au grisby, salope !
Paul Volfoni : L'alcool à c't'âge-là !
Monsieur Fernand : Non mais c'est un scandale hein ?
Raoul Volfoni : Nous par contre, on est des adultes, on pourrait peut-être s'en faire un petit ? Hein?
Monsieur Fernand : Ça... le fait est... Maître Folace ?
Maître Folace : Seulement, le tout-venant a été piraté par les mômes. Qu'est ce qu'on fait ? on se risque sur le bizarre ?... Ça va rajeunir personne. (Il sort la bouteille)
Raoul Volfoni : Ben nous voilà sauvés.
Maître Folace
: Sauvés... Faut voir !
Jean : Tiens, vous avez sorti le vitriol ?
Paul Volfoni : Pourquoi vous dites ça ?
Maître Folace
: Eh !
Paul Volfoni
: Il a pourtant un air honnête.
Monsieur Fernand
: Sans être franchement malhonnête, au premier abord, comme ça, il… a l'air assez curieux.
Maître Folace
: Il date du Mexicain, du temps des grandes heures,seulement on a dû arrêter la fabrication, y'a des clients qui devenaient aveugles. Alors, ça faisait des histoires !

Il n’y a pas que les producteurs d’alcool frelaté qui transforment un breuvage innocent en « vitriol » à l’air honnête qui sans être franchement malhonnête au premier abord, est curieux au point d’obliger les producteurs à arrêter la fabrication car les clients devenaient aveugles. C’est le lot d’innombrables entreprises de fabrication , au premier rang desquelles les sociétés alimentaires ou pharmaceutiques dont il arrive pour ces dernières que leurs médicaments fassent plus que des « histoires », comme provoquer des morts ou des malformations en grand nombre.

D’une certaine façon les activités clandestines de production de « jus de pommes » se révèlent plus légales et morales que celles d’innombrables entreprises qui derrière leurs façades éthiques n’hésitent pas à se vautrer dans les turpitudes les plus retorses au point de monter des stratagèmes de triche à grande échelle qui les conduisent au désastre industriel. « Das Auto » Volkswagen et ses consorts sont un exemple ahurissant en matière de contournement des règles environnementales. Le premier constructeur automobile mondial n’est pas la seule société à avoir dérapé en empruntant une stratégie industrielle d’économies de bouts de chandelle qui a eu pour conséquence de transformer des perspectives de milliards d’euros de profit en dizaines de milliards de pertes colossales.

Les Tontons Flingueurs (France 2) : les petits secrets de la scène mythique  de la beuverie

Séance de brain-storming après essai d’échantillons

On ne compte plus les entreprises ayant connu des accidents industriels aux conséquences catastrophiques, comme Samsung avec les batteries de son dernier-né, le Galaxy 7, Perrier au goût de Benzène, le naufrage de super-pétroliers transportant le « brut » de Total, ou la corruption à l’échelle d’un continent par Elf la naufragée, qui sont autant d’événements  ayant fait des histoires pour reprendre le vocabulaire d’Audiard. Ces désastres résultent de choix industriels plus ou moins maîtrisés, mais aussi parfois entièrement assumés par des dirigeants beaucoup moins scrupuleux que le Mexicain et ses acolytes qui ont l’excuse de la clandestinité assumée.

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Autre leçon donnée par Audiard dans ces brefs dialogues portant sur les secrets de fabrication et la maîtrise des risques industriels, le rôle essentiel de la « marque de fabrique » dans toute entreprise. Un produit ou un service doivent être reconnus entre mille, d’où cette concurrence effrénée pour imposer une marque, une image, un style, un logo, avec à la clef des budgets de promotion et publicité gigantesques pour les multinationales. Jusqu’à certains mots tels que grisbi peuvent devenir la signature d’une époque !

  

Cette identification d’un produit à une marque de fabrique, Audiard va l’appliquer à ses propres activités de scénariste pour atteindre une renommée considérable en ayant un style reconnaissable entre tous. Audiard ne fait pas seulement rire avec ses dialogues. Il a le don de créer des personnages virtuels ancrés dans un simple surnom. On ne voit pas Lulu la Nantaise, mais on l’imagine bien, de même que Jo le Trembleur, Lucien le Cheval ou Teddy de Montréal, le fondu qui travaillait qu’à la dynamite.

On a même retrouvé Lulu la Nantaise à Nantes où un restaurant a été ouvert à son nom!

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les fabricants de parfum ne font rien d’autre lorsqu’ils détournent des mots, expression ou sonorités comme Opium, Allure ou Coco. On compte aujourd’hui pas moins de mille marques de parfums, phénoménal parcours  depuis les débuts de la Renaissance et la création de l’eau d’Hongrie qui serait, selon la légende, la première eau merveilleuse reçue des mains d’un ange par Elisabeth de Pologne pour sauvegarder sa beauté.

Entre le secret des affaires, les accidents industriels ou l’importance de la marque, Audiard nous enseigne que la route est étroite, le chemin long et la pente rude pour les industriels qu’ils soient grands ou petits. Certes, l’absence de scrupule dans les affaires peut conduire les entrepreneurs à leur perte. Mais quand les clients deviennent aveugles, c’est toute la société qui trinque !

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Trinquons à la santé de l’industrie française !

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