Aux Sources du monde

Peintres et Santé: Une mort annoncée : Paul Gauguin

Le hasard des circonstances a voulu ces derniers jours que l’auteur virtuel se retrouve comme le plus grand nombre à n’être plus autorisé à se rendre au marché (voir Ta Matete, le marché, de Paul Gauguin, en fin de chronique ).  Parcourant trois anciennes chroniques écrites à plusieurs années d’écart dans un appartement confiné de par l’affaiblissement des deux résidents atteints au même moment de la maladie d’Alzheimer, il a réalisé que la jonction de ces trois chroniques aboutirait à constituer un triptyque où se répondent les murmures de souvenirs puisés aux sources du monde. Transmis de génération en génération, ils répondent ainsi à l’appel de la liberté créatrice que constituent l’écriture, la peinture et la musique réunies, trois arts intimement mêlés et indissociables qui, avec le goût et l’odorat, rassemblent les cinq sens du corps humain. Ces cinq sens forment le véritable Coeur intelligent des hommes libres pour constituer ensemble le sixième sens mystérieux qui est le don de l’Amour.

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La Dame à la licorne, le sixième sens, Musée du Moyen-âge de Cluny

La constitution de ce triptyque composé au fil des saisons est issue d’une réflexion à partir d’une oeuvre de Paul Gauguin : D’où venons-nous? Que sommes-nous? Où allons-nous?, peinte à Tahiti en 1897-1898 et conservée au musée des Beaux-arts de Boston. Voici ce triptyque, véritable testament littéraire de la liberté créatrice en marche, une liberté qui donne à notre vie et notre destinée, tout son caractère.

 

I- D’où venons-nous ? Vas où tu veux, meurs où tu dois

(10 mars 2015)

 

Une admiratrice, car l’auteur virtuel compte parmi ses innombrables lectrices au moins une admiratrice déclarée, me demande ce que je pense du dicton favori de sa grand-mère, I eo vis, morere ubi debes, c’est à dire Vas où tu veux, meurs où tu dois. Vaste sujet pour l’auteur virtuel qui est à la philosophie ce que le chimpanzé est au sport prototype, une spécialité tout en dérapage et tête-à-queue. Mais puisqu’il a pris l’engagement de répondre à toutes les questions angoissées qui lui seraient soumises, va bene, de profundis clamavi ad te Domine, un peu de latin de bénitier, en l’occurrence le psaume 130, ne fera pas de mal avant d’attaquer la question, encore que la traduction rimbaldienne d’Une saison en enfer semble mieux convenir pour cet exercice : De profundis domine, suis-je bête !

Le dicton a un mérite, il laisse toujours une porte ouverte. Ainsi de celui-ci où l’on peut à rebours comprendre que si tu ne vas pas où tu veux, tu ne meurs pas où tu dois, ce qui est assez logique puisque tu ne sais où tu vas. Et si tu vas où tu ne veux pas, et bien alors, tu meurs où tu ne dois pas. Nous voici donc au coeur de la fatalité, qui est notre destin commun. Arrive ce qui doit arriver.

Si nous en croyons le site Evene, on trouve une première trace de cette citation dans un manuscrit anonyme du XVème siècle. Que l’auteur de cette phrase soit un anonyme est assez remarquable, il eut été assez ennuyeux que ce fut un grand auteur qui s’exprimât ainsi. L’anonymat est une garantie de sérieux. C’eut été Sartre ou Camus, suivant les principes chers à l’éducation nationale, on applaudissait d’abord, on ne réfléchissait pas pour applaudir à nouveau. Malheureusement l’anonyme de service remonte au XVème siècle. Il sera difficile de le retrouver.

Ce qui fait penser que sur le sujet du destin des hommes, les meilleurs sont, sans contestation possible, les Egyptiens qui avec leurs rites funéraires autorisent les cours de rattrapage pour accéder au royaume des morts et au repos éternel : un peu d’embaumement, quelques statues et offrandes à côté du sarcophage pour accompagner le défunt dans le long chemin vers le jugement de l’âme, et le tour est joué : mourir ne relève pas plus du destin que du hasard, seulement de circonstances plus ou moins hasardeuses qui n’empêchent pas Isis de faire de son époux assassiné, Osiris, un souverain éternel après l’avoir momifié. Les pharaons sont aussi doués en dessin qu’en destin, tel est leur dessein : jeu de mots facile qui permet de gagner un peu de temps avant de répondre à une question pour laquelle nous sommes sans compétence. Suis-je bête que de s’aventurer à donner des leçons, aurait dit Rimbaud !

Pour aller plus loin dans notre réflexion éclairée, retournons-nous vers le site Evene. Celui-ci nous propose quelques citations définitives, qui nous remet dans le droit chemin de notre destinée. La citation est la réflexion du pauvre, son dernier îlot de résistance face aux trépanations trépidantes du philosophe averti.Ainsi, Voltaire, dans Zadig ou la destinée, nous affirme qu’ il n’y a point de hasard. La sentence est sans discussion, passez votre chemin, pas de hasard en route, juste des déconvenues probablement. Mais si tout est écrit à l’avance là-haut, c’est ennuyeux en cas d’erreurs impromptues qui vous gâchent la vie, on évitera alors de passer sous une échelle ou de croiser un chat noir. Certaines rencontres ne relèvent pas du hasard mais de la nécessité, reste à savoir lesquelles, de quoi susciter intrigues et incertitudes tout de même.

Diderot de son côté est tout aussi catégorique dans le Neveu de Rameau : A quoique ce soit que l’homme s’applique, la nature l’y destinait. C’est un peu désespérant. Vous aurez beau faire ou ne pas faire, tout est écrit, de toute façon la nature vous y destine. Elle a bon dos la nature ! Un homme boit, fume, s’en va aux putes sans se couvrir, il attrape le sida, ses poumons s’enfument et son foie ronchonne, la nature l’y destinait, c’est évident.Quant à Arthur Schopenhauer il est tout sauf un fantaisiste : quand on a écrit des oeuvres comme De la quadruple racine du principe de raison suffisante ou bien Le monde comme volonté et comme représentation, on se doute que le bonhomme détient quelques arguments philosophiques à balancer sur le sujet. Selon lui, donc, le destin mêle les cartes et nous jouons. A la réflexion, il ne prend pas trop de risques, Schopenhauer. On ne sait pas trop comment les cartes sont battues et comment nous jouons, pas même à quel jeu, bataille, poker ou bridge ? A moins que ce ne soit avec un jeu de soixante-dix-huit cartes, le tarot, son pendu et son excuse toute prête à vous arranger une destinée de choix ! Le principe s’applique à tout. C’est bien vu. c’est à cela que nous reconnaissons les grands philosophes, leur art de tout emmêler avec précaution en naviguant avec allégresse dans les encombrements incertains des pensées confuses.

Gao Xingjian, écrivain français d’origine chinoise, a obtenu le prix Nobel de littérature en l’an 2000 avec la Montagne de l’âme et le Livre d’un homme seul. Si les administrateurs du Nobel lui ont donné le prix, c’est qu’il le méritait bien. Nous devons donc prendre au sérieux son affirmation : le destin se moque des hommes, même si le contraire peut être vrai, le destin ne se moque pas des hommes, sans compter que si les hommes se moquent du destin, ils peuvent ne pas s’en moquer, allez savoir ou pas,  tout est affaire de réciprocité. Avec tout cela, on n’est guère avancé.

C’est un peu le problème avec les dictons et les citations ressorties de leur contexte pour servir dans les dissertations et les discours, on peut leur faire dire tout et n’importe quoi. Tenez prenez Théophile Gautier qui s’y connaît en destins fracassants, le hasard le rend bavard et lyrique : Le hasard c’est peut-être le pseudonyme de Dieu quand il ne veut pas signer. Voilà que Dieu a un pseudonyme et que celui-ci serait le hasard quand il ne veut pas signer. Et quand il signe, c’est quoi le pseudo de Dieu ? Jupiter, Zeus, Jésus, Allah, Yahvé ? Allez savoir. Ces écrivains sont épuisants à faire dans la métaphore ou l’anaphore, à oeuvrer dans les ruses de sioux pour se promener tranquillement dans la banalité la plus plate au milieu des joncs et des nénuphars.

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Le plus clair en matière de hasard et de destinée, est Georg Philipp Friedrich, baron von Hardenberg, ayant choisi comme pseudonyme Novalis et non Hasard, un pseudonyme déjà emprunté par Dieu lui-même. Voici un auteur remarquable méconnu de ce côté du Rhin dont le destin, abrégé par la maladie, est interrompu à l’âge de  vingt-neuf ans, en 1801, laissant derrière lui une oeuvre gigantesque comprenant notamment Hymne à la nuit, les Fragments, Brouillon général ou les Disciples à Saïs, sans oublier son roman inachevé, peut-être le plus connu : Henri d’Ofterdingen. Novalis recherchait le système de l’absence de système, de quoi largement occuper sa vie si tristement écourtée, qui ne l’empêchera pas d’être un auteur incroyablement prolifique. Novalis à propos du destin, écrit tout simplement : le destin, c’est le caractère. Voilà qui est fort bien trouvé, clair, limpide et précis. Tout dans le destin de l’homme est dans son caractère. Ce ne sont pas de Gaulle ou Churchill qui vont contredire Novalis. Personne ne peut le contredire. Le caractère mène l’homme, et la femme bien évidemment, à leur destin.

Pour revenir à la phrase de la grand-mère de cette lectrice dont le destin est d’admirer l’auteur virtuel, ce qui n’est pas rien et assez rare, il semble qu’il faudrait plutôt inverser l’ordre de l’expression et dire plutôt : Meurs où tu dois, vas où tu veux. C’est un peu comme lorsque  l’héroïne de Corneille, Chimène, déclare son amour à Rodrigue, Va, je ne te haïs point, nous sommes en circonstances banales, en pleine affirmation hasardeuse qui pourtant a tout d’une certitude.

Ce qui me fait penser, allez savoir pourquoi, à cette phrase inscrite sur la tombe d’Isis : Je suis tout ce qui fut, ce qui est, ce qui sera et aucun mortel n’a encore osé soulever mon voile.

Isis

En attendant, si vous avez découvert l’existence de Novalis ou si vous avez envie de lire l’un de ses remarquables ouvrages, félicitons-nous d’avoir consacré un peu de notre destin à le faire connaître. Car quelqu’un qui écrit : le christianisme est la racine de toute démocratie, le plus haut fait dans les droits des hommes, est  un auteur qui mérite en ces temps d’idioties, de bêtises et de sauvageries si communes que l’on prenne le temps de le lire.

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II- Que sommes-nous ? Le temps qui court

(2 janvier 2017)

 

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Alors que pierre qui roule n’amasse pas mousse, le temps qui court ramasse le mousse sur les quais de port pour l’emporter dans les voyages au long cours qui forment la jeunesse. On ne dira jamais assez comme ce foutu temps presse et oppresse, il faut bien l’admettre, il ne nous laisse aucune chance de survie ce qui rend inutile les résolutions prises au premier jour de l’année et qui s’effilochent dès la venue des rois mages, dans des odeurs d’encens, de camphre et de myrrhe, à la perspective d’une galette aux myrtilles qui a le mérite de nous plonger dans le coma des souvenirs.

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C’est que face au temps, nous sommes démunis, désemparés, bientôt désespérés. Le salopard ne nous laisse aucun répit. Le duel est perdu d’avance, nous ne sommes pas dans un western ou dans un film de cape et d’épée à bretter entre gentilhommes : quelle que soit la technique de décompte des années, on ne remet jamais le compteur à zéro, il ne servirait d’ailleurs à rien de changer d’ère, d’air ou de terre. Le temps est le plus fort, ce qui présente pas mal d’aspects ennuyeux, le moindre d’entre eux n’étant pas celui d’avoir l’impression de perdre son temps quoiqu’il arrive.

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Cadran solaire à Saint-Véran, dans les Hautes Alpes

Face à cet adversaire redoutable qui possède l’avantage certain de nous mettre à terre et en terre à un moment ou un autre, plusieurs possibilités se présentent pour chercher quelques accommodements avec ce vainqueur invétéré qui nous terrassera à plus ou moins grande échéance. La première d’entre elles est de l’ignorer. Ce n’est pas évident, surtout de nos jours où nous sommes géolocalisés en permanence au milieu de systèmes de navigation terrestre ou maritime fondés sur des calculs temporels. Vivre hors du temps supposerait d’abandonner tout ce qui se rattache à ce que l’homme a  accumulé en savoirs pour maîtriser le temps depuis l’invention de la clepsydre et du cadran solaire, jusqu’aux horloges, les montres ou l’imprimerie pourvoyeuse d’annuaires, de quotidiens et d’hebdomadaires. De toute façon, même les ermitages les plus reculés ne sont pas à l’abri d’une possible invasion humaine au service de Sa majesté le temps.

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Farandole du folklore provençal

La deuxième méthode est de vivre avec lui, au point de s’enivrer à se divertir pour l’oublier. Le divertissement est le plus sûr moyen de vivre avec son temps. L’argent, les jeux ou le sexe peuvent faire un temps l’affaire. En entrant dans la farandole, il est possible un instant d’imaginer faire ami avec le temps, et par la ruse, le domestiquer, le dominer et le soumettre à notre moindre caprice, sans toutefois empêcher, un jour ou l’autre, d’être forcément rattrapé par les outrages du temps. La première ride n’est jamais la dernière.

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Les Passants, illustration de Daumier

Une troisième méthode consiste à planifier sa vie de l’âge de raison à l’âge de déraison. Le créateur de Tintin précise que la période s’ouvre à sept ans pour clôturer à soixante dix-sept ans, ce qui laisse sept décennies pour organiser  son temps. Beaucoup d’entre nous s’y emploient avec plus ou moins de réussite, « entrant dans la carrière », travaillant, fondant une famille, trouvant ou construisant un toit, épargnant pour un jour ou l’autre prendre une retraite bien méritée et faire face aux premiers ennuis de santé qui ne tarderont pas à s’aggraver au fil des années. C’est le choix de la raison, celui d’avoir perdu avant même d’avoir vécu. Mais le temps est sans pitié. Il n’est pas forcément convaincu  de l’hommage du fragile vassal  humain au terrible suzerain intemporel. Un caillou sur le long chemin suffit à broyer les espérances ou un pépin de santé à enrayer la machine corporelle, car nul destin n’est à l’abri de la fatalité.

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L’abbaye de Port-Royal aux Champs, autrefois abbaye contestataire, n’est plus aujourd’hui que ruines et sanglots

Alors que faire face au temps ? S’agenouiller et prier dirait Pascal, Blaise pour les intimes. C’est assurément de bonne méthode, être à la fois hors du temps, vivre avec son temps et se préparer à n’y être plus soumis. Mais cela demande beaucoup de génuflexions, s’agenouiller et se relever entre les prières, à heures dites jusqu’au milieu de la nuit. Il faut beaucoup d’abnégation, de patience et de ténacité. N’est pas Blaise qui veut, encore moins Pascal, les ruines de l’abbaye de Port-Royal des Champs en témoignent.

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Arthur Rimbaud (1854-1891) à Harar

Reste la méthode d’Arthur Rimbaud qui compte quitter prochainement cette ville-ci pour aller trafiquer dans l’inconnu, tout en ajoutant lorsqu’il est arrivé dans cet « inconnu« , au Harar : Et qui diable sait encore sur quelle route nous conduira notre chance ? C’est une méthode qui impose de supporter « toutes les privations crainte et tous les ennuis sans impatience » ce qui n’est pas donné à toute le monde, surtout lorsque la vie devient un « réel cauchemar » à traîner « une existence désolante sous ces climats absurdes et dans ces conditions insensées« , à se faire « très vieux, très vite, dans ces métiers idiots et ces compagnies de sauvages ou d’imbéciles« , « toujours forcé de voyager pour vivre« , aboutissant au naufrage universel de l’existence humaine face au temps : « je ne vivrai ni ne mourrai tranquille. Enfin, comme disent les musulmans : C’est écrit ! – C’est la vie : elle n’est pas drôle ! »

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Marché aux chameaux à Aden, XIXè siècle

Et dans cette affaire de vie qui n’est pas drôle, il faut le reconnaître, le temps y est pour beaucoup, qu’il soit maussade, oppressant ou écrasant, y compris pour l’humeur vagabonde qui cherche à y échapper. Car comme l’écrit Rimbaud à sa famille au cours de ses périples commerciaux en Afrique : Enfin, le plus probable, c’est qu’on va plutôt où l’on ne veut pas, et que l’on fait plutôt ce qu’on ne voudrait pas faire, et qu’on vie et décède tout autrement qu’on ne le voudrait jamais, sans espoir d’aucune espèce de compensation.

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Vue du ciel du port d’Aden avec les points névralgiques en 1880

C’est pourquoi il faut traiter le temps de même sorte qu’il nous traite, et comme le gypaète barbu, faire preuve d’une superbe indifférence revenant à ignorer ce qu’il nous fait inexorablement subir : qu’il aille au diable ! La vie n’appartient qu’aux Vivants.

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Pas plus que le temps ne suspend son envol, le gypaète barbu ne cesse de survoler les monts Simien, en Abyssinie

 

III- Où allons-nous  ? Vers qui nous rendra la Vie

(21 juin 2017, modifié jusqu’au 24 mars 2020) 

 

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Il suffit qu’un candidat à l’élection présidentielle devenu président par magie ou sorcellerie, emploie l’expression « poudre de perlimpinpin » pour réaliser que personne, au premier abord, ne peut nous rendre notre vie. C’est une illusion de croire que la vie et encore moins notre vie nous appartient. Nous n’en sommes pas dépositaire, ni propriétaire ni locataire, pas plus colocataire et pas même squatter. Peut-être demain le serons-nous, pour reprendre la plainte rythmée d’une chanson de Willy Deville qui a fait l’expérience de nous quitter d’un cancer du pancréas en 2009 sans nous en dire plus sur sa destination, en nous laissant en héritage d’innombrables compositions d’une funeste beauté, apprise auprès d’Edith Piaf qu’il admirait tant.

“C’est un petit vin de Chinon pas trop débile que j’ai découvert chez un mastroquet auprès du quai, dit Durtal.”, Huysmans, Là-Bas (1891)

Comme la poudre de perlimpinpin est désormais ignorée du plus grand nombre, où donc alors est passé le mastroquet à la voix sépulcrale des jours de marché sur la place de village, dont le souvenir, seul, pourrait nous rendre notre vie ? Et comme le diable n’est plus qu’un chariot à deux roues, n’escomptons plus faire le diable à quatre, le loger dans sa bourse ou le tirer par la queue, car c’est là le diable que le diable incarné ait disparu autant que sa beauté, au diable et même au diable vauvert.

Les Parisiens tirant le diable par la queue, Jean Veber, 1864-1928, musée Carnavalet

Car nous ne sommes plus de ce monde dès lors que les expressions et les mots que nous utilisions sans nous en rendre compte, ont disparu du langage de tous les jours pour se réfugier dans des dictionnaires sous la poussière, ne resurgissant que le dimanche dans une partie de scrabble brettée, jouée à trois dans un appartement retranché ressemblant à Fort Alamo surplombant les bords de Loire et proche de La Pointe de Bouchemaine.

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Vermeer, Degas ou Chagall ne peuvent pas plus nous rendre notre vie. Le travail de ces charpentiers de l’art entoilé est désormais réduit aux filouteries d’expositions justifiées par des considérations sonnantes dansantes, virevoltantes et trébuchantes. Et pourtant, tous ces peintres savaient plus ou moins d’où ils venaient, où ils allaient sans avoir à proclamer où ils étaient au temps du Sacre du printemps. Personne ne nous rendra notre vie, pas même Cézanne qui ignorait tout autant que Van Gogh que le bon Docteur Gachet, bienfaiteur de l’humanité artistique, était aussi faussaire à ses heures perdues.

Portrait du docteur Gachet, par Vincent van Gogh

La mort survient, un visage s’efface, un souvenir s’estompe, et voilà que nous cherchons désespérément à se raccrocher à la vie, comme un naufragé de l’espace qui tourbillonne éternellement en orbite. Et lorsque Bach se tait, musiques profane, sacrée ou militaire ne peuvent rien pour nous : à la crécelle joyeuse du carnaval succède celle du passage des lépreux et des pestiférés. Là se trouve notre véritable vie, dans le coma des Illusions perdues.

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Une madeleine ne suffit plus à notre bonheur. Il nous faut bien plus qu’un pavé de  mille feuilles d’ardoise pour s’accrocher à la vie. Et pourtant, un jour,nous souviendrons-nous, peut-être, du charme des croûtons du bocage errant dans un potage normand, pris dans le piège des fils perdus de la fourme d’Ambert et des ultimes souvenirs.

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Nous souhaiterions tant que notre vie nous soit rendue. L’image d’un champ de lavande ou d’un champ de neige réveille des souvenirs enfouis sous l’avalanche des jours. On aperçoit alors, en plein hiver, l’antre d’un estaminet qui n’est qu’un troquet perdu, un bistro disparu où une tarte à la myrtille attend le visiteur au milieu d’ombres qui ressemblent à des spadassins épuisés prêts à s’endormir auprès de troubadours et des marmottes qui font la réputation des lieux.

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Les pèlerins d’Emmaüs, Rembrandt van Rijn, 1606-1669, musée Jacquemart-André, Paris

Personne ne peut nous rendre notre vie, pas plus pour ceux qui nous ont déjà quittés et qui ne reviendront pas de leur promenade du bout du monde. Notre vie misérable n’est que misère, sans pitié pour les jours qui nous délestent de tout ce que imaginions posséder pour toujours, ici un parent, là un proche et là-bas une connaissance perdue de vue dans la brume, qui était un phare lointain, sans compter tout ceux que nous croisions et que nous ne reverrons pas : la vie ne peut nous apporter à dos d’éléphant rien d’autre que du pain à durcir, de la tristesse à endurcir et des ruines pour tout souvenir.

Au loin resurgissent  les canotiers de Monet  déjeunant à Chatou à l’été de notre vie qui n’est que l’Automne déjà, et il commence sérieusement à faire froid. Les saisons passent, Tout passe. Et les personnes attendues ne surviennent plus pour nous rendre notre vie, nous ayant déjà quitté en demeurant  là, si las, nous préparant, dos au mur,  bien tôt, à l’adieu aux armes en réalisant qu’ils ne reviendront pas de leurs voyages imaginaires devenus une promenade du bout du monde quelque peu précipiteuse, à l’ombre du château de l’Apocalypse aux tentures moyenâgeuses.

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La nouvelle promenade du bout du monde qui longe,donne accès au château d’Angers et se termine en impasse au-dessus de la Maine, avec vue sur la cathédrale Saint-Maurice.

Notre vie misérable et merveilleuse est sans pitié pour les jours qui nous délestent de tout ce que imaginions posséder pour toujours, ici un parent, là un proche, là-bas une connaissance perdue de vue dans la brume transpercée de lumière par un phare lointain, sans compter ceux que nous croisons chaque jour et que nous ne reverrons pas au passage du nouveau tramway fier comme un trolley. La vie ne peut nous apporter à dos d’éléphant rien d’autre que du pain à durcir et de la tristesse à endurcir.

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Et pourtant, il faut vivre, le plus souvent au milieu d’amoureux enlacés un jour et d’étrangleurs au lacet pour toujours. Un sourire esquissé, un rire bruyant permettent de nous échapper un temps. L’hypocrite s’avance qu’il faut tenir éloigné du ti’cano de survie. C’est l’heure forcée des malentendus où l’usurpateur des horloges annonce son arrivée. Nous voici prisonniers du temps et personne pour nous rendre notre vie, juste au moment où les glaneuses se relèvent pour l’Angélus. Les cloches sonnent non pour donner l’heure ou prier, mais pour nous avertir qu’il faut se tenir prêt, que ce n’est pas une mince affaire et qu’il est sans importance que personne ne nous rende notre vie puisque nous sommes appelés à la quitter ici-bas, en espérant au mieux relever un temps, de la Légende dorée.

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Louveciennes, par Paul Cézanne

Ce que nous avons vécu, ce que nous sommes ou devrions être, tout cet amour aussi quotidien que le pain de deux livres, tout cet amour englouti chaque jour qu’il nous est donné de vivre, à chaque heure, à chaque minute ou seconde se bousculant au tourniquet, qui nous le restituera en dehors de nous-mêmes, appelés à devenir pèlerins d’Emmaüs transmettant l’intention à un Franciscain épuisé qui perdra lui-aussi sandales et ceinture, comme mon Père au dernier jour. Il se peut que personne ne nous rende notre vie, encore faut-il frapper à la porte pour qu’il nous soit ouvert en laissant sur le pas, une dernière image jaunie, ultime témoignage inutile qui ne constituera jamais une quelconque preuve de notre passage terrestre délesté de nos souvenirs encombrants.

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Rue de la Princesse, à Louveciennes, par Alfred Sisley

A l’heure du naufrage et alors que commence à jouer l’orchestre dirigé par Alzheimer, son compère trompettiste Parkinson et Corona-Virus aux percussions, il nous faut apprendre que l’oubli nous permet par anticipation de se débarrasser avec allégresse de tout ce qui nous rappelle le monde d’ici-bas et qui se rattache au temps : l’unique maître des horloges ne possède ni aiguilles des heures et des minutes, ni trotteuse des secondes ou chronomètre des milliardièmes de seconde, il est celui qui nous procure, sous les saules pleureurs, le don de l’amour au milieu des souvenirs esseulés et nous rend la Vie par le bien fait à autrui, osons le nommer, le Christ en croix.

« J’aime la Bretagne : j’y retrouve le sauvage, le primitif. Quand mes sabots résonnent sur ce sol de granit, j’entends le son sourd, mat et puissant que je cherche en peinture. » Paul Gauguin, Le Christ jaune, 1889 d’après le Christ en bois polychrome du XVIIIème siècle de la chapelle de Trémalo, située à côté de Pont-Aven, à 36 bornes milliaires par la voie romaine du moulin de Kergoff, l’arrière-pays ignoré de notre enfance.

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Le moulin de Kergoff, du côté de Quéménéven.

 

Addendum : Appartement avec vue sur la Loire

(26 mai 2019) 

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Ce testament littéraire reprend et remanie de précédentes chroniques publiées entre janvier 2015 et juin 2017. Rédigées en Anjou au milieu des décombres liés à la survenance de «petits trous de mémoire» en double univers d’Alzheimer, elle veut témoigner que cette maladie liée au vieillissement inexorable peut être un bien fait à autrui, lorsque celle-ci sonne le tocsin destiné au réveil douloureux des plus proches, pour transmettre aux générations  vivantes d’ultimes images fixes ou floues appelées à rejoindre la cohorte des souvenirs des générations précédentes qui par vagues successives trépassent, pour reconstituer, jour après jour, la Mémoire de nos ancêtres, en remontant aux Sources du monde dont Les Lettres d’Ivoire envoyées par l’Auteur virtuel participent avec humilité à cette transmission aux générations nouvelles et futures en commençant par s’adresser à sa proche descendance, puis, par rotations et déplacements ellipsoïdaux ou hélicoïdaux, à Tout l’univers, qui était le titre de l’hebdomadaire encyclopédique de son enfance, et qu’il reconstitue à son échelle, façon puzzle.

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Ta Matete, au marché, de Paul Gauguin, Bâle, Suisse

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