Le prestigieux Nobel d’économie vient d’être décerné à deux professeurs d’université spécialistes de la théorie des contrats, Olivert Hart et Bengt Holmström. Dernier prix Nobel institué en 1969, le public se demande si on attribue ce prix d’économie à des scientifiques ou plutôt à des Diafoirus et Purgon se précipitant pour des seuls motifs d’intérêt, au chevet du Malade imaginaire. Il existe cependant une différence de situation, l’économie mondiale se porte toujours mal, souvent à l’agonie, les remèdes proposés sont de cheval, et les conseils des experts de plus en plus « diafoireux » tant les médecins des échanges et de la finance sont toujours plus abscons quand ils ne ruissellent pas d’autosatisfaction pompeuse en toutes circonstances. Ils peuvent même devenir fichtrement dangereux en versant au cours d’une conversation dans cette démagogie de sulfateuse qui précède le plaidoyer pour une conversion aux bienfaits des taxes et contributions de toutes sortes. On en viendrait à préférer Tony le truand à un tonitruant professeur de fiscalité !
Il n’est pourtant pas besoin d’être grand clerc pour comprendre l’économie. L’un des meilleurs cours jamais donné est celui des duettistes Lautner, le réalisateur, et Audiard, le dialoguiste, dans la scène dite de la péniche, tirée du film les Tontons flingueurs. Pour les Nuls en économie, l’apprentissage des théories économiques les plus complexes peut se réduire à voir le film en entier, puis à revoir la scène de la péniche pour en savourer la lucidité économique. Elle intervient au premier tiers du film lorsque monsieur Fernand joué par Lino Ventura, chargé de veiller sur les intérêts de la jeune héritière de Louis « le Mexicain » qui vient de passer l’arme à gauche, est prévenu par maître Folace interprété par Francis Blanche, que l’argent ne rentre plus dans les caisses noires et que les redevances de la péniche ne sont plus versées depuis deux mois par les frères Volfoni joués par Bernard Blier et Jean Lefebvre, ce qui fait dire à monsieur Fernand : ces mecs n’auraient pas la prétention d’engourdir le pognon de ma nièce ?
L’organisation de la transmission d’entreprise, un enjeu crucial en cas de décès prématuré
Contrairement à ce que ce que pourrait laisser croire cette discussion dans la salle de conférence pour reprendre le terme employé par Michel Audiard, ce n’est pas tant d’économie souterraine que d’économie générale dont il est question dans cette scène. Certes les problématiques concernent les revenus de la prostitution, de l’alcool frelaté ou des cercles de jeux clandestins, mais les arguments sont universels et vont bien au-delà des mécanismes de l’extorsion de fonds. Et puis, l’argent des mafias mondialisées, l’enrichissement soudain d’innombrables oligarques russes, le surgissement de milliardaires « rouges » chinois, la multiplication des paradis fiscaux, les fonds souverains qui sont le plus souvent les fonds de famille de souverains, sont autant de témoignages crus et cruels que l’économie souterraine et l’économie légale font bon attelage.
De ce point de vue, Audiard a fait preuve d’anticipation en achevant la comédie par le mariage de Patricia, l’héritière du Mexicain, avec Antoine, fils d’Amédée de la Foy, vice-président du Fonds monétaire international : le polo a succédé au hockey sur gazon et les princesses fricotent désormais avec les émules d’Escobar.
La fusion d’entreprise est une étape cruciale du développement des sociétés.
« Engourdir le pognon » est d’une certaine façon le principe de base retenu par les experts économistes à la solde de la finance internationale des grandes entreprises mondiales ou des administrations chargées non pas de faire tourner la boutique mais de vider les caisses publiques. L’enfumage des « traitements de choc fiscaux » est ainsi à la corporation fiscale ce que la purge et la saignée sont à la médecine de Molière. Pourtant rien n’est plus simple que l’économie lorsque cette matière est enseignée par Michel Audiard lors du conseil d’administration de la péniche. Pour les amateurs des dialogues, voici d’ailleurs où trouver ceux des Tontons flingueurs dans leur intégralité (page 13/39 pour la scène de la péniche) ainsi que la scène sur Youtube.
C’est au haut-de-forme que se reconnaît le gentleman de la finance
Le conseil d’administration qui se tient sur la péniche a commencé hors de la présence de Monsieur Fernand qui n’en a pas été informé et déboule sans prévenir. Raoul Volfoni cherche à convaincre « le conseil » de ne plus verser de redevances à l’héritière du mexicain, un échange de vue qui n’est guère différent d’une discussion entre actionnaires pour fixer le montant des dividendes versés aux propriétaires, si ce n’est le langage un peu plus fleuri, même si faire le tapin est le principe parfait de toute concurrence : allécher le client par la publicité au balcon, séduire avec un marketing tout en courbes généreuses et assurer la promotion en enlevant le bas pour tirer les prix vers le haut. De même, bien rétribuer un actionnaire puissant est une garantie dans un climat concurrentiel difficile, la maison-mère par rapport à la filiale jouant d’une certaine façon le rôle du suzerain envers le vassal qui est de presser le citron en toutes circonstances..
La discussion d’affaires permet parfois aux grandes familles entrepreneuriales de porter les projets les plus insolites sur les fonds baptismaux
En introduction du cours, l’arrivée impromptue de Monsieur Fernand permet en quelques mots de comprendre la distinction entre un conseil d’administration et une assemblée générale d’actionnaires, lorsque Monsieur Fernand demande à Raoul Volfoni qu’il vient de boxer en entrant: Qu’est-ce que t’organises ? Un concile ? L’assemblée générale est en effet le lieu où se prennent les décisions cruciales concernant la vie de l’entreprise, au point qu’elle peut être ordinaire ou extraordinaire, alors que le conseil d’administration est constitué des dirigeants désignés par les actionnaires, chargés de la bonne marche de l’entreprise. Pourtant, au quotidien, le conseil d’administration confisque souvent le pouvoir pour les propres intérêts de ses administrateurs ou d’une poignée d’actionnaires, au détriment de l’intérêt social de la société, des autres actionnaires voire du bien public, une notion la plupart du temps oubliée des dirigeants, alors qu’aucune entreprise ne peut ignorer son environnement extérieur.
Cette comédie sortie en 1967, constituée de six sketchs réalisés par de « grands noms » du cinéma avec d’illustres actrices et acteurs, est à mille lieux de la sordide réalité de la prostitution qui est, avant toutes choses, affaire de proxénétisme, violence et esclavage moderne.
Mais entrons dans le vif du sujet en donnant la priorité aux affaires pour reprendre la formule de monsieur Fernand avant de donner la parole à madame Mado pour un échange « nobélisable » en économie. Pour expliquer ses « embarras de gestion », Mme Mado décrit tout simplement la loi de l’offre et de la demande sur un marché concurrentiel qu’il soit le trottoir ou la maison de passe. S’agissant de la demande, elle observe avec la disparition du furtif et de l’affectueux du dimanche, que le client se détourne du marché en préférant regarder la télévision le soir ou aller se promener en auto le dimanche, ce qui nuit au climat des affaires. Du côté de l’offre, comme dit Mme Mado, c’est un désastre ! Une bonne pensionnaire, ça devient plus rare qu’une femme de ménage ! Ces dames s’exportent, le mirage africain nous fait un tort terrible ; et si ça continue elles iront à Tombouctou à la nage. Le risque de pénurie de main d’oeuvre qualifiée en environnement concurrentiel mondialisé, constitue l’un des enseignements économiques majeurs parfaitement anticipé par Michel Audiard pour adapter par la formation les nouveaux mécanismes économiques résultant de la naissance du Marché commun, au début des années soixante.
Madame Mado, théoricienne de la loi de l’offre et de la demande
MONSIEUR FERNAND : Chère madame, Maître Folace m'a fait part de quelques ... Pffff .... Quelques embarras dans votre gestion, momentanés j'espère. Souhaiteriez vous nous fournir quelques explications ? MME MADO : Les explications Monsieur Fernand, y'en a deux : récession et manque de main oeuvre. Ce n'est pas que la clientèle boude, c'est qu'elle a l'esprit ailleurs. Le furtif, par exemple, a complètement disparu. MONSIEUR FERNAND : Le furtif ? MME MADO : Le client qui vient en voisin : bonjour mesdemoiselles, au revoir madame. Au lieu de descendre maintenant après le dîner, il reste devant sa télé, pour voir si par hasard il serait pas un peu l'homme du XXème siècle. Et l'affectueux du dimanche : disparu aussi. Pourquoi ? Pouvez vous me le dire ? MONSIEUR FERNAND : Encore la télé ? MME MADO : L’auto Monsieur Fernand ! L'auto !
Côté jus de pomme, c’est à dire dans la branche des alcools frelatés, Michel Audiard poursuit son cours d’économie en soulignant comment l’innovation transforme un marché. Ainsi, on boit moins de pastis, vrai ou faux : les parts de marché dégringolent à cause de l’arrivée du whisky, c‘est le drame ça le whisky... Effectivement, pour ne pas avoir réussi à s’adapter, de nombreuses marques d’alcool autrefois dominantes sur le marché telles que La Suze, Dubon.. Dubon…Dubonnet ou Guignolet, ont périclité, perdu de l’adhérence comme dit Théo , face à la concurrence nouvelle des Whisky et autres Vodka. Les entreprises qui réussissent sont celles faisant le choix de l’innovation à travers la diversification sur un marché de plus en plus mondial, comme les anciennes sociétés familiales Ricard ou Cointreau, devenues des « Internationales » de l’alcool. Sans investissement, on se retrouve avec une clientèle qui se réfugie dans les eaux de régime ou se contentent d’eaux pétillantes. L’investissement crée les clients de demain.
MONSIEUR FERNAND : ... Qui est ce le mec du jus de pomme ? THEO : Ce doit être de moi dont vous voulez parler ! MONSIEUR FERNAND : Dis moi dans ta branche, ça va pas très fort non plus ! Pourtant du pastis vrai ou faux, on en boit encore ? THEO :Moins qu'avant, la jeunesse française boit des eaux pétillantes, et les anciens combattants, des eaux de régime. Puis surtout il y a le whisky. MONSIEUR FERNAND : Et alors ? THEO : C'est le drame ça, le whisky
Avant d’être contraint de fermer pour recyclage d’argent noir, le cercle Clichy-Montmartre était le derniers établissement de jeu à Paris qui proposait des jeux d’argent et de hasard
La troisième leçon d’économie d’Audiard a pour décor le secteur du jeu, avec les frères Volfoni. Cette fois, ce n’est ni l’offre de la loi et de la demande, la concurrence, l’innovation et la mondialisation qui sont abordées, mais la gestion d’entreprise avec l’importance de l’optimisation fiscale, du reporting de la consolidation et de la sincérité des comptes, sans oublier le dynamisme d’entreprise, les prévisions de résultats, l’atteinte des objectifs ou encore les délais de paiement des créanciers, ainsi que, « last but not least », le risque de défaillance et les conséquences dommageables sur l’entreprise.
Les frères Volfoni, gérants d’entreprise et experts en management
MONSIEUR FERNAND : Pascal ? PASCAL : Oui Monsieur Fernand. MONSIEUR FERNAND : Tu passeras à l'encaissement chez ces messieurs sous huitaine. RAOUL VOLFONI : C'est ça, et si jamais on paye pas, tu nous bute ? PASCAL : Monsieur Raoul ...
Curieusement, ce que nous prouve Audiard avec ses dialogues simples, clairs et pleins de bon sens, c’est que l’économie peut être une science dès lors qu’elle se fonde sur un principe unique qui est la rationalité. La science économique a longtemps reposé sur des hypothèses absurdes, dignes de Diafoirus, telles que la concurrence pure et parfaite ou la planification de type soviétique, conduisant à considérer que les acteurs économiques seraient tous rationnels et totalement informés des mécanismes économiques permettant, par exemple, la fixation du prix des biens et services. C’est une grosse blague. Les acteurs économiques sont irrationnels et mal informés. Ce qui permet à de nombreuses entreprises de produire n’importe quoi et à l’Etat de faire aussi n’importe quoi dans d’innombrables domaines en prétendant corriger les excès du marché ou venir fictivement en aide aux plus démunis. Et c’est ainsi que l’état d’une prétendue économie avancée, drapé dans l’égalité tricolore, en vient, avec l’argent des autres, les contribuables, à acheter des trains à grande vitesse pour rouler sur des lignes à petite vitesse, ou bien à démultiplier le nombre des pauvres à force de semer à tous vents des aides sociales mal ciblées et cadeaux fiscaux dispersés, éparpillés façon puzzle, au lieu de concentrer ses interventions sur les plus démunis qui se retrouvent à la rue, errants, largués, sans revenus, sans toit, sans lien social, de plus en plus nombreux, désespérés, perdus et mentalement fragiles.
La maîtrise du risque, enjeu crucial pour toute entreprise
Dès lors que l’irresponsabilité politique fondée sur le clientèlisme à grande échelle et un égalitarisme forcené engendre la pauvreté économique, il ne faut pas s’étonner si les piliers de la société finissent par vaciller. Ces piliers ont pour nom liberté et fraternité qui forment ensemble un terme unique, la solidarité, car nous ne somme jamais libres seul, et il n’existe pas de fraternité sans liberté, sauf à projeter la création d’une société collectiviste et totalitariste. Audiard nous apprend avec l’élégance du rire qu’en économie comme en univers de truands, tout est affaire de confiance, de loyauté et de détermination. Et pour qu’il y ait confiance, il fait que les règles du jeu soient stables, connues à l’avance et partagées, c’est à dire qu’une égale information soit donnée à tous : sans confiance, pas de croissance !
Le séminaire d’entreprise permet le partage d’expériences et échanges de vue.
Très cher AV,
Dans les merveilleux dialogues de Tonton Audiard, on pourrait détourner cet échange pour illustrer un sentiment très répandu chez les braves contribuables immobilisés sur le territoire national, celui de se faire avoir.
MONSIEUR SAPIN : Tu va voir que c’est pas possible, j’ai adopté le système le plus simple, regardes ! On prend les chiffres de l’année dernière, et on les reporte.
Le contribuable : L’année dernière, on a battu des records !
MONSIEUR SAPIN : Et bien vous les égalerez cette année ! Vous avez l’air en pleine forme là ? Gais, entreprenants, dynamiques …
J’ai l’impression que le ministre n’est pas convaincu qu’en matière de matraquage fiscal lui et ses complices ont battu les records. Et tant qu’un contribuable est vivant, il est suffisamment en forme pour casquer. Même quand il décède, l’administration fiscale ne l’oublie jamais.
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