Sincérité et vérité

Lydia Tchoukovskaïa Puisque nous évoquons Pouchkine et les écrivains souterrains, j’ai retrouvé dans un cahier noir une référence à une lettre de Lydia Tchoukovskaïa. Il est probable que ce nom ne dit rien à personne ou en tout cas à peu de monde aujourd’hui. Mais pourquoi écrire s’il ne s’agit pas de réveiller notre mémoire, de trouver du charme à des souvenirs endormis et de transmettre aux générations futures quelques mots qui peuvent susciter à la fois la curiosité, l’intérêt et l’admiration. C’est là tout le travail de l’auteur virtuel. Plonger dans un monde souterrain pour revenir avec, de temps en temps,  quelques diamants.

Dans une lettre ouverte concernant une intervention criminelle de Cholokhov au XXIIIème congrès du parti communiste de l’Union soviétique, toujours à propos du procès de Daniel et Syniavsky, Lydia Tchoukhovskaïa a écrit : la littérature n’est pas justiciable des tribunaux de droit commun. Aux idées il convient d’opposer des idées, et non les camps et la prison. Voilà ce que vous auriez dû déclarer à vos auditeurs si vous étiez monté à la tribune vraiment en tant que représentant de la littérature sociétique. mais vous avez parlé comme un renégat. L’histoire n’oubliera pas votre discours ignominieux. Et la littérature se vengera toute seule comme elle se venge de tous ceux qui se dérobent devant le difficile devoir qu’elle impose. Elle vous condamnera à la peine la plus élevée qui soit pour un artiste – la stérilité créatrice. Et ni l’argent, ni l’honneur ni aucune distinction internationale ne pourra lever ce verdict.

Commentant cette lettre, Galanskov ajoute : La littérature se vengera toute seule. Car qui a vendu son âme au diable ne peut servir les dieux. Et la littérature exige de l’écrivain la révélation divine, la sincérité, la vérité. Nos deux écrivains souterrains ont été entendus. Cholokhov est tombé dans la stérilité créatrice. Des doutes ont même été émis sur le fait qu’il serait bien l’auteur du Don paisible, qui lui valut le prix Nobel en 1965. Des enquêtes ont été conduit pour évoquer un possible vol de manuscrit, ce qui n’étonne personne concernant cet ignominieux individu qui appelait à poursuivre et condamner à la détention en régime sévère, les diisdents russes. On peut d’ailleurs regretter qu’il n’existât point de procédure de déchéance du prix Nobel pour un salopard de cette espèce.

Et Galanskov met tout le monde dans l’embarras quand il affirme que la littérature exige de l’écrivain la révélation divine, la sincérité, la vérité. Tout le monde, car les lecteurs sont concernés dans leur choix de lecture, tout comme les éditeurs dans leur choix de publication. Sans oublier l’auteur à qui s’impose en premier cette exigence de révélation divine, de sincérité et vérité.

Ainsi, qu’en est-il de cette triple exigence pour l’auteur virtuel qui n’est pas un auteur souterrain, et qui pourtant dissimule son nom sous un pseudonyme. Pourquoi ? Après tout, le lecteur a le droit de savoir qui est cet auteur virtuel ? est-ce seulement une coquetterie ?  Qu’est-ce qui justifie d’être un auteur virtuel ? Cette question mériterait une réponse : écrire que l’oeuvre se suffit à elle-même n’est pas forcément une réponse sincère et véridique. Et encore, cette question de pseudonyme est sans  véritable intérêt. Qu’est-ce qui certifie  que l’auteur virtuel, s’impose cette triple exigence de révélation divine, de sincérité et de vérité ? Il doit être tout entier au service de son oeuvre, se comporter en auteur souterrain, ne faire aucune concession, en commençant par écarter les sacs d’écus qui font le bonheur matériel des écrivains mais les condamnent au malheur spirituel. L’oeuvre seule peut apporter une réponse, elle seule permet de vérifier qu’un auteur s’impose cette triple exigence.

S’agissant de la littérature française en général, et non en particulier, celle-ci a trop vendu au diable son âme depuis cinquante ans et plus, pour ne plus servir les dieux depuis longtemps. En cherchant bien, il existe peut-être deux ou trois auteurs qui n’ont pas vendu leur âme, ce sont plutôt des auteurs francophones originaires de Chine ou d’Afrique. mais s’agissant de tous ceux qui se poussent du col pour des prébendes, des chaises, des passages aux radios ou à la télévision, du scoring de basse communication, des postes d’ambassadeur, de consul ou de conseiller,  on peut douter légitimement de l’exigence de sincérité et de vérité ; la révélation divine reste plus compliquée à prouver dans un sens ou un autre.

Alors, oui, l’auteur virtuel, s’il veut être au niveau d’exigence d’un auteur souterrain, doit donner des gages à ses lecteurs, et se comporter comme ses modèles. Il a plutôt bien commencé, il est resté enfermé dans le souterrain perndant trente ans, fermant sa gueule quand il n’avait rien à dire. mais a-t-il quelque chose à dire aujourd’hui qui relève de l’exigence de la révélation divine, de la sincérité et de la vérité ? On peut en douter, l’époque se prête plus au canular, à la vantardise et à l’idiotie tous azimuts.

Une petite chose, pour commencer : si vous ne connaissez son oeuvre, lisez alors deux livres de Lydia tchoukovskaïa qui valent leur pesant de souffrance : Sophia Petrovna (aussi intitulé la Maison déserte) et Entretiens avac Anna Akhamatova. Par la même occasion, trouvez le recueil de poèmes d’Anna Akhmatova, Requiem, et admirez. Plus sincère et plus véridique n’est pas impossible mais difficile. Plusieurs peintres ont réalisé des dessins ou des portraits d’Anna Akhmatova au début du vingtième siècle, comme Modigliani ou Nathan Altman. Il me semble que la finesse et la simplicité du trait de Modigliani symbolisent parfaitement la recherche de sincérité et de vérité qui marque toute l’oeuvre de la grande poètesse russe.

Sophia Pétrovna : (La Maison déserte) par Tchoukovskaïa            

Exceptionnellement, par facilité, voici deux liens pour découvrir la personnalité et l’oeuvre de Lydia Tchoukoskaïa et Anna Akhmatova. Que l’auteur virtuel en soit pardonné. pour ceux qui lisent l’anglais, il est préférable de se reporter à la british version, car côté français c’est parfois assez approximatif comme vous le contera un jour l’auteur virtuel à propos du pirate Veneto.

http://fr.wikipedia.org/wiki/Lydia_Tchoukovska%C3%AFa http://fr.wikipedia.org/wiki/Anna_Akhmatova

Et pour conclure, Vive la littérature russe. Est-ce parce qu’ils ont eu à supporter les tsars, Lénine, Staline, Brejnev et Poutine, mais quel essor cette littérature depuis Pouchkine ! Je n’évoque pas Khrouchtchev et Eltsine, c’étaient des plaisantins ! La preuve, l’un a accepté que Soljenitsyne soit publié dans la revue Novy Mir, et l’autre a laissé tout filer 🙂