Il était une fois dans l’Est, l’Ukraine et la Russie

Si la Russie souhaite vraiment ce conflit en Ukraine, pourquoi Arte Journal n'essaierait-il pas de la prendre à son propre jeu en mettant à jour la stratégie russe, notamment par l'utilisation de cartes ?

Avant que la Russie n’en vienne à imposer son hégémonie sur l’orient extrême du continent européen à partir du XIVème siècle, la situation géopolitique de cette partie de l’Europe était exactement inverse : le royaume de Kiev dominait alors l’Europe orientale. La rivalité entre Kiev et Moscou n’a en fait jamais cessé, même si les peuples frères ont officiellement coexisté plus ou moins pacifiquement depuis la fin de la Seconde guerre mondiale au sein de l’Union soviétique. Ce fut tout l’art de la propagande communiste de faire croire qu’il existait une égalité entre les peuples russes et ukrainiens alors que, pendant toute cette période, pour reprendre une expression de Lénine, l’Ukraine a été maintenu dans la servilité et l’humiliation au prix fort des millions de victimes de la dékoulakisation et des famines organisées, sans oublier dans le même temps une politique de peuplement russe dans la partie orientale de l’Ukraine.

Linguistic map of Russian languages from 1914, with some 2014 borders.

Zones linguistiques en partie orientale de l »Europe au début du vingtième siècle. On constate que le russe n’est pas alors une langue utilisée en Ukraine.

Dans un précédent article, il a déjà été évoqué le nationalisme grand-russe qui fonde l’action agressive de Vladimir Poutine en Ukraine pour tenter d’exercer à nouveau une influence décisive sur les destinées de ce pays à défaut de l’annexer purement et simplement et retrouver la situation antérieure à l’effondrement de l’URSS en 1991.  https://cervieres.com/2015/05/17/leffondrement-sovietique-est-le-plus-grand-miracle-geopolitique-du-xxeme-siecle/

Dans un autre article, il a été montré comment le chauvinisme grand-russe est à l’origine du conflit en Ukraine, et comment l’action déstabilisatrice de Poutine en Crimée puis dans la partie orientale russophone de l’Ukraine est directement inspirée de la politique de conquête de Catherine II qui, voilà plus de trois siècles, a mené une politique d’annexions territoriales. https://cervieres.com/2015/05/13/pour-comprendre-la-guerre-en-ukraine/

The Russian claims ▓ ethno-linguistic map of Ukraine

Carte ethno-linguistique de l’Ukraine

Pour seule justification de cette politique brutale, Vladimir Poutine prétend défendre par la force, les intérêts permanents de la Russie, n’ayant aucun scrupule à violer le droit international et établir durablement un climat de guerre en Europe, ce qui n’était plus arrivé depuis 1945, à l’exception des conflits intervenus dans le cadre de la dislocation de l’ancienne Yougoslavie.

Pour toutes ces raisons, le comportement de Vladimir Poutine est non seulement condamnable mais dangereux car il développe en Europe un climat d’instabilité générateur de désordres ultérieurs. De plus, il passe sous silence le fait que Kiev est aussi légitime à développer des revendications sur les territoires russes que la Russie ne le prétend sur l’Ukraine: Kiev est en fait le véritable berceau de la Russie.

L’histoire de l’Ukraine ne se confond pas avec celle de la Russie même si l’Ukraine est devenue une province de la Russie en 1654 puis l’un des quinze états de l’Union soviétique en 1922 avant d’acquérir son indépendance en 1991. La carte ci-après montre l’évolution territoriale de l’Ukraine moderne dans le cadre de ses actuelles frontières. Le moins que l’on puisse dire est que ces frontières ont été particulièrement instables au cours des trois derniers siècles.

Territorial evolution of Ukraine
Et pourtant, historiquement, l’Ukraine, dès le sixième siècle, est un territoire occupé par des peuples slaves qui alors s’étendent en Europe centrale, du Don au Danube, jusqu’aux Balkans. Ces peuples slaves sont d’un point de vue ethnique une branche linguistique indo-européenne.

Slavic People's 6th century Historical Map

A partir du neuvième siècle, la principauté de Kiev va progressivement coloniser tout le nord de l’Europe extrême orientale pour s’étendre jusqu’à la mer baltique, la Karélie et même la mer Blanche.  Pour la première fois de l’histoire, une entité politique unique va dominer à la fois les trois états que sont aujourd’hui la Biélorussie, la Russie et l’Ukraine. Cette Roussie de Kiev, pour reprendre un terme historiographique, est alors organisée en principautés fédérées à Kiev: les territoires sous domination de Kiev s’étendent de la mer Noire aux bords de l’Arctique, à son apogée en 1145. Moscou n’est alors qu’une petite ville de la principauté de Rostov-Suzdal, qui est pour la première fois mentionnée dans un écrit en 1147.

Principalities of Kievan Rus (1054-1132)

Principautés de la Roussie de Kiev (1054-1132)

 Déjà sous la menace de peuples venus de l’Est au XIème siècle, que ce soit les Pechenegs, les Khazars dont Kiev est un temps vassal, ou les Bulgars de la Volga, la Rus’de Kiev est confrontée à partir du douzième siècle aux invasions mongoles de la Horde d’or.

Kievan Rus map in 11th century

A compter du douzième siècle, la principauté de Kiev perd son ascendant sur les autres principautés jusqu’alors sous sa suzeraineté, et la ville est mise à sac plusieurs fois notamment en 1169. Les querelles intérieures entre princes russes se multiplient, laissant libre cours aux invasions étrangères qui se multiplient. L’invasion des mongols de la Horde d’or en 1236 aboutit finalement à la destruction de la principauté de Kiev en 1240.

Kievan Rus', Kyivan Rus', Ukraine map

Après l’effondrement de la principauté de Kiev en 1240, le prince Danylo est à l’origine de la constitution du royaume de Galicie-Volhynie, dans la partie orientale de l’Europe centrale, constituée de nombreuses villes commerçantes. Dans le même temps, au nord de l’ancienne Rus’ de Kiev émergent deux puissances, la république de Novgorod et la principauté de Vladimir-Souzdal, au sein de laquelle la petite ville de Moscou va devenir le principal centre administratif, bénéficiant de l’appui des Mongols de la Horde d’or qui cherchent à maintenir leur pouvoir sur toutes les anciennes principautés rattachées antérieurement à la Rus’ de Kiev.

Kingdom of Galicia Volhynia Rus' Ukraine 1245 -1349

Ce n’est qu’au début du 14ème siècle que Moscou va commencer à étendre sa domination sur la Russie. Son expansion territoriale va demander quatre siècles pour dominer à nouveau les trois états actuels que sont la Russie, la Biélorussie et l’Ukraine, l’annexion de Kiev intervenant en 1654.  Entretemps, sous l’impulsion de Pierre le Grand, au début du 18ème siècle, en 1705, le centre politique de la Russie est déplacée vers l’Ouest, sur les bords de la Baltique, avec la création de la « ville de Pierre », Petrograd, connue sous le nom de Saint Petersbourg.

C’est à la suite de la révolution d’octobre 1917, que Moscou va redevenir la capitale de la Russie soviétique, après une guerre civile effroyable au cours de laquelle l’Ukraine va chercher à retrouver son indépendance en soutenant majoritairement les armées blanches qui s’opposent aux Gardes rouges de la révolution Bolchevik. Les armées blanches sont appuyées un temps en 1919-1920, par des troupes étrangères anglaises ou françaises qui n’ont pas oublié la paix séparée de Brest-Litovsk entre allemands et révolutionnaires russes et qui redoutent une contagion de la révolution bolchevik à l’ensemble de l’Europe. L’absence de coordination des différentes opérations des armées blanches va conduire à leur échec et à la consolidation du pouvoir communiste un temps encerclé à Moscou, puis à la création de l’Union des républiques socialistes soviétiques en 1922. L’Ukraine considérée alors comme un centre d’agitation contre-révolutionnaire est d’autant plus appelée à rentrer dans le rang  qu’une répression sans précédent va s’abattre sur elle, en même temps que la collectivisation des terres, les massacres de paysans, les déportations de villages entiers et l’installation des premières colonies de peuplement russe dans l’Est de l’Ukraine dont l’industrialisation va être accélérée avec la création de la planification centralisée (Gosplan).

La guerre civile est ainsi à l’origine d’une fracture irréductible entre l’Ukraine et la Russie, dont les effets se font sentir un siècle plus tard. L’agression russe sur l’Ukraine décidée par Vladimir Poutine en 2014 ne fait que poursuivre une rivalité entre Moscou et Kiev qui se prolonge depuis sept siècles et qui ne changera jamais rien au fait que l’invention de la Russie a pris corps à Kiev au milieu du neuvième siècle, lorsque prend naissance la Rus’ de Kiev.

La guerre civile russe

 Cartographie de la guerre civile russe (1918_1922)

Mais au-delà de l’agression russe sur l’Ukraine, le comportement de Poutine envers l’Europe et l’OTAN relève de l’infantilisme primaire, avec la multiplication des provocations hasardeuses qui donne de la Russie une image détestable, en total décalage avec les réalités du monde actuel. Le retour de la Russie à un contexte de Guerre froide est d’une mauvaise foi, d’une mesquinerie et d’un ridicule dont on rirait volontiers, si on ne savait que justement l’histoire des hommes est une histoire tragique.

Map of incidents involving Russian and NATO forces

C’est pourquoi les bouffonneries de Poutine doivent être surveillées de près ; et les sanctions  doivent pleuvoir autant qu’il le faut en ciblant principalement ses proches pour qu’elles aient un effet maximum, sans oublier de soutenir autant que nécessaire, la malheureuse Ukraine, victime des délires nationalistes sans avenir et hors du temps de Poutine. Il en va non seulement de l’avenir de l’Ukraine mais de l’Europe toute entière. Céder au crime, c’est ouvrir la porte aux désastres de la guerre.

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