Souviens-toi des abbayes livrées au martyr

De même que d’innombrables châteaux furent démantelés sous la Révolution française, on ne compte pas le nombre des abbayes qui furent livrées au martyr et dont il ne reste plus que des traces immatérielles dans des gravures, peintures ou plans d’architecture restituant leur grandeur passée ; et lorsqu’il reste quelques ruines debout, celles-ci nous rappellent les souffrances de l’Homme que masquent mal certains discours vertueux qui occultent les tragédies humaines de cette période : à force de vouloir se confondre avec des idéaux révolutionnaires sublimés, les principes républicains ont progressivement perdu de leurs capacités d’adhésion et ne font plus guère illusions, ce qui annonce aujourd’hui la faillite du modèle démocratique français si rien n’est fait pour restituer une vérité historique beaucoup moins glorieuse que celle véhiculée à tout bout de champ (illustration d’introduction : le couvent des Blancs-Manteaux au XVIIème siècle ; ne subsiste que l’église.)

Ancienne église du couvent des Minimes situé à proximité de la place Royale, actuelle place des Vosges. N’en subsistait que le cloître transformé en gendarmerie avant que celle-ci ne fut reconstruite en 1925. 

Ainsi de nos plus illustres abbayes perdues à tout jamais, détruites par la folie révolutionnaire. Sur l’ensemble du territoire français, en un rapide recensement, on n’en compte pas moins d’une centaine tombées en ruines à la suite de leur changement de destination, lorsqu’elles ne sont pas partiellement ou totalement détruites. Le nombre des destructions est probablement beaucoup plus élevé.

Abbaye de Saint-Germain-des-Prés avant sa destruction partielle intervenue à partir de 1792

Commençons le recensement partiel des destructions par les abbayes parisiennes et l’une des plus illustres, Saint-Germain-des-Prés à Paris.  Fondé en 557 par Childebert Ier, fils de Clovis, le monastère abritait les tombeaux des Mérovingiens, succédant comme nécropole royale à Sainte-Geneviève et précédant la basilique de Saint-Denis. Pillée et brûlée par les Normands à la fin du neuvième siècle, elle est reconstruite, agrandie et devient un centre intellectuel dotée de l’une des plus riches bibliothèques constituées de manuscrits et imprimés. Gérée directement au profit du Trésor royal à compter de Louis XV, l’abbaye est fermée le 13 février 1792 et vendue comme bien national tandis que la bibliothèque est dispersée. Livrée à la vindicte révolutionnaire, les statues sont détruites, les tombeaux brisés et les dallages arrachés. Une manufacture de salpêtre y est intallée, occasionnant un incendie le 20 août 1794. Ne subsistent plus que l’église et le palais abbatial, ce dernier entièrement restauré dans les années 1970 par le diocèse. Mais le cloître a disparu ainsi que la chapelle de la Vierge, de même que les jardins perçés de rues telles que la rue Bonaparte ou encore la cour du Palais devenue place Furstenberg  et rue Cardinale, l’actuel musée Delacroix étant installé dans les anciennes écuries du palais abbatial.

L’abbaye Sainte-Geneviève au XVIIIème siècle, peu avant la Révolution. Au second plan à gauche, la coupole de la nouvelle église devenue le Panthéon.

Poursuivons avec l’abbaye Sainte-Geneviève de Paris, moins illustre aujourd’hui que Saint-Germain-des-Prés, et dont l’histoire est indissociable du caractère illustre de Paris à maints égards. Fondée par Clovis et sa femme Clotilde, l’abbaye se trouvait entre la place du Panthéon, la place Sainte-Geneviève et la rue de l’Estrapade. En 512, Sainte Geneviève, puis plus tard Clotilde y furent enterrées auprès de Clovis, la coutume étant prise d’appeler ce lieu la montagne Sainte-Geneviève. A la suite des raids normands qui occasionnèrent la destruction de l’abbaye, celle-ci fut reconstruite, devenant aussi opulente que saint-Germain-des-Prés, détenant notamment une bibliothèque et un célèbre cabinet de curiosités.

Les deux églises, Saint-Etienne-du-Mont à gauche, et l’église abbatiale Sainte-Geneviève à droite, livrée à la destruction sous la Révolution

Son église étant délabrée, Louis XV, tombé malade fit le voeu d’en reconstruire une nouvelle dans le cas où il survivrait. C’est ainsi que fut lancée la construction de la nouvelle église abbatiale Sainte-Geneviève qui  ayant été achevée juste avant la Révolution, allait devenir le futur Panthéon. Quant au sort de l’abbaye, il est aussi scellé sous la Révolution : l’ancienne église cotoyant l’église Saint-Etienne-du-Mont est détruite, la crypte des tombeaux royaux saccagée, le cabinet de curiosités dispersé. Outre le futur Panthéon, ne subsisteront que la bibliothèque devenue aujourd’hui la bibliothèque sainte-Geneviève et les bâtiments conventuels qui abritent aujourd’hui le lycée Henri IV fier de sa tour Clovis, ancien clocher de l’église abbatiale.


Il ne reste rien de l’ancienne abbaye Saint-Victor qui fut un centre important de la vie intellectuelle médiévale. Fondée au XIIème siècle par Guillaume de Champeaux en dehors de l’enceinte Philippe-Auguste, elle se trouvait sur l’actuel emplacement de l’université de Jussieu et de la ménagerie du jardin des plantes, au pied de la montagne Sainte-Geneviève.

plan de St Victor (1572)

Plan de l’abbaye saint-Victor en 1572

Consacrée à l’enseignement universaliste, elle était dotée d’une importante bibliothèque, pour plus tard être dédiée à la piété, les bâtiments étant reconstruits au XVème siècle. Les bâtiments sont vendus comme biens nationaux sous la Révolution et l’abbaye entièrement démolie au point qu’il n’en reste aucun vestige, une halle aux vins étant érigée en son emplacement en 1811.

Autre monastère détruit sous la révolution, le couvent dit  des Grands-Augustins dont la construction commence à l’initiative de Saint-Louis en 1263, sur un emplacement compris entre l’actuel quai de Seine, la rue Christine, la rue des Grands-Augustins et la rue de Nevers, la rue Dauphine traversant les anciens jardins. Les moines qui s’y installent se réclament de la règle de Saint Augustin, père de l’Eglise au 4ème siècle. Edifié aux XIV et XVème siècles, le couvent est doté de vastes salles qui abriteront le parlement de Paris ou les Etats généraux de 1614, les derniers avant ceux de 1789. Le couvent accueillera aussi l’Ordre du Saint-Esprit, l’ordre de chevalerie le plus célèbre de la royauté française, fondé en 1578 par Henri III et dont l’ordre de la légion d’honneur prendra en quelque sorte la succession. La révolution sera fatale au couvent. Un grand nombre de bâtiments sont détruits.  Il n’en subsiste qu’une partie, assez grande cependant pour devenir l’école nationale des Beaux-arts.

 Cour des études de l’école des Beaux-arts

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