Voici une chronique de l’Auteur virtuel publiée en janvier 2015, à l’ouverture du site internet le Livre d’une Vie, passée alors inaperçue, issue du souvenir de la visite au printemps 2013 de l’exposition « Entre Guerre et Paix », consacrée à l’oeuvre de Marc Chagall au musée du Luxembourg, en compagnie de Jean, atteint de « petits troubles de la mémoire » pour reprendre son expression, et qui allaient prendre au fil des années le Chemin du retour. Cette chronique pressentait le désastre imminent, appelant au secours les mânes de Blaise Cendrars et Marc Chagall, pour que tout demeure entre art, poésie et musique.
Exposition Chagall au musée du Luxembourg, printemps 2013
Voici le texte publié en janvier 2015, consacré aux vitraux de Marc Chagall visibles à Metz et Jérusalem :
C’est à toi que je pense Marc Chagall. Personne d’autre que toi n’est capable de témoigner avec autant de lyrisme pictural, que Dieu entoure toutes choses et pénètre tout.
Voilà, cette nuit, que ma mémoire est en feu : je me souviens du jour lorsque de petits nuages tournent, se dissipent, se fondent. Je ne sais si la route elle-même prie et si les maisons meurent, mais tu rends évident que le ciel passe de tous côtés.
Fresque de Marc Chagall pour le plafond de l’Opéra Garnier à Paris, 1964
Le poème Pâques à New York écrit par Cendrars nous demande :
Où sont les longs offices et où les beaux cantiques ?
Où sont les liturgies et les musiques ?
Où sont tes fiers prélats, Seigneur, où tes nonnains ?
Où l’aube blanche, l’amict des Saintes et des Saints ?
Ils sont là, Blaise, ils sont là, dans les vitraux réalisés par Marc Chagall, ton ami peintre, qui écrivit : Seul est mien le pays qui se trouve dans mon âme. [ Au fait, qui d’autre qu’un poète tel que toi, Blaise, pouvait encore se préoccuper de sauver la nonnain que Pierre de Ronsard évoquait en 1555 : Contrefais-tu la nonnain. Dedans un cloître enfermée ?]
Vitrail de la Création, par Marc Chagall, cathédrale de Metz
Ami lecteur, si tu passes à Metz, arrête-toi admirer les vitraux de la cathédrale, que Chagall a réalisé en 1958, lui qui confia : je ne peux pas prier, je travaille seulement ; et priez pour lui, pour ce qu’il nous a donné, qui ne sont pas les lumières de la Bible ou sa beauté énigmatique, mais la Bible elle-même, car nul mieux que lui ne sait nous retransmettre la simplicité du récit biblique : chaque couleur doit encourager pour prier.
Si d’aventure, ami lecteur, tes pas te conduisent sans trembler en la Jérusalem céleste, rends-toi là où Chagall a trouvé à la fois la lumière et la terre, la matière, son talisman organique. C’est en la synagogue du centre hospitalier de l’université hébraïque Hadassah à Jérusalem, dans le ciel de Judée, que s’élève les douze maisons de verre bénies, chaque jour, par les rayons du soleil, figurant les douze tribus d’Israël, à qui Dieu donna le pays de Canaân. Je veux tous les nommer pour me remémorer les couleurs dominantes :
Ruben, bleu azurin, saphir
Siméon, sang du taureau immolé
Lévi, l’or sur la terre
Juda, à qui obéiront les peuples, au midi du monde
Zabulon, au bord de la mer, au temps des moissons
Issacar, âne vigoureux, couché au milieu des étables
Dan, serpent tellurique sur le chemin qui dispense mort et vie
Gad, qui détrousse les détrousseurs, sang répandu au milieu de la vallée fertile
Asher, pain savoureux, équilibre du monde
Nephtali, biche en liberté qui donne de beaux faons, jaune du nouveau soleil
Joseph « à lui la gloire », aux couleurs aériennes et légères, jaune, bleus, rouges, verts
Benjamin, loup rapace, bleu des sources originelles.
Les 12 maquettes des vitraux d’Hadassah à Jérusalem
Je vous dirai un jour comment les visites en la synagogue du centre hospitalier Hadassah à Jérusalem en 1985 et 2011, ont inspiré mon œuvre, y apercevant ici un cadran solaire, là une sphère céleste, qui, en l’esprit matérialisé par la lumière, nagent dans les eaux de la Vie, au milieu des malades qui souffrent. La beauté seule peut sauver le monde et guérir les hommes. C’est là, à vingt-cinq ans de distance que j’ai trouvé ma couleur, ma tonalité littéraire.
Chagall nous dit : Regardez Rembrandt, regardez Chardin, regardez Monet, chacun a sa chimie. En écriture comme en peinture ou en musique, il n’y a pas de gribouillage, de dessin ou de portée, mais de la lumière, une œuvre qui se lève dans toute sa plénitude avec les premières lueurs de l’aurore, les Promesses de l’aube, qui deviennent lumière au milieu des tourments et des angoisses que l’on apprend à maîtriser par une longue vie de travail entièrement dédié à faire ressortir du néant, du noir et de la grisaille, la lumière de l’esprit qui nous porte.
Et si vous doutez que c’est bien ainsi que cela se passe, écoutez Marc Chagall parlant d’un quintette de Mozart, le « divin Mozart » : Où Est-ce qu’il a déniché ça ? Quelqu’un lui a chuchoté ça… chante ça… et il chante, il écoute la dictée des anges… ce n’est pas donné à tout le monde ça, il fait tout ce qu’il veut, à droite, à gauche… ça marche, ça marche.
Apprenons en admirant les vitraux de Chagall à écouter la dictée des anges, qui lui permet d’y mettre toute la lumière du monde. Ce n’est pas une question de palette de couleurs, de technique ou de plombs mais un don, le don de la Vie.
Vitrail de l’Arbre de Vie, à la chapelle des Cordeliers