Pour nous qui aimons le Normandie, ce n’est pas sans émotion que nous évoquons la traversée inaugurale du plus beau paquebot du monde qui quitta pour la première fois son port d’attache, le Havre, le 29 mai 1935. Ce jour-là, parmi les personnalités présentes, figurait l’épouse du président de la République, Marguerite Lebrun accompagnée de sa fille ainsi que le poète Blaise Cendrars et sa femme, qui avait écrit en 1912 les Pâques à New York :
Seigneur, je suis dans le quartier des bons voleurs,
Des vagabonds, des va-nu-pieds, des recéleurs…
Seigneur, la Banque illuminée est comme un coffre-fort,
Où s’est coagulé le Sang de votre mort….
Et parmi le Tout-paris qui se précipite à bord du Normandie, pour se rendre , se trouve la comédienne Valentine Tessier qui vient de triompher dans le film de Pierre Renoir Madame Bovary en jouant le rôle d’Emma, l’héroïne du célèbre romancier normand Gustave Flaubert.
Mais l’homme qui donne tout son éclat à cette traversée inaugurale n’est pas européen ou américain, c’est le maharadjah Jagatjit Singh of Kapurthala qui fait le bonheur de la presse pour savoir tenir son rang comme nul autre maharadjah.
Il voyage acccompagné de ses diamants, de ses voitures de luxe, de sa suite et de sa femme, la danseuse espagnole de flamenco Anita Delgado Briones dont il était tombé amoureux en 1906 lors du mariage du roi d’Espagne où il avait été invité et avait admiré celle-ci danser, alors qu’elle n’était âgée que de seize ans. Il lui fit la cour pendant deux ans, lui offrant un mariage princier inoubliable, arrivant perché sur un éléphant comme il se doit pour tout bon maharadjah. C’est autre chose que l’arrivée à cheval d’un picador, encore que cela peut avoir son effet sur la noce s’il est accompagné d’un taureau en liberté.
Nul ne peut savoir si le mariage privé fut heureux, mais d’un point de vue public, le mariage fut une grande réussite. La presse s’intéressa de près à la nouvelle vie de la maharani qui de son côté publia des mémoires à succès.
Il est vrai qu’Anita se prêtait au jeu au point de croire que certaines photographies ont été prises à Hollywood, bien avant la naissance de Bollywood !
Si la maharani se prête volontiers aux photos de famille, elle n’en abandonne pas pour autant ses chapeaux qui permettent de la reconnaître en toutes circonstances, au milieu des maharadjahs ou d’autres épouses.
De son côté, le maharadjah qui règnera plus de 70 ans sur son état princier n’est pas en manque pour donner de Kapurthala une image fastueuse, offrant à la maharani Anita de magnifiques joyaux comme en témoignera la dispersion de sa collection chez Christie’s en 2007 : hors l’émeraude, point de salut !
En 1935, la principauté de Kapurthala, située au pied de la partie occidentale de l’Himalaya, appartenait depuis cinq ans à la fédération britannique des états du Penjab qui rejoindra l’Union indienne en 1950 en tant qu’Etat du Patiala et union des Etats du penjab oriental avant de fusionner avec l’Etat du Penjab en 1956.
Le maharadjah et la maharani Anita ; les maharadjah de Kapurthala, et Patiala ; le couple royal en transport d’apparât
La principauté qui ne comptait pas plus de deux cent mille habitants alors, n’en était pas moins célèbre pour son architecture qui lui valut de gagner le surnom de Paris des Indes. En effet, le maharadjah avait décidé d’édifier un palais sur le modèle de celui de Versailles, tandis que la mosquée, de toute beauté, est la réplique decelle de Koutoubia à Marrakech.
Mais un maharadjah, en dehors de ses joyaux princiers, se reconnaît à la puissance de ses voitures. Et il faut reconnaître en l’occurence que le maharadjah de Kapurthala a le bon goût de se différencier des autres princes indiens en évitant les inéluctables Rolls Royce pour offrir à Anita, ici à paris au trocadéro, des Talbot-Lago qui connaîtront le succès aux 24 heures du Mans en 1938. Ou bien, pour se divertir un peu à Kapurthala, une partie de chasse au tigre du haut d’un éléphant, ce qui est bien autre chose que la chasse au lapin de garenne.
Car après tout, ce maharadjah n’est guère différent de nous. Il aime le tennis, les promenades en ville, et les bagages Louis Vuitton pour se déplacer.
Il apprécie aussi les caves à liqueur, les carafes de Baccarat, les belles émeraudes, au encore le One-Two-Two au 122 rue de Provence à Paris où l’on se retrouve entre gens de bonne compagnie avant d’embarquer sur le Normandie pour New York.
Au même moment, la maharani (à gauche sur la photo ci-dessous) retrouve ses amies dans le salon pour dames du Normandie, organisant involontairement, lors de la prise de cette photographie, un merveilleux concours de chapeau, extrêmement relevé. Le voyage s’annonce bien.
Et c’est ainsi que les maharadjahs passent leurs journées, d’un bordel à un paquebot, d’une partie de chasse au tigre à la construction d’un palais, ignorant que le monde change, comptant sur sa femme pour inviter quelques amis à la garden party de ses fils. Le royame est bien tenu, il peut compter sur ses ministres en son absence, car l’Inde sera toujours éternelle et les maharadjahs aussi.
Enfin, presque. Il ne nous en reste plus que le souvenir.
Jubilé d’argent du maharadjah de Kapurthala dans les années 20, en compagnie des maharadjhahs de Kalsia, Loharu, Mandi, Nawanagar, Jammu and Kashmir, Alwar, Patiala, Bikner, Bharaptur et Palanpur.