Irving, au Texas, n’est pas Paris-Texas mais l’une de ces villes dont l’Amérique a le secret bien enfoui. Peuplée de deux cent mille habitants, elle appartient à la métropole de Dallas – Forth Worth – Arlington, connue pour son président assassiné, ses rodéos, son dancing de Country qui est le plus grand au monde et son sens des affaires : la métropole compte un nombre fort élevé de sièges sociaux de grandes entreprises américaines, dont American Airlines, ExxonMobile, sans oublier le siège national des Boys Scouts of America, tout un programme !
Siège national des boys scouts of america à Irving
Pour décrire une telle ville, il suffit de reprendre la devise de la ville voisine du comté : C’est ici que l’Ouest commence. (Where the West Begins). Ce n’est pas faux. On y trouve la plus grande statue équestre au monde qui célèbre les mustangs, ces chevaux robustes et rapides qui ont sillonné l’Ouest américain jusqu’à l’arrivée du chemin de fer.
Irving peut compter sur le chef Boyd pour nous dire ce que signifie là où commence l’Ouest : he is The Sheriff in the Town. Tout à fait involontairement, il vient de connaître son heure de gloire internationale, entrant dans la légende des chefs de la police américaine pour avoir arrêté un enfant de 14 ans, sans aller cependant jusqu’à dégaîner et le tuer sur place comme nombre de ces collègues de villes semblables comme Ferguson, Charleston et bien d’autres.
Les Dallas Cowboys à Irving, au Texas stadium
Son sang-froid mérite d’autant plus d’être souligné que la situation n’était pas évidente. La police venait d’être appelée dans un collège pour déjouer un complot terroriste, genre de situation difficile à appréhender dans un pays où les carnages dans les lycées et les universités sont monnaie courante. On ne compte plus le nombre de scènes scolaires de crime au cours desquelles un psychopathe armé jusqu’aux dents tire dans le tas jusqu’à épuisement des munitions, il existe aux Etats-Unis une sorte de concours national du flingage à-tout-va qui fait la spécificité criminelle de ce pays avec ses tueurs en série mis sur un piédestal par les séries télévisées. Bref, comme dirait Springsteen : Born in the USA.
La fontaine équestre d’Irving, célébrant les mustangs
Mais cette fois, le suspect avait des projets bien plus diaboliques que de défourailler avec une carabine ou un fusil à pompe. Il avait fait appel à la science en mettant au point une machine infernale. Nous Français, depuis l’attentat de la rue Saint-Nicaise en 1800 puis celui de Fieschi en 1835 boulevard du Temple, avons une connaissance pointue des effets possibles d’une machine infernale. L’Amérique moyenne et plus que moyenne, beaucoup moins. Ils sont habitués en matière de terrorisme au mitraillage pendant les marathons comme à Boston ou sur les bases militaires sans compter les projets machiavéliques à plus grande échelle, de type écraser des avions sur les Twin Towers à New York.
La sculpture équestre est l’oeuvre de l’artiste Robert Glen (1984)
D’une certaine façon, l’arrestation réussie d’un adolescent ayant fabriqué une pendule dont le réveil sonne en plein cours, est le témoignage que toute l’Amérique est sur le qui-vive, du professeur au policier, tous prêts à être confrontés à toutes sortes de scénarios cauchemardesques possibles, y compris les plus rocambolesques. Car il faut une suspicion paranoïaque pour qu’un professeur donne l’alerte quand un de ses élèves emporté par l’enthousiasme d’apprendre en oublie de maîtriser la sonnerie de l’horloge de sa fabrication, et que l’affaire remonte jusqu’à Washington à la Maison-Blanche tout en émouvant le monde des affaires et celui de la science.
Irving est aussi réputé pour les canaux de las Colinas
Contrairement à ce que pourrait laisser croire une telle histoire, ce ne sont pas le professeur et le chef Boyd qui sont invités à la Maison-Blanche après avoir pensé faire leur devoir. C’est l’adolescent de 14 ans, qui est invité alors même qu’il a joué avec les nerfs de son professeur d’anglais et du chef Larry Boyd, ce dernier ayant été prompt à intervenir au péril de sa vie. Il est vrai que le petit scélérat ne manquait pas d’audace et d’ingéniosité. Construire de ses mains une horloge de son invention, l’apporter au lycée où le mécanisme se déclenche sans crier gare, rien ne permettait d’exclure l’attentat kamikaze quand l’adolescent s’appelle Ahmed à Irving, Texas.
Le centre d’affaires d’Irving
Mais quelle idée de s’appeler Ahmed à Irving, Texas, au milieu des Boys scouts of América ! Il faut dire que pour la population d’Irving la situation n’est pas évidente. Depuis quelques temps, des radicaux musulmans avaient pris l’initiative de créer leurs propres tribunaux islamiques , les Sharias courts. Le maire, une femme, Beth van Duyne, a eu fort à faire pour y mettre fin.
Beth Van Duyne et le leader de la Mosquée à l’origine des « Shariah Courts »
Faisant preuve de volonté tenace, elle a obtenu du conseil municipal leur fermeture après avoir publiquement déclaré que c’était un « non-sens » au Texas . La suppression de ces « shariah courts » a entraîné des manifestations quelque peu surprenantes au pays des cow-boys, des rodéos et du country.
Manifestation, le 15 avril 2015, à Irving, Texas, à la suite de la fermeture des « charia Courts »
Alors il ne faut pas s’étonner si à Irving, Texas, on sait traiter comme il se doit celui qui sème la terreur sans même des explosifs, rien qu’avec un réveil dont la sonnerie rappelle vaguement l’amorçage d’une bombe. S’appeler Ahmed suffit pour être menotté et mener dans un centre de détention pour mineurs où ses parents sont allés le rechercher, le chef Boyd expliquant que ce traitement lui avait été infligé ‘pour sa sécurité et celle des policiers », ajoutant qu’aucune poursuite ne serait engagé contre l’apprenti horloger, trouvant cependant nécessaire de préciser que la police aurait réagi de la même manière avec tout autre enfant. On n’en doute pas un instant.
Intérieur du Texas Stadium à Irving où le Superbowl se joue parfois
Le débat sur ce dernier point est engagé. Ahmed, 14 ans, pourra d’ailleurs en discuter avec Barack Obama, chef de l’US Army, Mark Zuckerberg, patron de Facebook ou encore des scientifiques de la NASA qui l’ont aussi invité car au moment des faits, il portait un T-shirt de l’agence spatiale américaine.
On n’est pas plus « chauvin » qu’ailleurs au Texas, mais pas moins tout de même
Tous les enfants d’Amérique sont-ils traités de la même façon par la police américaine ? Sur un point tout de même, on peut s’accorder. Ahmed aurait été noir, il serait mort. il y aurait eu de grandes chances que la police eut d’abord tiré. C’est une tradition vivace. On ne se refait pas, le Texas est le Texas et ses prisons débordent de jeunes Noirs faute que les procédures judiciaires d’exécution ne soient pas assez expéditives. Un bon Noir à Dallas, à Houstonet partout ailleurs dans le Texas est un Noir mort, à la rigueur enfermé au pénitencier. Les statistiques sont là pour le prouver.
Rodéo à Irving
Sur un autre point, il peut y avoir aussi consensus. Ahmed aurait été un WASP, un White anglo-saxon Protestant, l’un de ces Américains blancs descendants des premiers colons pour simplifier, il est probable que le Chef Boyd l’eut invité au prochain rodéo de la police d’Irving et qu’il eut été fait garçon d’honneur du bal Country annuel de « l’amicale des flingueurs en toute impunité » qui a succédé à la société dissoute des « amis du Ku-Kux-Klan ». Peut-être même qu’il aurait été appelé à intervenir au nom des Boy scouts of America.
Il n’y a pas que des Boy scouts à Irving, il y a aussi des Girl scouts.
Sur un dernier point, on peut aussi être d’accord. Ahmed aurait été un fils d’immigrant « Latino » en situation illégale de surcroît, toute la famille serait retournée menottée au Mexique qui n’est distant que de 500 miles, à peine sept heures par la route.
Au pays du rodéo, on ne lâche jamais rien
Reste à savoir quel sort aurait été réservé à Ahmed s’il avait été un adolescent chinois passant son temps à bricoler dans son garage. Il serait probablement déjà à la tête d’une start-up, proposant une application Chief Boyd sur mobile ou vendant par internet l’horloge d’Irving avec sonnerie intégrée pour interrompre les cours en classe, ce qui fera forcément fureur dans les collèges et lycées du monde entier.
Car l’Amérique est toujours surprenante : un gamin se fait coffrer dans des circonstances extravagantes et le voilà invité à la maison-Blanche où il visitera certainement le potager de la First Lady. On ne peut écarter l’hypothèse aujourd’hui que Bonnie Parker et Clyde Barrow suivraient le même chemin au pays de « Law and Order » (ci-après photo deP arker et Barrow prise à Sower roads, Irving)
Ce n’est pas en France qu’une telle histoire peut arriver. D’abord, nous sommes The pays of les droits de l’homme ; ensuite, la police est républicaine en toutes circonstances, y compris lors des contrôles sur la voie publique qui ne sont jamais au faciès, c’est bien connu, les chiffres de la police de la police sont là, circulez ; et puis de toute façon, il ne viendrait pas à l’idée d’un professeur de collège d’inciter les adolescents à développer leur esprit de curiosité en ayant comme lobby la fabrication d’horloge électronique, l’apprentissage poussif du français et des maths suffit à meubler les cours. C’est une histoire trop loufoque, trop éloignée de la réalité de nos collèges à la dérive pour qu’elle puisse arriver.
Le plus surprenant dans cette histoire si actuelle qui aurait pu intervenir un peu partout sur terre en ces temps de folie terroriste engendrant doutes et craintes, ce n’est pas la réaction intempestive du professeur ni même celle du chief Boyd, encore moins l’esprit de curiosité d’Ahmed devenu la star du buzz d’un jour, rien de tout cela ne surprend.
Au rodéo, comme chez les scouts, il n’y a pas que des hommes, il y a des femmes aussi (1930s)
En revanche que cela se passe à Irving et que « le chief » s’appelle Boyd à de quoi étonner et prêter à sourire pour ceux qui aiment la littérature. Comment ne pas penser à John Irving, romancier et scénariste américain, auteur d’innombrables best-sellers tels que Le monde selon Garp, L’oeuvre de Dieu la part du diable ou Dernière nuit à Twisted river. Nombre de ses livres ont été suivis de la réalisation d’un film.
Et comment ne pas songer aussi à William Boyd, lui aussi écrivain et scénariste, d’origine écossaise alors qu’Irving est américain. Il a écrit un Anglais sous les tropiques, Brazzaville plage ou encore la Vie aux aguets, un intéressant roman d’espionnage situé pendant la Seconde guerre mondiale et fondé sur une part de réalité.
S’il fallait choisir entre l’un des deux auteurs pour bâtir un scénario à partir de cette histoire d’accusation grotesque d’apprenti terroriste à partir d’une sonnerie de pendule, William Boyd paraît plus convaincant. Après tout, il a été choisi par la famille Fleming comme scénariste des actuels James Bond, et ce dernier, ces temps-ci, serait sur la brêche s’il existait. D’ailleurs, le gars ressemble de plus en plus à un croque-mort.
Ce qui n’est pas le cas de feu William Boyd, l’acteur qui nous ramène chez les Texans. Né en 1895, mort en 1972, il devint célèbre en jouant un rôle de cowboy, Hopalong Cassidy, dans pas moins de soixante films entre 1935 et 1948, devenant une légende du western.
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On peut même se demander si les temps ont changé à Irving, Texas, depuis l’époque d’Hopalong Cassidy. Beth van Duyne, la maire, rappelle à la Loi, et Chief Boyd maintient l’ordre. Là où tout se complique, c’est quand Ahmed amène une horloge au collège.