S’il est un ordre auquel l’auteur virtuel souhaiterait appartenir, c’est bien celui du Croissant qui n’est pourtant pas un hommage mérité au génie français de la pâtisserie ou la reconnaissance sultanesque d’un fait d’armes ottoman, encore que Sélim III organisa en 1801 un ordre du Croissant hiérachisé destiné aux diplomates et militaires étrangers.
Médaille figurative de l’ordre du croissant constitué par le sultan ottoman Selim III
L’ordre du Croissant ici évoqué est celui fondé en 1448 par le roi René d’Anjou, roi de Naples, roi titulaire de Jérusalem, roi titulaire de Sicile et d’Aragon, duc d’Anjou, duc consort de Lorraine et duc de Bar, comte de Provence et de Forcalquier, marquis de Pont-à-Mousson, Pair de France et sénateur du Croissant, soit autant de titres dynastiques qui firent du Bon Roi René comme il était appelé par ses sujets, l’un des souverains les plus puissants d’Europe, d’autant plus illustre qu’il exerça le pouvoir avec sagesse, prudence et discernement.
Statuts de l’ordre du Croissant fondé en 1448
L’ordre du Croissant est tout simplement un ordre de chevalerie français constitué pour la première fois par Charles d’Anjou, frère de Louis IX roi de France, à Messine en Sicile, en 1268, pour honorer ceux qui contribuèrent à sa victoire lors de la bataille du lac Ficin face aux troupes de Corandin, petit-fils de l’empereur romain Frédéric II de Hohenstaufen, roi de Germanie, roi de Sicile et roi de Jérusalem. Le roi de France Jean le Bon lui ayant substitué ultérieurement l’Ordre de l’Etoile, ce premier ordre du Croissant tomba en désuétude.
Armorial de l’ordre du Croissant, XVème siècle, manuscrit français de 65 feuillets aux armes de saint Victor
C’est le 11 avril 1448 que le Roi René fonda le second ordre du Croissant, dédié à Saint Maurice d’Agaune, qui fut massacré ainsi que toute la légion thébaine qu’il commandait pour avoir refusé d’obéir aux ordres de persécution des Chrétiens du Valais, donnés par l’empereur romain Maximien.
Saint Maurice d’Agaune, soldat égyptien de Thèbes, aux traits africains soulignés
Dans le canton du valais en Suisse, on peut aujourd’hui visiter l’une des plus anciennes abbayes d’Europe, fondée en 515 par le futur roi Burgonde Saint Sigismond pour honorer sur le site même d’un ancien sanctuaire dédié à la mémoire de Saint Maurice d’Agaune par le premier évêque du Valais, Théodore. Il s’y trouve un trésor éblouissant auquel le musée du Louvre consacra une exposition au printemps 2014.
La collection comprend notamment un reliquaire de la période mérovingienne, datant de 700 environ, ainsi qu’un vase dit de saint martin datant du VIème siècle et une aiguière dite de Charlemagne datant du IXème siècle.
La Toison d’orde son côté, est l’ordre de chevalerie espagnol créé quelques années plus tôt à Bruges en 1430 par Philippe le Bon duc de Bourgogne ; il servit de référence à l’ordre du Croissant , sans que ce dernier cependant rencontrât le même succès que son alter ego ibérique. L’ordre de la Toison d’or qui se transmettait par les hommes, fut repris à son compte par Charles le téméraire, successeur de Philippe le Bon, puis après la mort de ce dernier à la bataille de Nancy en 1477, par Maximilien d’Habsbourg qui le transmit à l’empereur Charles Quint qui fixa le nombre des chevaliers de la Toison d’Or à 51. l’ordre de la Toison d’or est toujours décerné par l’Espagne, la France en reconnaissant le port licite sous couvert d’une autorisation décernée par la Chancellerie de la légion d’honneur.
Le grand armorial de la Toison d’or par Jehan de Créquy, Bruges, 1468
Le nombre des chevaliers de l’ordre du croissant fut fixé à trente-six par le Roi René, qui portaient un manteau de velours rouge doublé de satin blanc, sur lequel au côté droit était cousue la devise de l’ordre : Los en croissant, ce qui sous-entend en vieux français : augmentez en vertus et vous serez loués. Parmi les membres célèbres de l’ordre, on peut citer le duc de Milan et condottiere Francesco Sforza ou le comte de Lorraine Ferry II.
Armorial de l’ordre du Croissant, XVème siècle, manuscrit français de 65 feuillets
Une seule exigence primait pouvdevenir membre de l’ordre, avoir ses quatre quartiers de noblesse, et donc être duc, prince, marquis, comte, vicomte ou issu d’ancienne chevalerie, et gentilhomme de ses quatre lignées, et que sa personne fut sans vilain cas de reproche, sans oublier évidemment quêtre chevalier signifiat batailler.
Le collier de l’ordre constitué de trois chaînes d’or et de trois chaînettes d’or auxquelles était suspendu un croissant d’or permettait en effet d’apprécier le courage et la vertu des chevaliers au nombre des ferrets d’aiguillettes d’or qui figuraient chacuns une participation à une bataille ou un siège.
Armorial de l’ordre du Croissant, XVème siècle, manuscrit français de 65 feuillets
L’ordre du Croissant ne survécut pas à son créateur. Une bulle du pape Paul II y mit un terme en 1460. Ce qui n’empêcha pas le croissant de partir à la conquète du monde sous sa forme culinaire, dans les années qui suivirent. car n’en déplaise aux Autrichiens ce ne sont pasles deux patissiers autrichiens Zang et Schwarzer qui en firent la renommée à partir de la boulangerie viennoise du 92 rue de Richelieu à Paris au milieu du dix-neuvième siècle, pas plus que le siège de Vienne par l’armée turque en 1683 ne l’aurait popularisé auprès des troupes et de la population autrichiennes à partir d’un gâteau sucré ottoman.
Boulangerie viennoise du 92 rue de Richelieu où l’ancien officier d’artillerie autrichien Zang prétend avoir donné naissance au croissant qu’il servait dans le salon de thé d’à côté. Il semble plutôt avoir servi du pain grillé Jacquet comme en témoigne la photo.
On retrouve en fait dans les archives culinaires du royaume de France une première trace de la réalisation de « quarante gâteaux en croissant » à un banquet offert par la reine de France en 1549. Quant au croisant feuilleté au beurre, son invention ne daterait que des années 1920 et serait indéniablement parisienne, preuve frréfutable que si le diable peut se glisser dans les détails pour nous y perdre, le génie lui se retrouve dans les miettes pour nous laisser sur notre faim, autre proverbe de l’auteur virtuel.
La civilisation du croissant feuilleté pur beurre a de beaux jours devant elle, encore que la France est le seul pays au monde à avoir coupé la tête d’une reine, certes autrichienne, Marie-Antoinette, pour avoir proposé de manger de la brioche à ceux qui réclamaient du pain !
La Brioche, tableau de Jean-Baptiste Siméon Chardin, 1763, musée du Louvre, Paris