Pour nous qui aimons la Normandie, n’allons pas croire que chaque matin lorsque le Normand se lève, celui-ci se prend pour un Viking, imaginant ce que serait devenu sa province si l’empire angevin Plantagenêt l’avait emporté sur le royaume des Capétiens; pas plus il ne compte le nombre de paquebots qui pourraient être arrimés au Havre s’il n’y avait eu l’aviation pour mettre fin aux traversées transatlantiques. Il se contente plus probablement d’ajouter une goutte de calva dans son café, de prendre une tartine et d’emporter un litron de cidre pour accompagner à midi une boîte de camembert, de livarot ou de Pont-l’Evêque. Car telle est la vie du Normand, immuable depuis mille ans à cuisiner au beurre et se beurrer.
Enfin presque ! Car les affiches publicitaires nous montrent qu’au début du siècle dernier, les Normands ont découvert les bienfaits des bains de mer, ce qui transforma leur mode de vie et ouvrit des perspectives insoupçonnables à cette province calme et paisible qui n’aime rien tant que ramasser des bottes de foin dans les granges pour, l’hiver venu, donner à manger aux vaches normandes: la vie serait bien sans ennuyeuse sans beurre, fromage, ou le sempiternel fromage blanc relevé d’un coulis de fruits rouges. Une Normande ne peut vivre sans crème fraîche tout comme un Provençal sans thon, deux fois.
Heureusement des peintres aussi réputés que Dufy, Aujame ou Dali ont témoigné que la Normandie ne se limite pas à des maisons de briques dans de vertes prairies mais que l’art moderne a aussi son mot à dire s’agissant d’une province si proche de la capitale qu’elle offre aux Parisiens en mal d’air pur, des possibilités infinies de divertissement. Car l’art du bain de mer en Normandie est de ne surtout pas mettre un doigt de pied dans la Manche, ce qui ne serait d’ailleurs pas facile sauf à risquer sa vie, mais de veiller à rester sur les planches, à la rigueur de marcher sur le sable d’un pas lourd au milieu des palourdes et des crabes sans tambour.
C’est qu’on ne manque pas de stations pour les bains de mer : la concurrence est rude entre la plus belle plage du monde de Trouville et celle de Cabourg qui revendique aussi le titre, la plage des enfants de Villers-sur-mer ou encore la plage de toute sécurité de Saint-Aubin-sur-mer, dont on se demande à la réflexion qui pourrait d’ailleurs vanter l’attrait qu’elle fut dangereuse. Et toutes ces plages sont à moins de cinq, quatre ou trois heures par le réseau de chemin de fer qui promeut aussi l’accès direct, tant il est vrai que la correspondance par Pau n’était pas encore un passage obligé pour tous les aventuriers.
De manière générale, toutes les stations balnéaires de la côte normande ont leur charme. On y joue au golf, on se prélasse sur des chaises pliantes qui peuvent être des transats des chiliennes ou des flâneuses à ne pas confondre avec une Chilienne allongée sur un transat, on fréquente le casino, on pratique le canoë ou le yachting pour les plus fortunés, les enfants font de beaux châteaux de sable, et pour les plus téméraires, on se baigne aussi jusqu’aux chevilles, car la mode n’est point encore à trop se dévêtir. Il est vrai que le vent, les nuages et la pluie existent, bien plus que Dieu en Normandie en dehors du D-Day, car les nuages on les subit tous les jours, alors que Jésus n’a jamais promis que de revenir à l’occasion. Les vents et les pluies y sont si forts qu’ils en font le charme de la région en toutes saisons. D’ailleurs, on en connaît au moins une qui a renoncé à porter le chapeau ou la casquette en jouant au golf d’Houlgate, sauf n’être que de la publicité mensongère. Or, c’est bien connu, un Normand ne ment jamais, il est encore moins béni-oui-oui, l’expectative est son domaine, peut-être bien même que même mal peut-être.
Cela dit, désigner Granville comme le Monaco du Nord laisse songeur, car question paradis fiscal, il est préférable de s’embarquer pour l’île de Jersey, maintenant que la Suisse n’apporte plus de garantie.
Les stations balnéaires ne sont pas les seules villes pour lesquelles des efforts de publicité ont été engagés par les compagnies de chemin de fer préoccupées de rentabiliser les milliers de kilomètres de voies qui avaient été construites depuis le milieu du dix-neuvième siècle. Des séjours à Fécamp, Coutances ou Avranches ont été tout autant vantés de même que prendre les eaux à la station thermale de Bagnoles-de-l’Orne réputée pour ses eaux minérales naturelles. Et on affiche la couleur avec un parapluie rouge dont on ne sait s’il protège du soleil ou des averses, peut-être des deux, p’tben qu’oui, p’tben qu’non.
Toujours est-il qu’au tournant du siècle dernier, une station balnéaire à elle seule résume l’attrait de la côte normande, c’est Trouville. Son casino est splendide, on y tient salon, on y régate, c’est « la reine des plages« . Le bonheur est à portée de chapeau à condition de bien le tenir pour que le vent ne l’emporte pas.
L’autre reine de la Normandie, c’est la pomme. Il faut aller en Normandie pour la cueillir et s’enivrer de cidre ou boire la cuvée du Ruban bleu que l’on vend plus à terre que sur mer lors de la traversée atlantique du Normandie. Coutances a même trouvé le moyen d’associer la musique aux pommes en créant un festival de jazz sous les pommiers qui rivalise avec celui de Montreux, les pépins en plus.
La Normandie ne se limite pas à ses plages. On peut y débarquer à tout moment, loin du rivage en visitant des villes telles que celle de Lisieux réputée pour ses pèlerinages et ses vieilles maisons, surtout depuis qu’elles ont été bombardées, ou encore Cricqueboeuf dont la mare est bien plus qu’un étang ou un lac, tout simplement un plan d’eau au charme vanté par le Chemin de fer de l’Etat qui se préoccupe aussi de faire connaître Vernon-sur-Eure ou de proposer de descendre la Seine de Rouen au Havre.
Et à chaque fois, ces voyages sont une invitation à découvrir le beurre et les fromages normands, tout au moins le dessus du panier pour reprendre l’accroche de la société Claudel.
Si la gastronomie normande ne vous attire pas, il vous reste alors Deauville qui va prendre le pas sur Trouville, et qui est à la côte normande ce que Cannes est à la côte d’azur, luxe, tapage et volupté. L’affiche de la nouvelle Eve croquant la pomme est à cet égard évocatrice. Deauville n’est pas une station pour les enfants. On y pratique le cheval en amazone et on joue au polo en attendant le soir où les galas en noir et blanc dynamitent la nuit.
Mais si Deauville cultive l’art de la légèreté à travers de multiples salons se tenant au palais des Congrès qui s’avance jusqu’à la plage, de l’autre côté de la Normandie, la merveille de l’Occident de son côté vous invite à plonger au coeur d’une culture millénaire posée sur le rocher solitaire du Mont-Saint-Michel. Les chemins de fer vous proposent des billets à tarifs réduits pour les trois classes du train ainsi que les services automobiles de la SATOS à partir de Dinard ou de Granville, ce qui ressemble à une location combinée train + auto avant l’heure. Plus tard, avec la démocratisation du tourisme, il deviendra possible de s’y rendre en train + autocar, avant que la loi Macron ne permette un accès direct uniquement par bus.
Et puis, si toutes ces propositions de voyages, vacances ou excursions ne vous plaisent guère, il reste toujours la possibilité à une heure quinze de Paris de se rendre à Rouen, la ville musée, où l’on veillera cependant à ne pas demander aux passants où Jeanne d’Arc fut brûlée vive. La ville ne manque pas de monuments : la cathédrale qui inspira Monet, l’abbatiale Saint Ouen tout aussi haute ou presque, le Gros-Horloge dans la rue du même nom ce qui est un excellent moyen mnémotechnique pour s’en souvenir, le palais de justice gothique qui est l’ancien parlement de Normandie, l’église Saint-Maclou et son aître, du même nom que le célèbre commerce de tapis, ce qui est là encore très pratique pour s’en souvenir, la place du Vieux-Marché qui pour ceux qui ont appris leur histoire rappelle vaguement quelque chose en relation avec la pucelle de Domrémy, et d’innombrables hôtels particuliers et maisons à colombage, plus de deux mille paraît-il, donnant à Rouen l’aspect d’une ville normande, ce qui n’est pas tout à fait surprenant.
Et il reste toujours possible de se rendre à la grande semaine de l’aviation ou à la grande exposition nationale et coloniale, à condition cependant de vérifier la validité du billet, car si la ville est un musée, elle n’en garantit pas pour autant que certaines expositions temporaires se poursuivent jusqu’à nos jours.
En définitive, peut-être que tout passe et que les affiches des temps anciens nous racontent un monde qui n’existe plus. Mais au pays où il est déconseillé de prendre à la lettre le conseil de s’adonner aux bains de mer, surtout l’hiver, il n’empêche qu’au détour d’une dernière affiche, un fait historique nous est rappelé pour ceux qui l’oublierait: voici plus de mille ans, les Vikings venus sur leurs drakkars ont débarqué et ils sont toujours là.
Les Vikings peuvent être fiers de leurs descendants : la Normandie est le pays le plus accueillant au monde, et de loin : ils supportent les Parisiens chaque jour que Dieu fait!