Sephora évoque aujourd’hui dans le public plus une enseigne de produits de beauté que l’épouse de Moïse. Si celui-ci prend une place retentissante dans la Bible puisqu’il lui revient de recevoir de Dieu les Tables de la Loi sur le mont Sinaï, sa femme Séphora demeure largement méconnue, alors même qu’elle lui donna deux fils et renouvela le rite de la circoncision en jetant le prépuce de son fils aux pieds de Moïse pour sauver son époux de sang, que l’Eternel voulait faire mourir. Elle est cependant l’objet d’une controverse en matière d’interprétation biblique, deux thèses s’affrontant pour déterminer si Moïse eut ou non une coépouse, et donc fut monogame ou bigame. Mais là n’est pas notre propos, voici trois mille ans que l’incertitude demeure sans mettre en péril nos existences.
Bien que la Bible fut longtemps une source intarissable d’inspiration picturale en Occident, Séphora en est cependant largement absente. Elle figure pourtant par deux fois sur les murs de la Chapelle sixtine. Elle apparaît une première fois dans la fresque que Sandro Botticelli consacre à la jeunesse de Moïse.Voici ce que nous dit l’encyclopédie BSEditions en accès libre sur l’internet : Cette composition (1481-1482) relate différents événements de la vie de Moïse d’après le récit de l’Exode (Exode II ; III, 1-6 et XIII-XIV). Botticelli intègre habilement sept épisodes de la vie du jeune Moïse dans le paysage, en utilisant des diagonales. Les 7 scènes représentées doivent être lues de droite à gauche :
- Moïse tue l’Egyptien qui avait maltraité un Hébreu ;
- Moïse s’enfuit au pays de Madian ;
- Moïse protège les filles de Jéthro de bergers malveillants ;
- Moïse aide les filles de Jéthro à abreuver leur troupeau ;
- Moïse fait paître le troupeau de son beau père Jéthro ;
- Moïse retire ses sandales et se prosterne devant le buisson ardent ;
- Moïse conduit les Hébreux vers la mer Rouge.
Séphora y figure donc en tant que l’une des deux filles de Jethro, le prêtre du pays de Madian auprès de qui Moïse demeura un temps. Il n’y eut pas que Moïse qui succomba à la beauté de Séphora. Marcel Proust tomba aussi sous le charme happé par Botticelli, au point qu’il l’évoquera dans Un amour de Swann, par la bouche de Charles Swann.
Toujours sur les murs de la Chapelle sixtine, dans le Retour en Egypte de Moïse, le Perugin fait de son côté oeuvre pédagogique en représentant Séphora pratiquant la circoncision de son fils Eliezer. La fresque est datée de 1482. Voici ce que nous dit encore l’encyclopédie BSEditions : Le thème de cette composition a rarement été développé en peinture et fait référence à l’épisode (Exode, IV, 18-26) où Moïse, en exil au «pays de Madian», prend congé de son beau-père qui l’a recueilli et dont il a épousé la fille, Séphora. Dieu l’a en effet sollicité pour retourner en Egypte afin d’y délivrer le peuple d’Israël (scène centrale).
L’encyclopédie poursuit : Au premier plan, à gauche une scène raconte l’épisode le la rencontre entre Moïse et l’ange envoyé pour le punir de ne pas avoir circoncis son second fils et à droite, la scène de la circoncision d’Eliezer, ce même fils. La fresque qui lui fait face est celle du Baptême du Christ, réalisés par les mêmes peintres. Ainsi les deux fresques veulent montrer combien la nouvelle religion inaugurée par le baptême du Christ est plus profonde et plus spirituelle que la religion juive. Selon saint Augustin et de nombreux Pères de l’Église, le baptême est en effet préfiguré par la circoncision, et est lui-même perçu comme une « une circoncision spirituelle. »
Jethro ramène Séphora et ses deux fils à Moïse, marc Chagall
Oublions circoncision et baptême, car là, une fois de plus, n’est pas notre propos. Rites, enseignements bibliques et théologie, depuis trois mille ans demeurent affaires irrésolues, sans perspective de mettre un terme à ces querelles de quenouille à défaut de clochers ; reprenons nos recherches picturales : il faut attendre presque cinq siècles pour retrouver une représentation de Séphora et Moïse par un artiste majeur, en l’occurrence Marc Chagall pour qui la Bible fut une source infinie d’inspiration, maîtrisant tous ses mystères par la peinture, le dessin ou le vitrail.
Moïse et Sephora, Marc Chagall 1956
Mais entre les fresques de la Chapelle sixtine et les dessins de Marc Chagall, il est un autre peintre qui s’est intéressé à la femme de Moïse. Il s’agit de Jacob Jordaens, né catholique et mort protestant. En 1640, il dresse un portrait fort différent des représentations de Séphora sur les murs de la Chapelle sixtine. Voici le Flamand la figurant sous les traits d’une Ethiopienne, c’est à dire d’une Africaine, le terme éthiopien englobant alors l’ensemble des Africains, les peuples de peau noire. On peut voir ce tableau dans la maison de Rubens transformée en musée à Anvers, preuve s’il en est qu’il s’agit d’un tableau de maître : on n’imagine pas Rubens collectionner des toiles de second rang, ce serait lui faire injure.
Jordaens avec ses contemporains Rubens et van Dyck est considéré comme l’un des trois grands peintres flamands au dix-septième siècle, et à juste titre. Il nous a légué des oeuvres d’un grand classicisme digne de Vélasquez, tel cet autoportrait avec sa femme et sa fille, visible au musée du Prado à Madrid.
Les représentations de femme noire dans l’art occidental sont rares. Pourquoi Jordaens s’éloignerait-il sans justification des canons habituels de la peinture, s’égarant au point de ne pas figurer une femme avec une peau blanche à la manière de Boticelli lorsqu’il peint les filles de Jethro sur les murs de la Chapelle sixtine ? La raison en est probablement simple. Protestant, il ne manque pas de lire la Bible, découvrant que Séphora, d’origine madianite, était vraisemblablement de peau noire, une Ethiopienne, comme en témoigne le passage suivant se trouvant dans Habacuc, 3-7 : Je vois dans la détresse les tentes de l’Ethiopie, Et les tentes du pays de Madian sont dans l’épouvante. Il suffit alors de lire les trois passages de l’Exode et celui des Nombres, dans lesquels sont évoqués la femme de Moïse pour que tout s’éclaire, Séphora ne pourrait être que noire (voir les passages de la Bible en fin de chronique).
Nécropole koushiste à Sédeinga, au nord du Soudan, dans l’ancienne Nubie
En vérité, aujourd’hui, il est de peu d’importance que Séphora soit noire ou blanche, et même épouse ou coépouse, à l’heure où une petite Barbadienne comme Rihanna peut conquérir le monde en chansons ou avec des trousses de maquillage destinées aux peaux de toutes les couleurs, si loin de temps pas si anciens où les artifices de la beauté étaient exclusivement réservés aux femmes blanches, jusque dans les publicités des magazines. Les temps ont changé. A l’heure où l’empire Koushiste qui a vécu plus d’un millénaire, resurgit des sables du désert nubien en trente-cinq pyramides redécouvertes voici peu, il nous revient de proposer une terre humaine renonçant aux illusions conservatrices de l’ethnocentrisme destructeur pour adopter le koushisme en public, à l’exemple des familles vivant dans l’indifférence de la couleur de peau.
Route de l’Exode selon la tradition
Koushite qui signifierait « à la couleur de peau noire » proviendrait d’une racine hébraïque signifiant « sombre » comme les nomades madianites originaires du nord de la péninsule arabe. Habitués aux échanges commerciaux et culturels, il pouvait se trouver dans une même famille, des personnes de type sémite ou de type noir africain. A l’image de la famille de Séphora et Moïse dont l’un des fils fut appelé Guershom car habitant un pays étranger et l’autre Eliezer, au souvenir que Moïse fut voyageur sur la terre, chacun d’entre nous, en réalité, ne fait qu’habiter un pays étranger et n’être qu’un voyageur sur la terre. Ce qui nous permet d’affirmer que les migrants sont nos époux de sang.
Nécropole koushiste de Sedeinga où 35 pyramides ont été découvertes depuis 2009.
Un mystère demeure cependant. Il est régulièrement évoqué ci-et-là l’hypothèse que la sépulture de Séphora serait à Tibériade au tombeau des Matriarches, qui se trouve en fait à Hébron et qui ne regrouperait pourtant que les quatre sépultures de Sarah, la femme d’Abraham, celle de Rebecca, l’épouse d’Isaac, ainsi que de Rachel et Léa, les femmes de Jacob. Peu importe ! On imagine bien volontiers que la sépulture de Séphora se trouve plutôt dans les coeurs des « Ethiopiens » et plus particulièrement des Juifs éthiopiens sauvés comme Moïse non des eaux mais de la Terreur rouge à la fin du siècle dernier. Ils doivent la vénérer avec ardeur, ce qui ne serait que justice au souvenir de ce que les femmes noires ont enduré depuis des siècles, et continuent d’endurer. La réussite de Beyonce ou de Rihanna ne doit pas nous faire oublier comme la vie est difficile pour le plus grand nombre des femmes noires sur cette terre, à mille lieux des vains débats médiatiques de nos nouvelles femmes savantes, sans espoir qu’un Molière leur règle leurs comptes.
Moïse sauvé des eaux, par Nicolas Poussin, 1651, National Gallery, Londres
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La femme éthiopienne n’était pas noire. Elle était blanche.
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