Que faisons-nous de notre vie ? J’entome la banquise

The Cliffs of Etretat, France - 50 Of The Most Beautiful Places in the World (Part 5)

L’avenir des falaises d’Etretat devient incertain en ce nouveau millénaire : il ne restera bientôt plus que leur souvenir ou bien, lire ou relire l’Aiguille creuse de Maurice Leblanc ou encore, la correspondance de Maupassant, sans oublier un détour du côté des peintres réalistes ou impressionnistes.

Dans un précédent article consacré à ce que nous faisons de notre vie, il a été souligné comme nos vies sont bien remplies, consacrées à tout instant depuis quarante ans à creuser le déficit. Et pourtant, nous nous employons bien plus et depuis bien plus longtemps, à entomer la banquise, on pourrait dire entamer, ou mieux, attaquer la falaise, s’il n’y avait ce titre d’un film épouvantable qui empêche d’employer l’expression. Ce n’est pas tant que ce film dans lequel ont joué Bernadette Laffont et Michel Galabru soit nullissime, ce n’est pas le premier et ce ne sera pas le dernier, c’est que l’information qu’elle contient n’est plus à l’ordre du jour : plus personne n’attaque la falaise à la rame, c’est désormais au hors-bord ou au jet-ski que l’on s’en prend aux côtes. Et comme dirait Rimbaud : Je m’explique, Je m’évade !

Nous qui prétendons incarner l’empathie, l’éthique et l’exemplarité, passons sous silence que le seul fait d’exister nous rend détestable. Il suffit de respirer pour que nous rejetions du carbone dans l’atmosphère. C’est ennuyeux. Certes, notre participation respiratoire est proportionnellement moindre qu’il y a cent ans puisque nous sommes désormais huit milliards d’habitants au lieu de deux milliards, mais il n’empêche que la quantité individuelle de rejet physiologique de carbone est stable dès lors que nous sommes en vie. Et pourtant, plus nous vieillissons et plus nous restons sur terre, plus les rejets personnels de carbone augmentent avec nos mode de vie de plus en plus matérialistes: ce qui nous attend dans ce domaine comme dirait Céline, c’est Mort à crédit, côté atmosphère.

Men Ruz, Côte de Granite Rose, Bretagne (Men Ruz, Pink Granite Coast, French Brittany, France)

L’avenir n’est plus très rose pour la côte de granit rose située en Bretagne entre Perros-Guirrec et Trébeurden

Passe encore de respirer, c’est difficile de ne pas le faire. On peut retenir sa respiration comme Pépé, le fils de Soupalognon Y Crouton dans Astérix en Hispanie, mais il arrive un moment où le principe de réalité s’impose. C’est justement l’exemple de la soupe à l’oignon qui démontre à quel point nous « entomons » la banquise. Autrefois, il suffisait de laisser bouillonner dans une casserole sur la cuisinière qui servait aussi de poêle pour réchauffer toute la maison, un peu d’huile, un peu de vin blanc et de la farine mélangée aux oignons pelés et émincés, et de servir le tout dans un bol au fond duquel était disposé du pain grillé sur lequel était déposé un morceau de comté émietté. Et l’affaire était jouée. Aujourd’hui, on achète des sachets sous vide déposées au frigo ou au congélateur et qui sont réchauffés plus tard au micro-onde, cela semble facile et simple, mais c’est la banquise qui fond pendant ce temps !

Ce week-end, on s'échappe et on part aux CINQUE TERRE ! Des villages accrochés aux rochers, sur des falaises abruptes qui plongent dans la mer Méditerranée…Vous allez adorer. http://pausecopines.com/bonplanvoyage/escapade-en-cinque-terre/

Le petit paradis des Cinque Terre en Ligurie (Italie du Nord) n’avait pas véritablement prévu le réchauffement climatique. Nous non plus.

Car ce que nous faisons le mieux dans notre vie aujourd’hui, c’est d’aggraver lourdement notre empreinte carbone. Volontairement ou non nous sommes tous devenus des champions. A chaque instant, à chaque pas, à chaque action, on alourdit notre empreinte lointaine dans le permafrost sibérien qui dégèle et libère des virus géants, bonjour l’ambiance dans le métro quand quelqu’un tousse.

Cap Blanc-Nez - FRANCE -Falaises spectaculaires de craie et terres agricoles du cap Blanc Nez sur la Manche - See more at: http://www.hunt-a-home.fr/guide-des-regions-francaises/nord-pas-de-calais.php#sthash.n257dt2U.dpuf

Au cap Blanc Nez, dans le Nord, les terres agricoles sont régulièrement redessinées à la craie

Voilà quarante ans, on était de bonne foi. On ajoutait une bûche l’hiver dans le feu de cheminée, on ignorait que les particules dévastaient l’atmosphère, il est vrai qu’on appelait alors ces particules élémentaires des cendres, cela changeait tout. Désormais pour être éthiquement exemplaire, les cheminées closes sont d’une grande tristesse pour les lecteurs auprès du bois qui éclate sous vide, on n’enfûme plus, on admire des flammes artificielles.

Pointe Saint-Mathieu, la majestueuse... | Finistère Bretagne #myfinistere:

A la pointe Saint Matthieu dans le Finistère, les ruines de l’abbaye n’ont qu’à bien se tenir, la mer monte, les tempêtes aussi.

Justement pour alimenter la cheminée, couper du bois est une activité exemplaire depuis que le film « Mais qu’est-ce qu’on a a fait au bon dieu… »  nous a rappelé qu’il n’y avait pas mieux pour passer ses nerfs que d’abattre un arbre de bonne circonférence. L’ennui est qu’il ne faut pas trop cogner. L’une de ces études savantes dont les chercheurs ont le secret, vient de dénombrer le nombre d’arbres sur la planète qui serait de l’ordre de trois mille milliards et non pas de quatre cent selon des estimations antérieures au coin du bois. Il n’empêche que depuis 12.000 ans, pour simplifier depuis l’apparition de Lucy et non de Big Foot,  la moitié des forêts aurait disparu en raison du développement des activités d’agriculture et d’élevage. Et pour poursuivre dans la dévastation, chaque année, 15 milliards d’arbres seraient abattus ou partiraient en fumée, sans compter les feux de forêt non maîtrisés en Russie ou Californie. A ce ryhtme, le stock personnel commence à sérieusement diminuer. Il est désormais de moins de 430 arbres, faut songer sérieusement à replanter avant de cogner dans sa propriété, surtout si ce sont les chênes centenaires qu’on abat. Et au rythme actuel de la  déforestation, on ne trouvera plus de feuilles d’arbres que dans les herbiers ou les poèmes de Walt Whitman.

De même,  autrefois, on roulait au diesel tout pourri dans des voitures qui ressemblaient à de lourds cercueils en acier, tandis qu’aujourd’hui c’est différent, on a le choix entre des 4X4, des SUV et autres monstres de la route :  la BMW, la Porsche et l’Audi sont devenues les nouvelles voitures du peuple sous contrôle d’ingénieurs qui les bardent de logiciels malins pour que nous soyons tous éthiquement exemplaires lorsqu’on se rend en Normandie, à la maison de campagne ramasser les feuilles d’automne.

50 vieilles publicités Volkswagen  50 vieilles publicités Volkswagen (Combi, Coccinelle…)  50 vieilles publicités Volkswagen:

Les ingénieurs poètes de Volkswagen ont toujours aimé surprendre et concevoir des voitures « allègres et puissantes », ayant « le chant des mécaniques parfaites »

Et si l’ennui nous guette, on peut toujours se rendre au bout du monde en avion pour une semaine à Bali ou en Thaïlande ; la Nouvelle-Zélande, les îles Galapagos ou la Terre de Feu nous sont devenues aussi familières que la pointe du Raz ou la côte des Basques, le bonheur est dans le low-cost et les voyages sans escale, les vapeurs de kérozène dans le ciel ne comptent pas dans notre empreinte carbone, c’est connu la stratosphère ne se trouve pas sur terre.

Aéropostale - Côte basque

Si le tourisme aérien ne date pas d’hier, la taille des avions et le nombre des rotations a changé

Comment pourrions-nous vivre d’ailleurs aujourd’hui, sans fraises ou des mangues à acheter au marché en toutes saisons? L’achat de fruits exotiques soutient l’économie équitable, éthique et exemplaire, à condition  de ne pas regarder le bilan carbone et la faillite des producteurs locaux de mirabelles, de reine-claudes et de noix, sans compter les châtaignes et les marrons qui ont disparu des étals mais s’échangent toujours aussi vivement dans les cours de récréation. Car le monde nous appartient, il n’est pas assez vaste sur notre table : que deviendrions-nous sans viande argentine et vin chilien dès lors que l’on ne confond pas côte de boeuf et Côte Rôtie ?

Sous peu, ce sont les vignobles de Côte Rôtie qui risquent de griller sous le soleil

D’ailleurs, il n’est pas un jour où les médias conseillent de manger du poisson pour rester en forme. Certes il n’était pas prévu de les nourrir de ces sacs en plastique dont on se débarrasse n’importe où et qui vont à la mer comme d’autres au bistro; et enfumer à la terrasse n’entre pas dans le bilan carbone, pas plus que les leçons de politesse qui disparaissent en volute. L’ennui avec le poisson, c’est qu’à force d’en manger, ils n’encombrent plus les fonds des mers et des océans, 40% de moins en trente ans, le saumon sauvage est un bien mauvais reproducteur et les baleines se cachent à l’eau difficilement pour échapper aux navires usines qui les traquent sur tous les océans. Le plus dommageable est que seuls les requins fréquentant des mers de plus en plus chaudes semblent apprécier les combinaisons de surf en néoprène surtout lorsque le col est doublé et la couture galonnée.

saumon sauvage

Toute notre vie est ainsi emprunte de carbone. On aura beau fuir les embouteillages et veiller scrupuleusement au tri sélectif, ne plus manger que des pommes et des poires, aller chercher des salades biologiques, celles-ci sont remplies de pesticides sans que nous le sachions. Autrefois, nous savions ce que nous faisions de notre vie, il était recommandé de cultiver son jardin, maintenant on se limite à un potager qui nous astreint  à trier les petits pois et écosser les haricots vers, le rosier grimpant n’y a plus sa place, il faut de la productivité partout.

La coccinelle de Gotlib

Quand les usines fument, les coccinelles trinquent

Et c’est ainsi que nuit et jour, nous entomons la banquise, du verbe entomer qui n’est plus guère prononcé que dans les îles de la Madeleine, dans le golfe du Saint-Laurent au Canada. Les 13.000 Madelinots, les habitants de cet archipel constitué d’une quinzaine d’îles, ont bien du souci à se faire à cause de nos habitudes de dangereux ivrognes polluant et mégotant. Deux-tiers des côtes des îles sont touchées par l’érosion, le niveau d’alerte approche. Les dunes sont menacées : la faute aux Américains, aux Chinois, aux Occidentaux, jamais aux conducteurs de grosses berlines ou des voyageurs low-cost, vous et nous pour simplifier, tous éthiquement responsables et écologiquement exemplaires à trier cartons et plastiques, verres et papiers, piles et cartouches avant de s’envoler à l’autre bout du monde pour changer d’atmosphère.

Raisons d'aller aux îles de la Madeleine:

les habitations des  îles de la Madeleine sont au niveau de la mer pour nombre d’entre elles

Le problème c’est que la dune n’attend pas. Aux îles de la Madeleine, le scénario le plus probable est que les côtes reculeront de 80 mètres pour les plages et de 38 mètres pour les falaises rocheuses selon un récent rapport scientifique. Certains jours de tempête majeure, les berges des côtes peuvent reculer de deux mètres en une fois, comme le 21 décembre 2010 ; et pour sauver la végétation des îles recouverte d’un quart de forêts, on envisage de planter des champignons micorhiziens, des organismes filamenteux qui associés aux plantes permettent à celles-ci de se développer.

Grosse Ile, Iles de la Madeleine, Quebec

Les plages de Grosse île, aux îles de la Madeleine au Québec, menacées de disparition d’ici 2050

Les îles de la Madeleine méritent pourtant d’être triplement sauvées. Leur découverte appartient à notre histoire, celle commune des Anglais et des Français qui explorèrent les premiers voilà quatre siècles ces îles et les peuplèrent ; leur parler est unique au point qu’un dictionnaire a été consacré à un dialecte savoureux qui mérite d’être sauvegardé ; et enfin, la nature y est splendide, elle-aussi unique comme souvent dans toutes ces îles à fleur d’eau salée, guettées par l’érosion qui menace plus que jamais.

Îles de la Madeleine

Les falaises des îles de la Madeleine dans le golfe du Saint-Laurent, menacées par l’érosion

C’est pour ces archipels, et toutes les autres îles du monde entier, qu’il est grand temps de se demander ce que nous faisons de notre vie, de prendre une résolution abrupte : j’arrête de polluer, j’attaque trop la falaise, la dune, la plage, je sauve la terre ferme.

Falaises de plage de la Dune du Sud, Îles de la Madeleine, Québec, Canada:

Falaise des plages de la dune du Sud, île de la Madeleine, Québec

En attendant, voici une adresse de site à consulter sur le sujet : Attention FragÎles, consacré à la sauvegarde des îles de la Madeleine.  http://www.attentionfragiles.org/fr/

Quant au Dictionnaire des régionalismes des îles de la Madeleine, il recense des mots et expressions de l’archipel que l’on retrouve en Acadie ou dans les provinces françaises d’où sont venus les premiers habitants de la Nouvelle-France ; ce dictionnaire nous rappelle que le français n’est pas une langue morte mais bien vivante et qu’elle possède des accents qui chantent dans le monde entier, tel le dialecte madelinot : https://fr.wikipedia.org/wiki/Dialecte_madelinot

iles de la madeleine

Un rocher d’une falaise des îles de la Madeleine résiste toujours et encore ; mais jusqu’à quand ?