Nous qui aimons l’Inde pour 64 raisons

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Il se peut que ce nombre de raisons puisse au premier abord apparaître excessif et fasse fuir la lectrice ou le lecteur qui s’attendaient à trouver un catalogue de belles images destinées à la promotion du tourisme en Inde. Et c’est vrai que l’Inde se prête aux clichés, difficile d’y échapper, ce qui n’empêche pas de tenter l’exercice en cherchant à ne pas ennuyer tout au long de cette énumération de bons motifs, qui risque d’être fastidieuse mais comporte une surprise de taille permettant d’échapper à l’ennui [en introduction : Radha et une compagne, école de Guda ou Kangra, illustration du Gita Govinda, 1775-1780, @artcurial]

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En premier lieu, nous aimons l’Inde pour la hauteur de ses montagnes même si les sommets les plus élevés de la chaîne de l’Himalaya ne sont pas forcément en Inde. Un grand nombre des 14 sommets à plus de 8.000 mètres d’altitude sont situés au Népal, en bordure de Chine, mais la chaîne elle-même traverse huit pays et recouvre une superficie de 600.000 km², supérieure à celle de la France. le Ladakh, aussi appelé Petit Tibet, de peuplement bouddhiste, est situé au Nord de l’Inde dans l’Etat du Jammu-et-Cachemire. C’est la terre promise du trekking, le seul endroit au monde où l’on peut marcher sur la lune, plus exactement au désert de Moon.

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Un deuxième motif d’aimer l’Inde se trouve sur le versant oriental de l’Himalaya, lorsque les hautes montagnes se transforment en collines, au pays des thés noirs, dans la région de Darjeeling, dans l’Etat du Bengale occidental. Ce thé est surnommé le champagne des thés noirs, marqué par un léger arôme de muscat reconnu par les amateurs éclairés du Darjeeling. Station de villégiature des colons anglais, réputée pour la qualité de son air, la ville de Darjeeling demeure populaire chez les Anglo-saxons qui n’aiment rien tant qu’y produire des films pour nostalgiques de l’empire disparu. Proposer à Hollywood un scénario de film avec en arrière-fond d’écran Darjeeling, est l’assurance de financer n’importe quel navet, surtout si on aperçoit le train à vapeur qui s’y rend, le Darjeeling limited.

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Car parcourir l’Inde en train est la troisième raison pour laquelle nous aimons ce pays vaste et quelque peu peuplé tout de même. Avec 3,3 millions de km², le sous-continent indien n’est que le septième pays de la planète en superficie, loin derrière la Russie, le Canada, la Chine,  les Etats-Unis ou le Brésil et deux fois moins grand que l’Australie qui fait 7,7 millions de km², guère plus que l’Argentine dont le territoire couvre 2,8 millions de km2, ce qui surprend toujours un peu, reconnaissez-le. Car en fait, la population importante de l’Inde, avec 1,3 milliard d’habitants, bientôt le pays le plus peuplé au monde, laisse croire que le pays est immense. Pas du tout ! C’est la diversité de l’Inde, de ses peuples et de ses habitants, qui aboutit à imaginer que le pays est gigantesque, à l’échelle de ses montagnes et villes populeuses. Il suffit de prendre le train pour réaliser qu’on peut traverser le pays assez facilement, à condition d’avoir le temps, les lignes de chemins de fer épousant la topographie des lieux en toute tranquillité au milieu des vallons, vallées et collines.

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Prendre le train pour voyager en Inde laisse du temps pour lire les épopées et livres sacrés de l’hindouisme qui constitue la quatrième raison pour laquelle nous aimons l’Inde. Les Veda qui signifient « connaissance » en sanskrit, sont les textes les plus anciens, remontant près de deux mille ans avant notre ère, ayant été transmis oralement avant d’être écrits. Ils sont chacun composés de quatre parties, le Rigveda, le Samaveda,  le Yajurveda et le Atharvaveda, correspondant à des hymnes lus à haute voix, des invocations chantées, des textes sacrificiels et des formules magiques utilisées par les brahmanes.

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Plus facile d’accès, les poèmes épiques sont des Gestes dont le plus long et célèbre est le Mahabharata constitué de 18 livres et cent mille vers attribués à Vyasa. Ce poème retrace la guerre entre les Kaurava symbolisant les forces du mal et les Pandava symbolisant les forces du bien, durant dix-huit jours après trois mois de préparatifs. Le Livre VI du Mahabharata, appelé Baghavad Gita qui signifie Le chant du Bienheureux Seigneur en sanskrit, est le poème le plus connu : il s’agit d’un dialogue entre Khrishna, conducteur de char, et Arjuna, un prince Pandava exceptionnel archer, au cours duquel Khrisna apparaît comme représentant de dieu et Dieu lui-même, « ayant imprégné l’univers entiers d’une parcelle de moi-même » de sorte que l’homme est Dieu lui-même. Le Mahabharata achevé, on peut encore attaquer la lecture du Ramayana, la geste de Rama composée de sept livres et vingt-quatre mille strophes, puis les Purana qui signifient « les Temps primitifs » en sanskrit, ce qui donne une nouvelle raison d’aimer l’Inde.

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Les temples hindous sont effectivement une cinquième et belle raison d’aimer l’Inde. On en trouve partout ou presque, ils sont innombrables surtout dans le Sud. Contrairement à ce que la plupart des gens imaginent, ces temples ne sont pas très anciens, car longtemps construits en bois ce qui fait qu’ils ne sont pas parvenus jusqu’à nous. Les temples les plus anciens à avoir traversé le temps datent du IVè ou Vè siècles de notre ère, ce qui est déjà remarquable par rapport à la plupart des édifices chrétiens, mais sans comparaison avec les civilisations grecque, égyptienne ou d’Amérique pré-colombienne. Il n’empêche que ces temples valent bien le détour d’un train et l’abandon provisoire de la lecture du Mahabharata. Les styles des temples hindous peuvent être regroupés en deux ou trois grandes ramifications, ceux plutôt répandus dans le Nord de l’Inde, de style Nagara comme au Karnataka, et ceux édifiés plutôt au Sud, de style Dravidien, encore qu’on trouve des temples regroupé sous le style Kalinga dans l’Andhra Pradesh ou l’Orissa, la notion de style ne permettant pas d’appréhender les multiples concepts architecturaux qui ont présidé à la construction de ces temples. Au Tamil Nadu, ce sont carrément des complexes de temples qui ont été érigés (voir photo ci-dessus).

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La sculpture constitue la sixième raison pour laquelle nous aimons l’Inde surtout lorsqu’elle fait figurer sur les frontons des temples Ganesh, le dieu à tête d’éléphant, comme, par exemple, sur celui du temple de Lakshmana, à Khajuraho. Ganesh, encore appelé Ganesha ou Ganapati, fils de Shiva et Parvati, tient une place particulière dans le coeur des Indiens. Il personnifie à la fois la richesse, l’intelligence et le succès, ce qui explique largement qu’il soit vénéré partout, bien au-delà des frontières de l’Inde, jusque dans le bouddhisme et dans toute l’Asie : il est généralement représenté avec un aiguillon qui signifie qu’il maîtrise le monde, tient un noeud coulant qui lui permet de capturer les erreurs et une hache destinée se séparer de tout attachement et désir qui suscitent le chagrin.

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Voir Ganesh danser nous donne une septième raison d’apprécier l’Inde justement : la danse classique indienne. Rien de mieux que la danse indienne pour se divertir, étant entendu qu’en fait il n’y a rien de plus sérieux que la danse indienne pour laquelle un traité, le Natya-Shastra en décrit les différentes formes au nombre de sept : Bahrata-Natyam, Khatak et Khatakali, Odissi, Mohinattiam et Kuchipudi, Manipuri enfin, sans oublier les danses spécifiques de l’Assam comme le Sattriya. Ces danses donnent une valeur symbolique à tous les  gestes des mains  qui ont une signification particulière permettant de retranscrire auprès du public averti des poèmes de la mythologie indienne en s’accompagnant du rythme des pieds et d’instruments de musique.

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Mais il n’y a pas que la danse classique que nous apprécions. Bollywood est aussi une autre raison, la huitième, d’aimer l’Inde : l’industrie cinématographique de Bombay a réussi le tour de force de développer à l’infini un concept dansant des « Feux de l’amour » ou du vertigineux « Amour gloire et beauté », en le popularisant à l’échelle du sous-continent indien pour l’exporter ensuite dans le monde entier. L’Inde dont les premiers studios de films muets sont apparus dès 1913, est aujourd’hui le premier pays de production cinématographique au monde avec 1.200 films par an,  distribués en trente langues. Bollywood a une marque de fabrique unique au monde, reposant sur des chorégraphies vibrionnantes, des couleurs clinquantes et des histoires larmoyantes à souhait, l’ensemble reposant sur des actrices et des acteurs qui ont pour mérite principal d’une beauté compatible avec l’Orient et l’Occident, rehaussée par des montagnes de pierres précieuses.

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Les pierres précieuses sont justement la neuvième raison d’aimer l’Inde. A la différence de tous les autres pays dont le territoire se contente d’avoir des points cardinaux ordinaires, l’Inde se caractérise par le fait de posséder des points cardinaux exceptionnels qui  sont des joyaux authentiques au nombre de quatre comme les pierres précieuses : le diamant, l’émeraude, le rubis et le saphir. La nature aussi doté le pays de pierres fines comme le grenat, le jaspe ou le lapis-lazuli ainsi que pierres organiques comme le corail, le nacre ou l’ambre, pour le bonheur des maharanis et des maharadjahs.

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Les maharanis plus que les maharadjahs sont d’ailleurs une dixième raison d’apprécier l’Inde. L’exercice longtemps héréditaire du pouvoir des maharadjahs nous rend assez insensible à leurs extravagances et à l’accumulation des richesses pour édifier palais, conduire des rolls-royce ou chasser le tigre sur des éléphants cornaqués. Ces occupations aristocratiques dissimulent mal leur situation tout en haut des castes dans celle des rajahs, les seigneurs, ayant longtemps droit de vie ou de mort sur leurs sujets réduits pour les plus pauvres à une condition servile et à la misère, sans oublier les enfants exploités dès leur plus jeune age. En revanche, il n’était pas rare qu’une comtesse aux pieds nues puisse épouser un maharadjah, n’ayant aucun titre de noblesse, possédant uniquement la beauté ou l’intelligence de la séduction pour les mener au rang d’une princesse, une maharani.   La plus célèbre d’entre elles est Anita Delgado, une danseuse de flamenco espagnole d’une magistrale beauté, devenue princesse de Kapurthala  à 18 ans et dont l’histoire romancée est racontée par Javier Moro dans Une passion indienne.

Une passion indienne bien plus sérieuse est une onzième raison d’aimer l’Inde, c’est la passion de ce pays peuplé, pauvre et multiple pour la démocratie. Indépendant depuis le 15 aout 1947, devenu une République le 26 janvier 1950, ce pays est ancré dans la démocratie depuis 66 ans, ce qui fait de l’Inde non seulement la plus grande démocratie avec 1,3 milliard d’habitants, mais aussi l’une des plus louables tant les défis sont nombreux pour ne pas, parfois, songer à y renoncer. Les tensions religieuses et communautaires, le système des castes, l’exploitation des enfants, l’extrême pauvreté, les difficultés à assurer en certaines régions reculées la distribution alimentaire, tout cela n’empêche pas l’Inde de s’en remettre aux vertus démocratiques pour assurer le gouvernement d’un Etat où plus de 800 millions d’électeurs sont appelés aux urnes pour les élections générales dans le cadre d’institutions parlementaires dérivées du système britannique. Le caractère démocratique de l’Inde n’a cessé de s’étendre depuis 65 ans pour atteindre désormais le niveau local où des panchayat, des assemblées élues, sont désormais chargées de l’administration locale.
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Alors que nous cherchons à donner une douzième raison d’aimer l’Inde, les images s’accumulent, obligeant à faire des choix. On pourrait citer le jeu d’échecs dont les Indiens sont les lointains créateurs avec le chaturanga, ce jeu à quatre utilisant des dés et qui est évoqué dans le Mahabharata où une partie de dés à l’origine de la guerre entre les deux familles du bien et du mal, les Pandava et les Kaurava.

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Comment ne pas évoquer aussi la ville de Goa qui selon la tradition chrétienne, aurait été évangélisée par l’apotre Thomas dont on retrouve l’évocation dans le nom de nombreuses églises syriaques du Kerala, le terme syriaque ne faisant pas référence ici à l’ethnicité mais à la liturgie linguistique. Le voyage de Thomas vers le Kerala n’est certes pas impossible au 1er siècle, mais on n’en trouve aucune trace physique ou  mention écrite avant le IIIè siècle qui voit certains pères de l’église évoquer cette hypothèse, comme Ambroise de Milan ou Eusèbe de Césarée. Peu importe! Car heureux qui comme Thomas fit un beau voyage, traversant le sud de l’Inde pour visiter Bangalore ou Mysore, Hampui, Badami et Hubli avant de se reposer sur les bords de l’océan indien, dans l’ambiance coloniale portugaise qui nous rappelle aussi les comptoirs français de l’Inde.

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Grottes sculptées de Badami

Car il y eut un temps où les écoliers apprenaient que la France disposait depuis 1668 de cinq établissements commerciaux en Inde : Chandernagor, Karikal, Mahé, Pondichéry et Yanaon, jusqu’à ce que le drapeau français soit de facto replié en 1954 après des comédies coloniales grotesques dont la France a toujours eu le secret, coup d’Etat à Yanaon ou grèves à Mahé obligeant l’administrateur colonial à remettre les clefs de son palais à la population. Il faudra attendre 1962 pour que l’Assemblée nationale reconnaisse le traité de 1956 intégrant les comptoirs à l’Inde, vote tardif destiné à conjurer la crainte que l’Algérie ne s’empare du précédent.

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Les raisons ne manquent donc pas d’aimer l’Inde. On pourrait encore ajouter l’Ayurveda, ces principes anciens de bien être qui sont aux sources de l’éternelle beauté, de l’éternelle jeunesse, sur la route de l’immortalité.  Le vent, l’air, le feu et l’eau sont les éléments de cette médecine traditionnelle enseignée depuis des siècles en Inde, la chaîne Arte nous en retrace les principaux enseignements. C’est un peu les principes câlins du Feng-shui dans le design, appliqués au corps dans le domaine de la santé : avec un peu de bois, d’eau et de massages, on se sent tout de suite beaucoup mieux. C’est autre chose que la médecine occidentale qui vous flingue à coups de rayons X quand on est presque mort.

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Il n’empêche que nous sommes loin d’avoir trouvé soixante-quatre raisons d’aimer l’Inde, y compris en ajoutant les éléphants, les tigres et les vaches sacrées. Bombay, le Gange et les Malabars de la cote nous rendent aussi heureux, sans oublier les saris et l’authentique jodhpur, ce pantalon très tendance qui ressemble vaguement à une tenue d’équitation dérivée à la fois du sarouel et du pantalon carotte. « Adapté à tous les styles, il peut être porté avec des boots à talons hauts« , selon un article de la presse féminine, ce qui avouez-le est une bonne nouvelle, d’autant qu’on peut « pimenter ce look avec un blouson de motard en cuir« . Bref, les traditions indiennes se perdent mais la mode se déchaîne, nous ne nous plaindrons pas!

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Reste que pour passer d’une douzaine de motifs d’aimer l’Inde à soixante-quatre, il faut soit encore beaucoup de temps pour achever la chronique, soit une astuce de modiste. Et l’astuce est la suivante : les soixante-quatre raisons se trouvent dans le Kamasutra, le livre indien le plus réputé au monde, un livre presque aussi connu que la bible, probablement plus parcouru que lu pour les soixante-quatre positions à pratiquer afin de célébrer l’amour dans les règles de l’art.  Le livre constitué de  trente-six chapitres regroupés en sept parties comporte aussi des conseils en matière d’art de vivre. Ecrit entre le IVè et VIè siècles, le Kamasutra figure parmi les traités classiques de l’hindouisme, énonçant des recommandations telles que : les gens raisonnables qui connaissent l’importance de la vertu, de l’argent et du plaisir ainsi que celles des conventions sociales, ne se laissent pas entraîner par la passion.

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Jeune femme sur une table basse observant les ébats d’un couple de pigeons, Jaïpur, Rajahstan, XIXè siècle

Le kamasutra n’est pas seulement consacré à la vie sexuelle. Il traite aussi des arts de vivre (kala) qu’une personne cultivée doit connaître, qui sont aussi au nombre de soixante-quatre et parmi lesquelles figurent des activités telles que la musique, la danse, le dessin, la magie, la préparation des parfums, la manucure,  la conception des bouquets de fleurs, les énigmes, l’agriculture, la connaissance des langues, les travaux d’aiguille, en fait tout ce qui rend en fait la vie humaine possible et supportable. Ce sont bien en définitive, ces soixante-quatre arts de vivre qui font que nous aimons l’Inde, pour sa sagesse et sa grandeur d’âme.
Pour aller plus loin, voir la liste des chroniques consacrées à l’Inde à la table des matières, 3.3 au pays des maharadjahs, ici reprise :

 

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« La tête est une chose et le coeur en est une autre : au lieu de vous remplir le crâne de notions livresques, il vaut mieux que vous remplissiez votre coeur d’amour. »

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