L’esprit de l’Afrique

Si l’auteur virtuel consacre de nombreux articles à l’Afrique subsaharienne, c’est tout simplement qu’il a la conviction intime que l’avenir de la France se joue en Afrique et qu’il est temps, s’il n’est pas trop tard, de réduire les incompréhensions entre l’Europe et le continent africain. Non pas qu’il croit possible de réduire à lui seul les fractures entre les deux continents, mais si l’on ne tente pas, à sa modeste place, de le faire, alors qui le fera ?

Tanzanie Safari par Carine Penard

Comme on aborde intellectuellement l’Afrique, forcément on risque la banalité, le cliché ou la bourde, comme un ancien Président de la République française reprochant aux Africains de n’être pas assez entré dans l’histoire, ce qui est quand même un comble pour un continent qui a payé un lourd tribut à l’esclavage, pas moins de dix  à vingt millions de victimes, et dont les enfants ont essaimé de force, dans le monde entier, plus particulièrement en Amérique et dans les pays musulmans.

Lake Manyara, Tanzania: African Elephant -- by wanderlust traveler I wanna be where they are

Il est des propos tenus sur l »Afrique encore plus dramatiques tels ceux du président François Mitterrand affirmant que dans ces pays-là, un génocide ce n’est pas trop important pour qualifier celui perpétré au Rwanda par les Hutus extrémistes contre les Tutsis avec l’aide française, avant, pendant et après les tueries, et  qui furent à l’origine de 800.000 morts.  La tragédie toute récente arrivée au Kenya où 150 étudiants chrétiens ont été sélectionnés et assassinés par des terroristes d’origine somalienne, les shebabs, et le peu d’émotion internationale qu’elle a suscitée en comparaison des drames équivalents de Charlie Hebdo ou Tunis, témoigne qu’à l’aune universelle, la vie d’une personne africaine est regardée comme une valeur insignifiante, les standards internationaux en la matière étant largement faussés  par un racisme envers les noirs largement partagé par les Chinois, les Russes, les Arabes ou les Occidentaux.

Des éléphants au crépuscule - décor Tanzanien par Mark Lissick  www.trueafrica.fr

C’est pourquoi, nous Français, avons une responsabilité particulière du fait de notre longue histoire avec le continent africain, pour œuvrer au rapprochement fondé sur le respect mutuel entre l’Afrique subsaharienne et l’Europe. Et ce n’est pas qu’une question de liens historiques : pour mille raisons que nous évoquerons dans de prochains articles, l’Europe a un intérêt manifeste à favoriser l’émergence économique des pays africains dans le cadre d’une approche renouvelée d’un partenariat bien compris qui suppose que le développement africain s’accompagne de progrès démocratiques respectueux, des peuples, des populations et des personnes. Les exemples du Sénégal ou du Nigéria en témoignent, la démocratie en Afrique n’est pas une licorne invisible dont on serait à la recherche perpétuelle, la démocratie est l’avenir de l’Afrique, et l’Europe qui en a développé les concepts depuis plus de deux mille ans ne peut que se féliciter de cet enracinement.

Nothing But the Wax: ROAD TRIP EN TANZANIE ... Safari (fin) - Parc du TARANGUIRE

Eléphants d’un Parc national  de Tanzanie

Par où commencer cette traversée du continent africain ? L’auteur virtuel s’est souvenu d’un livre écrit voilà bientôt vingt ans par un journaliste polonais au nom improbable, Ryszard  Kapuscinski, du temps où ce pays était sous le joug soviétique. Ce grand reporter a sillonné le continent noir à compter de 1958 pendant quarante ans regroupant des récits dans un livre magnifique, Ebène, Aventures africaines, éditions Plon, vendu dans le monde entier en millions d’exemplaires, arrachant en France le Grand prix du livre étranger pour son écriture claire et limpide, se limitant à décrire des faits, des événements et rapporter des rencontres.  En voici les toutes dernières pages qui nous retracent l’esprit de  l’Afrique.

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Il y a quelques années, j’ai passé le réveillon de Noël au Parc national de Mikoumi, au fin fond de la Tanzanie. la soirée était chaude, calme, sans un brin de vent. Sur une clairière en pleine brousse, à la belle étoile, quelques tables étaient dressées avec des plats de poissons frits, de riz, de tomates, des bouteilles de pombe, la bière locale.

Pombe

Bière Pombe, brassée au Kenya

Des bougies, des lampions, des lampes étaient allumées. Il régnait une atmosphère agréable, détendue. Comme toujours quand c’est la fête en Afrique, les récits, les plaisanteries, les rires fusaient. Il y avait là des ministres du gouvernement tanzanien, des ambassadeurs, des généraux, des chefs de clan. Minuit passa. Soudain, j’ai senti derrière les tables éclairées une masse obscure et impénétrable s’approcher, se balancer et résonner. Le vacarme s’est soudain amplifié et dans notre dos, des profondeurs de la nuit, a émergé un éléphant.  J’ignore si mon lecteur s’est trouvé nez à nez avec un éléphant, non pas dans un zoo ou un cirque, mais dans la brousse africaine, dans le royaume de cet effroyable seigneur ! A sa vue, l’homme est pris de panique. Quand il est séparé du troupeau, l’éléphant solitaire est souvent un fauve devenu fou furieux, un prédateur déchaîné qui attaque les villages, piétine les cases, tue les hommes et le bétail.

L’éléphant est vraiment un animal énorme, il a un regard pénétrant, perçant et il est silencieux. Nous ne savons pas ce qui se passe dans sa tête puissante, ce qu’il va faire dans la seconde qui va suivre.

Il s’immobilisa un instant, puis se mit à passer entre les tables. Il régnait un silence de mort. Tout le monde restait assis, paralysé, pétrifié. Personne ne bougeait, car cela aurait pu déchaîner sa furie, et comme c’est un animal rapide, il aurait été impossible de lui échapper. D’un autre côté, en restant assis sans bouger, nous nous exposions à son attaque, risquions de périr écrasés par les pattes du colosse.

Notre éléphant déambulait, contemplait les tables dressées, les gens à moitié morts de peur.  D’après ses mouvements, le balancement de sa tête, on voyait qu’il hésitait, qu’il n’arrivait pas à prendre une décision. Cela n’en finissait plus, semblait durer une éternité. A un moment, je saisis son regard. Il nous fixait avec insistance, de ses yeux lugubres, figés.

Enfin, après un dernier tour de piste, l’éléphant nous a laissés. Il est parti et s’est fondu dans les ténèbres. Quand le martèlement de ses pas s’est tu et que l’obscurité s’est immobilisée, l’un des Tanzaniens assis à côté de moi m’a demandé :  » Tu as vu ? – Oui, ai-je répondu toujours à moitié mort de frayeur. C’était un éléphant. – Non a-t-il rétorqué. L’esprit de l’Afrique prend toujours la forme de l’éléphant. Car l’éléphant ne peut être vaincu par aucun animal. Ni par le lion, ni par le buffle, ni par le serpent. »

Dans le silence, tout le monde a regagné sa case. Les garçons ont éteint les lumières sur les tables. Il faisait encore nuit, mais le moment le plus éblouissant en Afrique approchait, le point du jour.

Sunset

Lever de soleil sur l’esprit de l’Afrique