… Et Louveciennes, soleil levant de l’impressionnisme

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La route de Versailles vers Rocquencourt, a bien changé depuis que Camille Pissarro en a fixé un paysage calme et lumineux à Louveciennes en 1870, autrefois dénommé Luciennes. Le peintre y résidait avant que la guerre avec la Prusse ne le décide à s’exiler en Angleterre, laissant un stock de toiles peintes que les soldats prussiens occupant sa demeure, utilisèrent pour paver le chemin de boue qui les menaient aux goguenots, au fond du jardin à gauche. Les guerres n’ont jamais fait bon ménage avec l’art.

En revanche, la faim et l’art sont parfois de bonne compagnie. En août 1869, pour qu’il puisse continuer de travailler, Claude Monet demande de lui envoyer des couleurs à son homologue Frédéric Bazille, qui tombera au champ d’honneur , le 28 novembre 1870 , à la bataille de Beaune-la-Rolande dans le Loiret. Monet réside alors à Bougival, ajoutant : « Renoir nous apporte du pain de chez lui pour que pour que nous ne crevions pas. Depuis huit jours pas de pain, pas de feu pour la cuisine, pas de lumière, c’est atroce. » Dans le même temps, n’ayant plus d’argent pour affranchir ses lettres, Renoir qui réside chez sa mère à Louveciennes,  écrit au même Bazille : « on ne bouffe pas tous les jours, seulement je suis tout de même content, parce que pour la peinture, Monet est une bonne société« .

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Les Bains de la Grenouillère, Claude Monet  été 1869

Pour être une bonne société de peinture dans le dénuement, Renoir et Monet vont alors le prouver en fréquentant la Grenouillère, un établissement de bains qui était aussi un restaurant à Croissy, situé sur les bords de Seine entre Bougival en amont, et Chatou en aval, où se trouvait la goguette la Fournaise, immortalisée plus tard par Renoir avec le célèbre Déjeuner des canotiers. Mais pour l’heure, à la Grenouillère, en cet été 1869, fixant baigneurs et barques sur le petit bras de la Seine, les deux peintres étudient les reflets et réverbérations  et vont s’intéresser aux conditions atmosphériques qui nuancent la coloration propre aux objets ou à chaque élément naturel et humain. Perfectionnant l’emploi de vifs coups de brosse pour capter les vibrations de l’eau et de la lumière et donner une impression de vie, les deux peintres vont dans une même communion de l’esprit, recourir aux points, virgules et traits pour que chaque motif puisse être perçu, sans une seule ligne précise, ensemble dans un seul mouvement, donnant naissance en ce lieu plus qu’ailleurs, à la peinture dite impressionniste.

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La Grenouillère, Pierre-Auguste Renoir, été 1869

Monet résumera curieusement à Bazille fin septembre 1870 ces études menées à la Grenouillère avec Renoir en écrivant : « Me voilà arrêté, faute de couleurs! … Si je pouvais travailler tout irait bien. Vous me dites que ce n’est ni cinquante francs, ni cent, qui me tireront d’affaires; c’est possible, mais à ce compte là, je n’ai plus qu’à me casser la tête contre les murs… J’ai bien un rêve, un tableau, les Bains de la Grenouillère, pour lequel j’ai fait quelques mauvaises pochades, mais c’est un rêve. Renoir qui vient de passer deux mois ici, veut aussi faire ce tableau.« 

Ces pochades de la Grenouillère réalisées par Monet et Renoir côte à côte, au nombre de six, valent aujourd’hui bien plus que cinquante ou cent francs. Elles sont toutes accrochées hors de France, dans les plus grands musées du monde en compagnie d’autres oeuvres de Sisley ou Pissarro qui ont aussi longtemps séjourné à Louveciennes pour y étudier la nature sans que cela devienne un but unique, au début d’un mouvement qui allait constituer la pléiade des impressionnistes. Renoir au soir de sa vie résumera ainsi l’affaire : « Comme c’est difficile de trouver exactement le point où doit s’arrêter dans un tableau l’imitation de la nature« , précisant : « S’il faut se garder de demeurer figés dans les formes dont nous avons hérité, il ne faut pas non plus, par amour du progrès, prétendre se détacher complètement des siècles qui nous ont précédés« , ajoutant encore : « la nature vous mène à l’isolement. Je veux rester dans le rang« .

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Les Bains de la Grenouillère, Pierre-Auguste Renoir, été 1869

Amie lectrice, ami lecteur, pour ne pas se détacher complètement des siècles qui nous ont précédés, il est possible cent cinquante ans plus tard de retrouver à Louveciennes, le chemin des Impressionnistes, au risque quotidien que tant l’amour du progrès que la nature ne nous mènent à l’isolement sans pour autant que la lumière et la beauté héritées de ces lieux  ne puisse nous échapper. Louveciennes, village, paysage et armada du Soleil levant de l’impressionnisme, est pour toujours gravé dans notre mémoire.

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Chemin des Impressionnistes à Louveciennes, château du Pont

Il existe même désormais des balades pédestres ou à vélo, qui  proposent ici un circuit Pissarro, là un circuit Renoir, autant de parcours destinés à entretenir l’illusion que le temps ne passe pas ou presque. C’est oublier que les bains de la Grenouillère partirent en fournaise en 1869, peu après que Monet et Renoir eurent joint leurs efforts pour que les badauds dans les musées ou lors d’expositions en gardent les traces plus sûrement que les cendres de l’incendie. Et puis, il y a longtemps que plus personne ne se baigne l’été dans la Seine en dehors des bouteilles en plastique que le temps emporte jusqu’à la mer quand l’hiver fut venu.

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Route de Louveciennes sous la neige, Alfred Sisley, 1874