Il faut sauver la fillote Esperluette

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Le françois n’est plus, le français se meurt. Après avoir lancé un cri d’alarme pour arracher la comtesse de Ségur du despotisme politiquement correct, voici qu’il nous faut sauver la fillote Esperluette des improvisations des courtisans de ce temps décidés à apporter quelques nouveautés au langage françois par quelques courtisanismes modernes et quelques singularitez courtisanesques. Préparons-nous à se débrouiller avec  un francai débroussaillé de toutes complications pour une dernière vadrouille dans les improvisations feufollesques d’une langue universelle menacée de voir son âme se perdre, emportée par quelques couillons de pissotière qui nous abreuvent ces jours-ci en ardentes obligations passementées alors que le langage quel qu’il soit, n’est qu’usage à l’épreuve du temps.

Dans cette étrange affaire de l’accent circonflexe jeté aux orties orthographiques, le plus curieux n’est pas de vouloir l’abandonner ; en fait, le renoncement est la pente fatale de tous les faquins et coquins qui vous expliquent pourquoi la vie serait plus belle en évitant de se la compliquer à s’encombrer de choses apparemment inutiles.

Salle où se tient les séances à huis clos de l’Académie française, le jeudi à 15 H

A ce titre, voici un bel  exemple d’inconscience, tout y est plus facile, le bonheur n’est pas que dans le pré mais aussi dans les cours de récréation : J’enseigne en nouvelle orthographe… et tout va bien. C’est fou comme on se sent plus léger sans cet accent épouvantable, ^, c’est un peu comme réussir une cure d’amaigrissement : ce qui compte c’est la perte de poids pourvu que le corbillard soit à l’heure pour accueillir le cercueil plus léger.

Les arguments de simplicité apparente portent.  Ils semblent logiques et rassurants sur la route du bonheur des instituteurs qui ne seraient plus des maîtres, mais de simples maitres. Toutes choses égales, c’est comme notre ligne Maginot d’avant 40, on se sent à l’abri orthographique avant le déferlement de la barbaresque phonétique. On peut comprendre qu’il soit salutaire de les débarrasser du fardeau de quelques accents circonflexes, trémas et autres bizarreries de la langue française, surtout si la proposition de simplification a été faite en 1990, deux-cent-cinquante ans plus tard, par l’Académie française qui fut à l’origine de l’imposition du corset orthographique et grammatical de la langue française lors de la publication de la 3ème édition de son dictionnaire en 1740. D’une certaine façon, ce que Dieu a fait de la langue française qui est une bien longue histoire puisée jusque dans la Bible, l’Académie française circonspecte peut le défaire maintenant que l’accent circonflexe ne sert plus à rien, ou presque.

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Après tout, on peut hachurément vivre sans accent circonflexe. De là à se passer de mille accents circonflexes sans savoir pourquoi, c’est une autre affaire. Qui sait en effet que ce foutu accent circonflexe est un signe qui nous relie depuis plus de mille ans à la langue anglaise et que ce serait grand dommage de perdre ainsi ce qui nous rapproche et nous unit sans même le savoir. La France a beau vivre en univers cartésien, l’usage d’une langue doit rester libre, sans carcan normatif, voire idéologique  lorsque les simplifications orthographiques ou grammaticales s’accompagnent d’un charabia sur l’égalité des chances à l’école. Chassez l’accent circonflexe que nos linottes perchées sur un fil orthographique ou sur un arbre grammatical  ne sauraient voir et comprendre !

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Etablissement de l’Académie française en 1635 par le cardinal Richelieu

Toute la France, les pays francophones et le monde entier se passionnent pour cette querelle fichtrement et bougrement française de l’accent circonflexe : nous devons cette poétique création à cette merveilleuse institution encroûtée qu’est l’Académie française et que l’univers, une fois encore, nous jalouse et nous envie. Il s’agissait alors en 1740 de se débarrasser de tous ces « S » défunts en français, qui n’étaient plus prononcés depuis le XIIIème siècle lorsqu’ils étaient suivis d’une autre consomme dans la même syllabe : les petits Français ont, en effet longtemps appris que cet accent circonflexe, le fameux « petit chapeau », remplaçaient une consonne disparue dans la prononciation, le plus souvent un S. Désormais, ils n’entendront plus parler de cette tradition jetée aux requins de l’alphabétisation artificiellement simplifiée.

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Au pilori le lutin, au pilon le bouquin!

Pourtant, cette tradition n’est pas sans intérêt, suscitant la curiosité et donc l’éveil intellectuel, quand dans le même temps, le petit Français apprenant l’anglais, ‘The English », découvre que de nombreux mots anglais empruntés au français, plus exactement au « moyen-français », ont gardé cet « S » éffaçé du dictionnaire français en 1740 pour s’envoler avec l’accent circonflexe. En voici une liste exhaustive dont nos successeurs en perdront la subtile compréhension d’autant que la nouvelle règle ne s’applique pas à toutes les voyelles pour des motifs d’énonciation pas forcément très clairs :

  • albâtre / alabaster
  • ancêtre / ancester
  • bâtard / bastard
  • cloître / cloister
  • conquête / conquest
  • côte / coast
  • coût / cost
  • crête / crest
  • croûte / crust
  • forêt / forest
  • hâte / haste
  • honnête / honest
  • huître / oyster
  • guêpe / wasp
  • maître / master
  • mât / mast
  • pâtisserie / pastry
  • pâturage / pasture
  • prêtre / priest
  • quête / quest
  • rôti / roast
  • tempête / tempest

Tempête Britannique - Le blog de Anne

Tempête Petra en Cornouailles, le 5 février 2014, dans le port de pêche de Porthleven : avec l’accent ou pas, The Tempest comme dirait Shakespeare ?

Personne ne mourra en France pour continuer de porter un « petit chapeau » mystérieux sur certaines voyelles. Les Français préfèrent les bérets, qui vient du gascon berret. Laissons le haut-de-forme aux Anglais qui ont toujours eu le melon, et le casque à pointe aux Allemands qui ont renoncé à le porter mais défendent toujours sur la ligne Siegfried imaginaire l’umlaut germanique.

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Que ce soit à l’armée ou dans le Béarn à Ossau, les Français tels qu’Auguste Rodin, ont toujours préféré le béret au « petit chapeau », surtout orthographique. L ‘auteur virtuel en a apporté la preuve dans des chroniques : les actrices, les artistes, les guerriers, black panthers.  

De même aligner chariot sur tous les autres substantifs dérivés de char en doublant la consonne r, peut sembler de bon aloi, mais c’est ignorer les aléas de la langue qui en font sa beauté. Les multiples dérivés français de char, tels que charrette, charrue, charron, charroi, charretier ou charrier, proviennent du mot latin carrus devenu char, mais ce mot latin est un emprunt au gaulois, les Romains ignorant les grands chariots utilisés par les Gaulois pour leurs déplacements avec armes et bagages. Le mot latin Carruca, d’où vient charrue, a la même origine gauloise alors que le verbe charger s’il remonte à la même racine, est une transformation du bas-latin caricare qui n’a qu’un r à la différence de carrus. D’où vient aussi le mot carrosse emprunté à l’italien carroza au XVIè siècle, le mot carriole ayant pour racine le char gaulois, mais cette fois par l’intermédiaire de l’ancien provençal, toujours au XVIè siècle.

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Arrête ton char Ben-Hur ! est une expression gauloise dont on a gardé de précieux témoignages

La postérité du char gaulois ne s’arrête pas là : caricare, le mot latin qui veut dire charger, « qui pèse lourd » est devenun onerare qui signigfie « qui coûte cher » d’où l’adjectif onéreux en français tandis que l’expression latine via carreria qui signifie voie carrossable est devenu en ancien provençal carriera, chemin pour voitures, qui se transformera en carrière au sens de chemin professionnel, de profession.  Et à la fin du XIXè, par le chemin tortueux de l’anglais qui l’a emprunté au normand du Moyen âge, revoici le char gaulois transformé en car qui signifie voiture Outre-Manche mais bus en français, de même qu’au début du XXè, l’anglais nous transmet en héritage le cargo, abréviation de cargo boat emprunté à l’espagnol.

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Guillaume Le Conquérant est connu aussi sous le nom de Guillaume le Bâtard, avec accent !

Jusqu’au terme bagnole qui possède le même suffixe que carriole est emprunté au chariot gaulois à quatre roues, par l’intermédiaire du mot gaulois benne qui nous rappelle qu’il faut y réfléchir à deux r à la fois, avant d’ajouter un r à chariot au lieu de le jeter à la benne à ordures.

La langue française raconte tout simplement l’histoire de France et des Français depuis ses origines  qui se rattachent au tronc commun de la famille indo-européenne regroupant une dizaine de branches ayant pour parenté linguistique le sanskrit, le grec et le latin. Les six principales branches que sont l’albanais, le balto-slave, le celtique, le germanique, l’hellénique et l’italique, regroupent une cinquantaine de langues principales dont une dizaine ont disparu faute de combattants combatifs, tels que le burgonde, le celtibère, le dalmate, le gaulois, le gotique, l’illyrien, le vénète, l’ombrien, l’osque et jusqu’au vieux prussien.

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Pour que l’épopée de la langue française puisse se poursuivre longtemps, il serait bel et bien bon de cesser d’interférer  benoîtement dans son usage en imaginant à tort qu’une langue peut marcher au pas de l’oie qui n’est pas une tradition française. Toute notre histoire s’inscrit dans la langue française qui est par ses apports successifs d’une richesse incroyable, témoignage de millénaires de peuplement et d’échanges, qu’ils soient celte, gaulois, grec, romain, germanique, viking, arabe, anglais ou autres, avant que cette langue ne prenne le large pour s’enrichir d’enracinements successifs en Acadie, Louisiane et Québec ou encore en Caraïbe, Afrique, Asie et Pacifique, pour devenir une langue universelle confrontée à la mondialisation y compris linguistique qui s’appuie sur un millier de « mots sans frontières » à vocation internationale tels que taxi, radio, hôtel, café, chocolat ou même acrobate.

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Lorsque François Ier imposa aux actes administratifs et judiciaires l’usage du seul langaige maternel françois » par l’ordonnance de Villers-Cotterêts en 1539, il n’a fait qu’officialiser une situation de fait généralisée à l’ensemble du territoire, à l’exception de quelques îlots de résistance tels que certains tribunaux parisiens qui se gavaient encore au latin. Mais les manuels ou traités en français de médecine, de biologie, de géométrie ou d’arithmétiques sont inexistants, et l’engouement pour l’Italie de la Renaissance conduit à ce que la langue italienne séduise les courtisans qui laissent entrer dans la langue française des centaines de mots italiens dont nombre d’entre eux disparaîtront d’eux-mêmes, une fois passée la mode italianesque qui n’est pas sans rappeler cette attirance actuelle des bigots informaticiens pour le charabia anglophone.

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Robert Estienne, imprimeur royal pour l’hébreu, le latin et le grec

L’académie française alors, n’existait pas. C’est à un particulier, Robert Estienne, que l’on doit la même année, en 1539, la publication du premier dictionnaire de français qui est en fait un dictionnaire françoislatin, premier ouvrage destiné non pas à faciliter la compréhension du latin mais à propager la connaissance du français auprès des lecteurs. Robert Estienne énonça trois principes qui sont toujours d’application en matière de dictionnaires :

  • donner des précisions sur la prononciation, la graphie et la grammaire
  • enrichir de citations
  • apporter à l’occasion des remarques prescriptives, comme par exemple pour le mot « cueur » , aujourd’hui  coeur : il semble plus raisonnable d’écrire Coeur, comme boeuf, Soeur, Moeurs.

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Le premier dictionnaire de français paru en 1539, édité par Robert Estienne, contenant les mots & manieres de parler Francois, tournez en latin

Ce sont ces principes qui devraient toujours prévaloir en décrivant simplement le « bel usage » que l’Académie française définira ultérieurement lors de l’élaboration de ses premiers dictionnaires entre 1635 et 1694, et qui est celui des meilleurs auteurs de l’époque. Ce principe est fort éloigné de la chasse ouverte à l’accent circonflexe menacé d’interdiction orthographique. Peut être même qu’un jour, toujours pour simplifier la graphie ou faire de la place sur les claviers, des barbares s’en prendront à l’esperluette ou la perluette, qui finira, pauvre fillote, étranglée, victime de nos moeurs barbares de simplification. C’est sans doute sans importance. Mais comme l’a fort bien expliqué en son temps Dombrovski à propos de la faculté de droit devenue la faculté de l’inutile sous Staline, à force d’oukases, de lois, de décrets, de normes, de circulaires, de directives imposant des obligations tout aussi monstrueuses que kafkaïennes, nous en finirons par en perdre le peu de latin ou de celte qui nous reste, ayant tout oublié du grec ou du viking, largement embourbés dans le franglish, à la vaine recherche de l’esperluette perdue, &.

Pour aller plus loin :

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Première page de l’ordonnance de 1539