L’Auteur virtuel reprend du service pour participer à sauver Notre-Dame de Paris en rappelant que les lieux sont consacrés aux pierres vivantes et que ce sont les chênes des forêts et des druides gaulois, qui en constituaient la charpente comme le souligne Chateaubriand dans le chapitre consacré aux églises gothiques dans le Génie du Christianisme. Ce « patrimoine de l’Univers » vaut bien plus qu’une messe. C’est l’âme de la Nation.
Ce que ni les guerres ni les révolutions, pas même les intempéries, n’ont réussi à détruire depuis 312.650 jours que Notre-Dame de Paris a été entrepris, les impérities de la bureaucratie d’Etat ont consumé misérablement en une nuit ce qui nous reliait à la foi admirable des bâtisseurs gothiques de l’édifice chrétien, mais aussi à l’origine sacrée des forêts des Gaules, que le bois de chênes de la charpente justement appelée la forêt, a perpétué bien au-delà de la disparition des druides.
Une nouvelle fois, l’Etat moderne, ravageur ravagé, tout préoccupé du prestige trompeur de sa mauvaise puissance, laisse la France humiliée et abîmée, ce qu’un architecte des monuments historiques personnifie allègrement dans cette comédie noire en transportant, tout heureux, un coq gaulois retrouvé sous les décombres de la fureur incendiaire, ignorant qu’au dessus de lui, l’oeil de la Providence n’a cessé de veiller pour que, dans le « grand jeu divin« , l’angoisse de fin de la civilisation n’en vienne à obscurcir l’avenir comme une pluie de cendres qui aurait emporté tout l’édifice.
Le coq retrouvé de la flèche porté par celui qui a concouru, ceteris paribus, à le détruire.
Nous, contemporains de cette destruction inédite de la charpente millénaire de Notre-Dame de Paris, sommes confrontés à une situation impensable dans l’ordre de l’intelligence humaine et irrecevable dans l’ordre de l’esprit, issue pourtant de la constatation banale d’une défaillance inouïe de l’Etat au premier chef. Liés ensemble à rien, la mauvaise fortune et le destin funeste ont donné naissance à une étincelle qui provoqua, au grand dam de la cathédrale, la propagation irrésistible d’un incendie ressemblant au feu de l’une de ces comètes décrivant des courbes dans les abîmes du ciel pour, soudainement, échapper à tout calcul et ne procéder que de Dieu lorsqu’elle laboura la terre et les ouvrages des hommes.
Le plus étrange dans cette affaire est que l’essentiel des biens cultuels et matériels ont survécu au feu ardent nocturne qui éclairait par intermittence la voûte céleste, pour épargner les voûtes de pierre de la destruction totale lorsque la flèche qui montait au ciel s’effondra. C’est là une grande énigme qui nous invite à songer que notre avenir n’est pas sur la terre, une terre uniquement destinée à accueillir nos misères et nos grandeurs, ce qui est peu de choses.
Il nous revient alors qu’en 1802, le vicomte de Chateaubriand avec tous les habitants de la Cité, entendit le bourdon de Notre-Dame de Paris pour la première fois depuis une décennie, un bourdon qui avait résisté aux insultes de la Révolution, et dont la renaissance carillonnante, triomphant de la sanglante Terreur, oeuvra à propager le romantisme en incitant, dans l’instant, Chateaubriand à écrire le Génie du Christianisme.
Bourdon, où est ton aiguillon ?
Ce livre n’est plus beaucoup lu, à peine cité. On lui préfère les Mémoires d’Outre-tombe, un récit comme l’Itinéraire de Paris à Jérusalem, ou un roman tel que René. C’est fort dommage. Le Génie du Christianisme tient une place unique dans la littérature française en portant sur les fonds baptismaux le mouvement romantique qui reçoit ses lettres de noblesse. C’est dans ce livre que s’y trouve la source première des Lettres modernes. A la suite de Pascal, l’auteur des Mémoires, adapte à ces siècles de mort et d’oppression nés de la chute, l’invention de la Croix, qui exhorte : prions pour tout ce qui souffre sur la terre.
La chute de la flèche de Notre-Dame nous rappelle que le Temps échappe pour l’essentiel au contrôle et aux calculs des hommes et que la liberté est le premier des biens, la source féconde des grandes actions destinées à faire le Bien à autrui : » Le christianisme, stable dans ses dogmes, est mobile dans ses lumières ; sa transformation enveloppe la transformation universelle. Quand il aura atteint son plus haut point, les ténèbres achèveront de s’éclaircir ; la liberté, crucifiée sur le Calvaire avec le Messie, en descendra avec lui ; elle remettra aux nations ce nouveau testament écrit en leur faveur et jusqu’ici entravé dans ses clauses… Quand viendra ce jour désiré ? » (M.O.T, L VXII chap. 16, tome IV)
La destruction par le feu de Notre-Dame nous rappelle enfin ce passage du chapitre 2 de la 1ère épître de Saint Pierre, verset 4-5, qui évoque les seules pierres qui méritent notre attention, celles qui appartiennent au véritable patrimoine de l’Univers, les pierres vivantes, qui de toute éternité, figurent sous les décombres du labyrinthe disparu des bois : Approchez-vous de lui, pierre vivante, rejetée des hommes, il est vrai, mais choisie et précieuse devant Dieu ; et vous-mêmes comme des pierres vivantes, entrez dans la structure de l’édifice, pour former un temple spirituel, un sacerdoce saint, afin d’offrir des sacrifices spirituels, agréables à Dieu, par Jésus-Christ. Car il est dit dans l’Ecriture : « Voici que je pose en Sion une pierre angulaire, choisie, précieuse, et celui qui met en elle sa confiance ne sera pas confondu ».
On trouvera ci-après le chapitre 8 de la partie 3 du Livre I consacré aux églises gothiques, qui est une invitation à lire ou relire le Génie du Christianisme, si loin de nos temps barbouillesque et gargouillesque de mort et d’oppression.
Chapitre VIII – Des Églises gothiques (Le Génie du Christianisme)
Chaque chose doit être mise en son lieu, vérité triviale à force d’être répétée, mais sans laquelle, après tout, il ne peut y avoir rien de parfait. Les Grecs n’auraient pas plus aimé un temple égyptien à Athènes que les Egyptiens un temple grec à Memphis. Ces deux monuments changés de place auraient perdu leur principale beauté, c’est-à-dire leurs rapports avec les institutions et les habitudes des peuples. Cette réflexion s’applique pour nous aux anciens monuments du christianisme. Il est même curieux de remarquer que dans ce siècle incrédule les poètes et les romanciers, par un retour naturel vers les mœurs de nos aïeux, se plaisent à introduire dans leurs fictions des souterrains, des fantômes, des châteaux, des temples gothiques : tant ont de charmes les souvenirs qui se lient à la religion et à l’histoire de la patrie ! Les nations ne jettent pas à l’écart leurs antiques mœurs comme on se dépouille d’un vieil habit. On leur en peut arracher quelques parties, mais il en reste des lambeaux, qui forment avec les nouveaux vêtements une effroyable bigarrure.
On aura beau bâtir des temples grecs bien élégants, bien éclairés, pour rassembler le bon peuple de saint Louis et lui faire adorer un Dieu métaphysique, il regrettera toujours ces Notre-Dame de Reims et de Paris, ces basiliques toutes moussues, toutes remplies des générations des décédés et des âmes de ses pères ; il regrettera toujours la tombe de quelques messieurs de Montmorency, sur laquelle il soulait se mettre à genoux durant la messe, sans oublier les sacrées fontaines où il fut porté à sa naissance. C’est que tout cela est essentiellement lié à nos mœurs ; c’est qu’un monument n’est vénérable qu’autant qu’une longue histoire du passé est pour ainsi dire empreinte sous ses voûtes toutes noires de siècles. Voilà pourquoi il n’y a rien de merveilleux dans un temple qu’on a vu bâtir et dont les échos et les dômes se sont formés sous nos yeux. Dieu est la loi éternelle ; son origine et tout ce qui tient à son culte doit se perdre dans la nuit des temps.
On ne pouvait entrer dans une église gothique sans éprouver une sorte de frissonnement et un sentiment vague de la Divinité. On se trouvait tout à coup reporté à ces temps où les cénobites, après avoir médité dans les bois de leurs monastères se venaient prosterner à l’autel et chanter les louanges du Seigneur dans le calme et le silence de la nuit. L’ancienne France semblait revivre : on croyait voir ces costumes singuliers, ce peuple si différent de ce qu’il est aujourd’hui ; on se rappelait et les révolutions de ce peuple, et ses travaux et ses arts. Plus ces temps étaient éloignés de nous, plus ils nous paraissaient magiques, plus ils nous remplissaient de ces pensées qui finissent toujours par une réflexion sur le néant de l’homme et la rapidité de la vie.
L’ordre gothique, au milieu de ces proportions barbares, a toutefois une beauté qui lui est particulière.
Les forêts ont été les premiers temples de la Divinité, et les hommes ont pris dans les forêts la première idée de l’architecture. Cet art a donc dû varier selon les climats. Les Grecs ont tourné l’élégante colonne corinthienne avec son chapiteau de feuilles sur le modèle du palmier. Les énormes piliers du vieux style égyptien représentent le sycomore, le figuier oriental, le bananier et la plupart des arbres gigantesques de l’Afrique et de l’Asie.
Les forêts des Gaules ont passé à leur tour dans les temples de nos pères, et nos bois de chênes ont ainsi maintenu leur origine sacrée. Ces voûtes ciselées en feuillages, ces jambages qui appuient les murs et finissent brusquement comme des troncs brisés, la fraîcheur des voûtes, les ténèbres du sanctuaire, les ailes obscures, les passages secrets, les portes abaissées, tout retrace les labyrinthes des bois dans l’église gothique, tout en fait sentir la religieuse horreur, les mystères et la divinité. Les deux tours hautaines plantées à l’entrée de l’édifice surmontent les ormes et les ifs du cimetière et font un effet pittoresque sur l’azur du ciel. Tantôt le jour naissant illumine leurs têtes jumelles ; tantôt elles paraissent couronnées d’un chapiteau de nuages ou grossies dans une atmosphère vaporeuse. Les oiseaux eux-mêmes semblent s’y méprendre et les adopter pour les arbres de leurs forêts : des corneilles voltigent autour de leurs faîtes et se perchent sur leurs galeries. Mais tout à coup des rumeurs confuses s’échappent de la cime de ces tours et en chassent les oiseaux effrayés. L’architecte chrétien, non content de bâtir des forêts, a voulu, pour ainsi dire, en imiter les murmures, et au moyen de l’orgue et du bronze suspendu il a attaché au temple gothique jusqu’au bruit des vents et des tonnerres, qui roulent dans la profondeur des bois. Les siècles, évoqués par ces sons religieux, font sortir leurs antiques voix du sein des pierres et soupirent dans la vaste basilique : le sanctuaire mugit comme l’antre de l’ancienne Sibylle, et tandis que l’airain se balance avec fracas sur votre tête, les souterrains voûtés de la mort se taisent profondément sous vos pieds.
Un dernier chant polyphonique pour la route, un Stabat Mater, à l’office des Rameaux le jour qui précéda l’incendie de l’édifice : Fais que mon coeur s’enflamme…, n’était vraiment pas à prendre au pied de la flèche…
En attendant la reconstruction de Notre-Dame de Paris, un tour de France des cathédrales s’impose de crainte que l’incurie de l’Etat n’en vienne à les faire toutes disparaître