Nous qui admirons les Champions

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Si le Messie devait revenir sur terre, nul doute qu’il déciderait de pratiquer le football pour évangéliser les foules à l’échelle mondiale.  C’est déjà le cas d’ailleurs, à une lettre d’alphabet prêt : un certain Messi, argentin comme l’actuel pape, accumule à Barcelone les Ballons d’Or, la plus haute récompense attribuée chaque année à un joueur de football, comme son compatriote dans son domaine, les ciboires et non les déboires.

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Quand on devenait champion du monde de boxe aux States comme Marcel Cerdan en 1948, non seulement Edith Piaf vous admirait mais en plus le public réclamait un tour d’honneur au retour, en costume – cravate – chaussettes noires,  avant un match du tournoi des Cinq nations ; Aujourd’hui, on attend le tour d’honneur de Teddy Riner ou de Laurent Manaudou  en smoking -papillon – baskets, pour le premier match de l’Euro 2016 devant un milliard de téléspectateurs : les sponsors seraient bien contents.

En attendant ce retour incertain, le journal l’Equipe a la bonne idée de fêter cette semaine ses soixante-dix ans d’existence depuis sa création le 25 février 1946, qui fait suite à un précédent journal sportif au titre moins universaliste, l’Auto. C’est fou comme entre-temps le monde sportif a changé, le monde tout court d’ailleurs. Le nombre d’habitants de la planète est passé de deux à sept milliards en sept décennies et la pratique du sport est devenue mondiale en même temps que le nombre des disciplines sportives explosait. Et plus personne n’oserait prendre comme accroche commerciale : « le stade – l’air – la route« . Il manque au moins la mer  [photo introductive ; le numéro 1 du journal l’Equipe en 1946].

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Côté casquettes, la mode a  changé. Côté journaux, les cyclistes lisent toujours l’Equipe.

Un seul chiffre suffit pour expliquer cette formidable mutation. L’entreprise mondiale Nike qui a fondé son essor sur les chaussures de sport, réalise un chiffre d’affaires de 30 milliards de dollars, ce qui la classe dans les cent premiers pays en termes de PIB, entre la Jordanie, la Tanzanie et le Paraguay, devant la Côte d’Ivoire ou le Cameroun. Cette société a même réussi le tour de force de faire passer les hideuses tennis et baskets dans le quotidien  pour faire de ces chaussures les nouveaux sabots des temps modernes, qui constituent 60% du chiffre d’affaire de Nike, soit le PIB du Honduras ou du Gabon rien qu’en montagnes de godasses!

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Ce ne sont pas des champions qui font la promotion des gants de la marque Nike ou Reebok, mais Tommie Smith et John Carlos, champion olympique et médaille de bronze du 200 mètres aux Jeux Olympiques de Mexico le 16 octobre 1968, pour protester contre les discriminations et violences raciales aux Etats-Unis.  Ils seront exclus à vie des JO par Avery Brundage, le président du CIO, le Comité international olympique, qui déjà en 1936 avait déclaré à Berlin, pendant les « Jeux d’Hitler » : « Les Juifs doivent comprendre qu’ils ne peuvent utiliser les Jeux pour boycotter les Nazis ». S’il s’e prénommait Tex, on croirait qu’il plaisante, mais pas du tout!

Autre exemple : la Fédération internationale de football (FIFA) brasse tellement d’argent et possède un tel pouvoir d’influence mondial pour attribuer tous les quatre ans la coupe du monde à un pays, que son dirigeant est l’un des hommes les plus puissants de la planète, courtisés par les plus grands chefs d’Etat, ce qui autorise beaucoup de fourberies, pas mal de scandales et énormément de pots-de-vin.

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Les JO de Munich en 1972 sont marqués par la prise d’otages de membres de l’équipe israléienne, organisée par les terroristes palestiniens de l’OLP. Ils seront en définitive 11 israéliens à mourir durant cette tragédie, l’une des premières à internationaliser les pratiques du terrorisme de masse qui frappe aveuglement des civils, et qui sont devenues aujourd’hui un rituel au Moyen Orient.

les temps sont loins donc où les champions se contentaient  entre deux efforts de boire de l’eau améliorée avec un peu de citron en poudre : l’EPO a remplacé l’orangeade et les laboratoires de lutte anti-dopage sont équipés comme ceux des experts criminalistes, sauf que la triche a toujours un coup d’avance quand elle est bien organisée. Car ce qui a le plus changé en soixante dix ans, surtout depuis les années soixante-dix en fait, c’est deux choses : la professionnalisation et la mondialisation.

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L’Invasion de l’Afghanistan par les Sovietiques en 1979 conduit au boycott des Jeux olympiques de Moscou en 1980 par plus d’une cinquantaine de délégations arabes et occidentales, ce qui retire tout intérêt aux compétitions. Dans ces conditions, la cérémonie d’ouverture passe inaperçue, même dans la presse sportive.

La pratique professionnelle était encore rare dans le sport au début des années soixante-dix. Il y avait certes le football, la boxe, le golf, le basket, le sport automobile et les franchises nord-américaines de baseball, hockey sur glace et football américain. Mais c’était à peu près tout. Le tennis, le rugby, le handball, l’athlétisme, le ski étaient encore des sports amateurs ou semi-professionnels, pour peu de temps encore. Les membres de l’équipe de France de ski furent d’ailleurs radiés à vie en 1970 pour avoir accepté des contrats publicitaires, privant la France de ses meilleurs skieurs pour une décennie.

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La tragédie du Heysel en 1985, une bousculade entre supporters qui aboutit à un bilan invraisemblable de 39 morts et 600 blessés, marque paradoxalement le début des années fric dans le football : modernisation des stades, chasse au hooliganisme pour que le football devienne une vitrine mondiale au service de l’argent roi : merchandising, droits de retransmission et à l’image, publicité…

La mondialisation a aussi tout changé. Par mondialisation, il faut comprendre multiplication des médias, radios ou chaînes de télévision, publicité puis bientôt satellites et internet qui vont démultiplier l’offre d’information sportive instantanée : les capacités de retransmission en direct, et les parrainages de grandes entreprises vont transformer les sportifs en hommes sandwichs à l’échelle mondiale et leur donner accès à une nouvelle vie médiatique ainsi que la possibilité de s’enrichir.

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L’invraisemblable triomphe du Canadien archidopé Ben Johnson aux 100 mètres des JO de Séoul en 1988, fait comprendre que le dopage est entré dans toutes les disciplines sportives et par conséquence les résultats de l’incertitude du sport dans l’ère du doute. Ben Johnson sera radié à vie ; mais en cyclisme il faudra attendre la fin de la carrière sportive de Lance Armstrong pour que la vérité éclate, un même chemin  de la vérité à parcourir sans doute pour Usain Bolt, seul sprinter non dopé qui court plus vite que tous les dopés, comme le cycliste Armstrong en son temps.

Fini alors le temps où un joueur de football prenait sa retraite sportive en achetant un café-tabac-PMU pour couler des jours tranquilles à l’ombre de quelques coupes et breloques qui faisaient la fierté du village ou de la petite ville. Voici désormais le temps des super-héros du foot, avec agents sportifs, préparateurs loufoques et demi-soldes, mannequins, requins et frime à gogo. Le million d’euros est devenu l’unité de compte du quotidien. Cette même folie du fric facile a gagné les sports professionnels les plus anciens comme le basket, la boxe, le sport automobile, jusqu’au tennis ; les sports professionnels plus récents tentent leur chance aussi, mais avec moins de succès cependant, que ce soit le rugby, le handball, la natation ou l’athlétisme, l’argent de masse étant individualisé en fonction du nombre des podiums et des belles gueules des sportives ou sportifs.

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Les jeux Olympiques de 2008 à Pékin sont marqués par une scénarisation à une échelle encore inconnue de toutes les compétitions, de la cérémonie d’ouverture à la cérémonie de clôture marquée par un gigantesque feu d’artifice. En comparaison, les JO de Berlin de 1936, jusqu’alors la référence en matière de propagande,  font office de compétitions burlesques ou presque s’il n’y avait eu Hitler en demi-fou concurrençant les demi-dieux du stade.

Car désormais tout est question d’audience mondiale. Et l’unité de compte, c’est le milliard de spectateurs. En dessous du milliard, il n’y a rien, c’est un sport d’amateurs ; au-dessus, on commence à s’y intéresser. Et c’est ainsi que le président chinois vient de décréter que le sport préféré des chinois serait désormais le football plutôt que le ping-pong. Pour gagner la coupe du monde le plus vite possible, il a même décidé de créer dans le pays des milliers d’écoles mixtes de football, pour les filles et les garçons, demandant dans le même temps aux municipalités d’investir dans des stades modernes et aux milliardaires dans des clubs. Le problème, c’est qu’il ne suffit pas de créer des écoles, il faut des joueurs de génie. Et ceux-ci viennent pour la plupart de la rue ou des bidonvilles. Etrange contradiction pour un pays communiste que d’investir massivement dans des infrastructures footballistiques  en limitant le nombre des  naissances dans le même temps pour réduire la pauvreté, tout en appelant les milliardaires au patriotisme!

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Les Jeux olympiques d’hiver  de 2014 à Sotchi en Russie ont exigé des records d’investissement, 36 milliards de dollars, pour satisfaire la mégalomanie du président Poutine. Derrière la façade, la réalité est tout autre : Sotchi est une ville fantôme qui attend à longueur de mois d’improbables visiteurs.

Et le sport dans tout cela, qu’en reste-t-il soixante-dix ans plus tard, loin des méthodes sulfureuses du dopage, de l’accumulation sans fin des investissements publicitaires et des tricheries organisées dans les fédérations sportives nationales  avec l’aval des pouvoirs politiques ? Des spectateurs, de plus en plus de spectateurs, avides d’exploits lors des coupes du monde ou les Jeux olympiques ; des gamines et des gamins qui deviendront ou non des champions un jour ou l’autre, s’entraînant, suant, et stressant énormément avant de pleurer éventuellement sur la plus haute marche du podium, pour garder ici une breloque en or, là d’innombrables lingots d’or, et nous quelques souvenirs émus mais si rares, sans oublier ci et là, dans d’innombrables films, l’image du journal l’Equipe porté ou lu par une actrice ou un acteur de pacotille.

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L’attribution en décembre 2010 par la FIFA présidée par Sepp Blatter, des coupes du monde 2018 à la Russie et 2022 au Qatar, ont ouvert une boîte de Pandore sur les pratiques de corruption dans le monde du football à l’échelle mondiale. Trop de ballons en or tue le ballon!

Car c’est bien connu en matière d’idéologie, le sport est plus consensuel que la politique même si la politique ne cesse d’accaparer le sport jusqu’à organiser les retrouvailles diplomatiques des Etats-Unis avec  la Chine en 1971,  en envoyant une délégation de joueurs de ping-pong, une géniale trouvaille alors de Henri Kissinger qui ne manquait pas d’imagination ; car même si, en bon Allemand,  ce dernier était passionné de football, Mao de son côté n’y connaissait rien au jeu de ballon rond, comme quoi il n’y a pas que le sport qui a changé, la Chine aussi.

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L’Aedes aegypti propagateur du virus Zika n’a pas empêché la tenue du carnaval de Rio en 2016 au cours duquel la combinaison Or a été le costume préféré des participants et spectateurs ; reste à savoir si le masque devra être porté lors des Jeux olympiques à venir. Des doutes persistent sur  l’efficacité de d’inhalateur : avant ou après la compétition ? 

C’est pourquoi, nous qui aimons le sport et admirons les sportifs, nous célébrons bien sûr les champions. Mais nous ne sommes pas dupes. Il n’y eut jamais dans l’histoire qu’un seul champion utile, le premier marathonien qui apporta la nouvelle à Athènes de la victoire de marathon face aux Perses lors de la première guerre médique en 490 av. J.-C.. Les autres ne firent que l’imiter en courant, sautant ou nageant toujours plus vite mais pour rien, ce rien qui fait la beauté du sport. Quant à parcourir 42.195 mètres, comme dirait un de nos amis, avide d’exploits surtout en jet de menhirs, ils sont fous ces marathoniens!

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En vérité, dans le sport comme dans la vie, tout n’est question que d’eau ferrugineuse. Bourvil qui fut un champion cycliste convaincant dans les Cracks, en boit en connaissance de cause, sur les conseils vraisemblablement avisés d’un coach en remise en forme. On connaît bien d’autres sportifs  aujourd’hui qui pataugent dans les explications ferrugineuses quand le scandale éclate!

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Les Cracks, une comédie d »Alex Joffé de 1967 avec Bourvil en tête d’affiche, reconstitue l’ambiance des premières courses cyclistes au début du vingtième siècle, où tous les coups étaient déjà permis pour vaincre. Comme quoi, rien n’a vraiment changé, ce qui est somme tout naturel, l’homme demeurant égal à lui-même sous le soleil comme sous la pluie ou la neige.

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