La France n’a pas d’ennemi

ONU

Si la France veut maintenir son rang de « grande puissance » et continuer d’être une « voix » écoutée dans le monde entier, elle ne doit pas s’éloigner d’une ligne politique qui soit claire, simple et compréhensible par tous, rendue possible par un quadruple héritage de l’histoire contemporaine qui témoigne que le pire n’est jamais certain en matière de relations internationales. Ainsi, en tant que membre permanent du conseil de sécurité de l’ONU et détentrice de l’arme nucléaire, la France doit plus particulièrement veiller au maintien de la paix dans le monde et toujours oeuvrer en ce sens, même lorsqu’elle est frappée au coeur par le terrorisme.

René Cassin The Noble Peace Prize 1968

René Cassin, prix nobel de la Paix 1968, cheville ouvrière de la déclaration universelle des droits de l’homme en 1948 

Tout d’abord, la France défaite en 1940 et victorieuse miraculeusement en 1945, a noué depuis plus de cinquante ans,  avec son ennemi héréditaire séculaire, l’Allemagne,  une relation approfondie de coopération et d’amitié qui constitue le moteur de la construction européenne. S’écarter de ce chemin, c’est affaiblir l’Europe, c’est affaiblir aussi la France qui bénéficie avec ses voisins d’un espace européen pacifié. Il s’agit-là d’une rupture dans l’histoire de la France et de l’Europe inconcevable au regard de plus de mille ans d’histoire où les déchirements belliqueux furent internes à l’Europe et non importés : Poitiers remonte à 732 et les invasions normandes au IXè et Xè siècles [internes à l’Europe] ; le continent européen n’a plus connu de vagues d’invasion depuis  la bataille navale de Lépante en 1571 qui marque la fin de l’expansionnisme ottoman, en dehors de ses tentatives successives de dominer l’Europe slave par la voie terrestre.

La Bataille de Lépante

La bataille de Lépante, 7 octobre 1571

La fin de la Guerre froide, avec la chute du mur de Berlin en 1989 et la désintégration de l’empire soviétique en 1991, devait ouvre une ère nouvelle avec la Russie dont on peut regretter qu’elle n’ait pas abouti à des rapprochements beaucoup plus marqués. Exception faite de la période napoléonienne, la France a toujours entretenu avec la Russie une entente diplomatique et souvent militaire, fondée sur l’existence d’une complicité intellectuelle ancienne qui remonte à l’exil de nombreux huguenots français en russie depuis le XVIIè siècle. L’histoire, la géographie, les intérêts économiques et sociaux, tout concourt à ce que la Russie et la France nouent un partenariat privilégié destiné sur le long terme à rapprocher la Russie de l’Europe sans craindre que la puissance militaire et les richesses naturelles de cet immense pays qu’est la Russie ne viennent perturber le nécessaire approfondissement de la construction européenne. La Russie en toutes circonstances doit être considérée comme un allié et un partenaire, en aucun cas comme un adversaire, et encore moins comme un ennemi. Nos intérêts sur le long terme sont communs. Certes, il n’est pas toujours facile de discuter avec les dirigeants russes, nourris au biberon de la paranoïa soviétique. Mais depuis un quart de siècle, l’Occident a fait preuve de trop de flagornerie envers son partenaire européen d’Orient alors même que la Russie traversait une crise sans précédent pour reconstruire une nation bouleversée par l’implosion de l’empire des Soviets.

TSAR NICOLAS II visite à Paris en 1901

Visite du tsar Nicolas II à Paris en 1901

Plus de cinquante ans après la fin des empires coloniaux, les temps sont venus de proposer aux anciens pays de l’empire colonial français de poursuivre une histoire commune non plus fondée sur la domination mais sur le respect mutuel, le partage de valeurs d’humanité et l’existence d’intérêts communs. La francophonie constitue un espace de liberté unique au monde en ce que le partage de la langue française constitue l’expression de valeurs universelles qui se développent chaque jour en un tryptique mondialement reconnu : liberté – égalité – fraternité. Si la France dans cet espace francophone n’a pas d’ennemi, il lui faut cependant lever les ambiguïtés liées à une histoire coloniale loin de se limiter à celle du bon docteur Schweitzer ou du père Charles de Foucauld. L’expansion coloniale française au XIXè siècle est une succession de guerres et de tragédies méconnues dont il faut lever le voile, cette violence ayant été d’autant plus grande qu’elle a succédé à des échecs retentissants lors du siècle précédent, la colonisation étant aussi destinée à relever une fierté nationale contrecarrée par la défaite de 1870. Toujours est-il qu’il est inconcevable aujourd’hui de considérer que la France ait des ennemis dans l’espace francophone : la langue nous unit comme le cimentdans cette maison commune appelée à sans cesse grandir tout au long du 21è siècle.

French-speaking countries in the world

Pays parlant le français dans le monde

De même, la fin des mandats au Levant, les indépendances de la Tunisie, du Maroc puis de l’Algérie ont permis à la France de renouer avec une politique traditionnellement compréhensive avec le monde arabe dont on ignore souvent qu’elle ne se rapporte pas aux seuls intérêts économiques. L’entente avec l’Egypte est ancienne de même que la France n’a pas attendu 1979 pour venir au secours du royaume saoudien lorsque la Mecque a été l’objet d’une menace terroriste : déjà en 1916, le colonel Brémond avait été envoyé au Hedjaz pour faire échec à une attaque turque lancée en direction de La Mecque à partir de Médine.

Marseille-Alexandria GRANDES OPERATIONS D'ARCHITECTURE ET D'URBANISME Paris France - never seen this site before, next time im there i will have to try get this shot Réunion des Musées Nationaux-Grand Palais -

La pyramide du louvre, l’obélisque de la Concorde sont des monuments qui rappellent chaque jour au coeur de Paris la relation d’amitié qui noue l’Egypte et la France depuis l’expédition scientifique de 1798 lors de la campagne d’Egypte de Bonaparte. 

Le siècle des Lumières et la révolution française ont nourri le monde entier jusque dans ses excès les plus cruels. Si le terrorisme nous est familier, c’est que la France a inventé la terreur moderne qui a peut-être plus marqué les esprits que les valeurs universelles des droits de l’homme. Certes les idées démocratiques entrevues par Tocqueville ont permis de constituer avec les pays anglo-saxons acquis aux principes de liberté, l’espace fondateur du monde libre tel qu’il existe aujourd’hui et qui regroupe au sein de l’OCDE plus d’une quarantaine de pays entièrement dévoués aux règles démocratiques ; les pays d’Amérique latine de leur côté, sont profondément marqués par leur révolution bolivarienne qui a puisé dans l’exemple révolutionnaire français les idées politiques  ayant nourri leur combat pour l’indépendance au début du XIXè siècle. Quant aux révolutionnaires marxistes-léninistes, lorsque ce n’est pas en France même qu’ils sont venus comprendre ces théories révolutionnaires, comme les chinois Zhou Enlaï et Deng Xiaoping ou encore le vietnamien  Hô Chi Minh, c’est l’exemple de la terreur française qui les a inspirés.

Simon Bolivar, el Libertador, liberated Latin America from the Spanish. A great man who is little known in the UK.

Simon Bolivar, El Libertador, admirateur de la philosophie des Lumières, séjourna par deux fois à Paris, en 1801 et 1804, séjours qui renforçèrent ses convictions républicaines.

Enfin, depuis le drame des « boat-people » en 1979, une ancienne génération révolutionnaire reconvertie dans « l’humanitaire » a développé la notion ambigüe du droit international d’ingérence qui, pour aussi généreux qu’il prétendait être à l’origine, n’en a pas moins pour autant basculer dans l’interventionnisme traditionnel des puissances occidentales, avec au bout du compte des résultats fort éloignés des objectifs assignés. Inutile, ici, d’évoquer les interventions calimateuses successives en Irak ou en Libye, et les soutiens malencontreux aux oppositions armées à Assad en Syrie, les résultats calamiteux sont là. « L’humanitaire » ne fonde pas le droit international, mais il justifie les guerres qui, au lieu de s’épuiser, s’éternisent. S’occuper et veiller au sort des victimes dans une guerre est une chose, intervenir militairement dans un conflit, une autre.

Droit d'ingérence : morale humanitaire ou stratégie? | Luxe Radio | Accédez à l'état d'esprit du Luxe

Nous partageons aussi avec de nombreux pays asiatiques les mêmes valeurs démocratiques même si celles-ci sont adaptées à des civilisations anciennes qu’il convient de ne pas dénigrer car la force d’une nation repose sur des traditions parfois ancestrales que la modernité vient parfois bousculer au détriment de son unité. Le Japon, la Corée, l’Indonésie, les Philippines et bien évidemment l’Inde sont des pays avec lesquels il n’existe aucun conflit en dehors de la défense des intérêts commerciaux et d’une saine émulation dans les relations de partenariat.

Un avion Rafale, en démonstration, en Inde © Manjunath Kiran / AFP

La France et l’Inde entretiennent depuis un demi-siècle un partenariat de défense

C’est pourquoi, lorsque nous, Français, sommes confrontés à des actions violentes de nature terroriste, il convient d’être prudent dans les termes employés. Ce n’est pas pour autant que des terroristes mènent des actes d’une violence inouïe sur le territoire français que nous sommes en guerre et que nous avons un ennemi. L’intervention française en Syrie et en Irak n’a de sens que si elle s’exerce sous mandat de l’Organisation des Nations Unies, et que ce mandat permet l’éradication de la menace terroriste dans le cadre d’une coalition de nations armées aux objectifs parfaitement définis.

Un Casque bleu sur le terrain, dans une des 16 opérations de maintien de la paix actuellement en cours à travers le monde... En savoir + sur les opérations de maintien de la paix : http://www.un.org/fr/peacekeeping/operations/index.shtml

Casque bleu de l’ONU, partenaire mondial de la paix

Mais surtout, il convient d’être réaliste. L’éradication du terrorisme n’interviendra que si l’ensemble des nations décide d’engager un effort aussi vaste que celui entrepris actuellement pour lutter contre le réchauffement climatique. Il est assez paradoxal qu’on s’inquiète de l’horizon de la planète à trente ou cinquante ans, alors que dans le même temps, la prolifération du terrorisme fait peser une menace nouvelle tout aussi grande avec la perspective à terme du recours à des armes de destruction massive par des organisations terroristes non reconnues par les Etats mais pouvant disposer de complicités ou soutiens appropriés variables dans le temps pour perpétrer et perpétuer leurs crimes.

Attentats terroristes 13 novembre 2015 à Paris Solidarité, liberté d'expression, etc. Solidarité après l'attentat au Kenya:

Le terrorisme n’a pas de continent et se joue des frontières

Car il faut être lucide. des zones géographiques de plus en plus nombreuses, vastes et peuplées, tombent sous la domination d’organisations terroristes aux objectifs apocalyptiques dont la rationalité nous échappe. L’imprévisibilité de leurs actes est totale, leurs motivations complexes et mystérieuses qu’il est impossible de réduire aux valeurs de « l’islamisme radical ».  Le monde est dominé depuis un quart de siècle par ces phénomènes terroristes comme « la Guerre froide » le dominait  avant la chute du mur de Berlin et notre réflexion bute devant cette réalité  foudroyante du nombre croissant de personnes susceptibles de se tuer pour une cause que nous considérons comme archaïque, car eux-mêmes l’inscrivant dans le cadre historique d’un retour aux premiers siècles de l’Islam. Dans la mesure où les terroristes n’ont pas la même notion du temps que nous, qu’ils considèrent avoir tout leur temps pour instaurer le califat et conquérir le monde, nous sommes totalement démunis face à une mencae imprévue dans le temps, et imprévisible au jour le jour. Il faut donc apprendre à vivre avec sauf à croire que le phénomène s’éteindra de lui-même, ce qui est peu probable pour l’instant.

Les principaux groupes armés islamistes sunnites, par Cécile Marin (Le Monde diplomatique, février 2015)

Les groupes terroristes islamiques prolifèrent plus qu’ils ne disparaissent (source : Le Monde diplomatique, février 2015)

Il faut donc regarder la violence terroriste telle qu’elle est aujourd’hui et non comme nous l’imaginons qu’elle est. Mais pour inédite que soit cette violence dans les temps modernes, celle-ci plonge ses racines dans l’histoire et n’est donc pas originale en tant que telle. C’est pourquoi nous ne devons pas commettre des erreurs dignes de Don Quichotte face aux moulins à vent. Les médias, c’est à dire la bande hystériques des journalistes associée aux rumeurs et bagatelles des réseaux sociaux, sont ces nouveaux moulins à vent qui provoquent nos hommes politiques réduits à n’être que don Quichotte accompagné du peuple que Sancho Panza figure.

C’est pourquoi don Quichotte est véritablement scandaleux : voulant accomplir les grands mots creux qui servent à la fois la bonne conscience et les mauvaises actions de tous, il crée une situation proprement impossible qui force le monde à avouer sa tricherie. Ainsi la fausseté de don Quichotte contribue finalement à la vérité, puisqu’elle démasque l’imposture primordiale de toute société policée; mais sous la façade de culture et d’idéologie qui dissimule ses mobiles intéressés, le monde de son côté n’a pas tout à fait tort puisqu’il met à nu l’infantilisme et l’impuissance de l’individu insoumis, fanatisé par son propre rêve d’absolu. » — Marthe Robert, Roman des origines et origines du roman, Paris 1972, Édit. Bernard Grasset

Le résultat s’agissant de la France, pour le moment est catastrophique. Nous voici entrés officiellement en guerre sans même savoir à qui nous faisons la guerre et nous intervenons au Levant, pour reprendre une expression désuète, sans même savoir avec qui nous combattons et contre qui. Un jour, nous menaçons Daech de destruction totale, l’autre nous demandons à Assad de s’en aller sans solution de rechange, et si nos alliés ne sont point nos ennemis, nous ne savons pas pour autant sur qui compter. Et dans le même temps, nous finissons par en oublier que le terrorisme plonge ses racines à l’intérieur même de la France, disposant d’un vivier haineux sans lequel il ne pourrait pas commettre ses attaques aussi facilement. Nous voici prisonniers de nos propres impérities.

Gérard Chaliand, Les guerres irrégulières: XXe-XXIe siècle : Guérillas et terrorismes, Gallimard, Folio actuel 2008. Le terrorisme, d'abord apparu avec la "guérilla urbaine" des pays Sud-Américains (Uruguay, Brésil, Argentine) puis dans l'Europe des années 70 (Italie, Allemagne). Il a pris une autre ampleur au Moyen-Orient avec le terrorisme de divers groupes palestiniens dans le cadre de "diplomaties coercitives". Il est aujourd'hui l'arme des islamistes combattants. Un ouvrage essentiel.

Paru en 2009, ce livre étudie le terrorisme moderne depuis son renouveau dans les zones urbaines en Europe et en Amérique latine dans les années 60 et 70 jusqu’à son appropriation au Moyen-Orient par les groupes palestiniens et les « diplomaties coercitives » d’Etats jusqu’à devenir l’arme des islamistes 

Pour reprendre une expression utilisée dans le titre d’une précédente chronique, il est encore temps pour la France de préciser que nous menons le combat de la vérité face à la violence, et que cette vérité signifie que la France n’a point d’ennemi. C’est important de le souligner à l’heure où nous sommes engagés sur le terrain à mener des actions qui ressemblent plus à des opérations de représailles qu’à des actions d’éradication du terrorisme, faute de base légale internationale, faute de constitution d’une coalition crédible et efficace.

Robert Doisneau // Eiffel Tower - La gargouille de Notre Dame Avril 1969

Gargouille de Notre-Dame, photo de Robert Doisneau, 1969

Enfin, nous serions légitime à rechercher sur l’exemple de la COP et d’autres organismes de l’ONU, à créer une organisation internationale destinée à lutter et éradiquer le terrorisme sous toutes ses formes, car les temps « angéliques » de la compréhension des phénomènes terroristes s’achèvent. Les méfaits d’avoir accepté par le passé que des pays ou des organisations recourrent au terrorisme ont fait des dégâts considérables. Quel que soit le combat mené par ces organisations, les victimes physiques du terrorisme sont innocentes en toutes circonstances. Aucune cause ne justifie le recours au terrorisme.

United Nations Foundation - 10 (of many) Reasons to Support the United Nations