Le Marignan de la langue française

Francois 1er King of France has embellished and decorated the Fontainebleau Castle

Alors que le bleu de la Désirade pointe à l’horizon, un retour historique sur l’ordonnance de Villers-Cotterêts met en évidence que la vitalité d’une langue est d’abord celle de ses locuteurs et que ce ne sont pas les lois ou les édits qui décident de l’avenir d’une langue. A cet égard, la croissance démographique de l’Afrique peut permettre au français de retrouver son universalisme dans les toutes prochaines années, à condition d’accompagner cette évolution inexorable par des moyens renforcés pour l’enseignement de la langue française dans les pays concernés. A ce sujet, vous pouvez consulter l’article suivant : http://theafronomist.com/pourquoi-les-africains-sont-garants-de-la-langue-francaise-by-theafroptimist/.

Encore faudrait-il que les Français reprennent l’offensive pour enrichir son ardent vocabulaire et simplifier grammaire et orthographe au lieu d’abandonner cette langue illustre aux vents mauvais de l’idiotie, du crétinisme et de l’imbécillité des massacreurs de la liberté. Tout ceci  n’est certes qu’écume des jours. Encore faut-il que l’Etat reprenne le flambeau d’un Jacques Toubon qui fit adopter une loi d’application de la Constitution de 1958, qui est tout simplement l’extension à des domaines essentiels, de l’ordonnance de Villers-Cotterêts.

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La célèbre ordonnance de Villers-Cotterêts a été édictée par le roi de France François 1er entre le 10 et 25 août 1539 en son Château de Villers-cotterêts situé dans l’Aisne, qu’il construit au milieu de forêts giboyeuses pour y battre passion, la chasse.  Cette ordonnance est l’œuvre du chancelier Guillemine Poyet ; elle fut enregistrée au parlement de Paris le 6 septembre 1539. Elle constitue le véritable acte fondateur de l’universalité de la langue française selon l’expression de Rivarol.

Château de villers cotterets - Bing Images

Château de Villers-Cotterêts

475 ans plus tard, l’ordonnance est toujours partiellement en vigueur  pour ses deux articles les plus célèbres, tandis que de nombreux articles de cette longue ordonnance  qui comportent  au total 192 articles, ont servi à l’édification de pans entiers du droit français. La loi constitutionnelle n°92-554 du 25 juin 1992 lui fait écho lointain en précisant à l’article 2 de la Constitution de la Cinquième République que la « langue de la république est le français » ; de nombreuses décisions de justice font référence à cette ordonnance, tel cet arrêt de la Cour de Cassation du 13 décembre 2011 dans lequel il est considéré qu’en matière de preuves commerciales l’ordonnance de Villers-Cotterêts du 25 août 1539 fonde la primauté et l’exclusivité de la langue française devant les juridictions nationales ; ou encore, en matière criminelle, l’arrêt Turkson du 4 mars 1986, qui vise l’ordonnance rendue à Villers-Cotterêts pour rejeter un pourvoi dont le mémoire n’est pas rédigé en langue française. Villers-Cotterets et la salamandre de François I°.

Salamandre de François, par la grâce de Dieu roi de France

A l’heure où la langue française s’étiole sous les effets de son apprentissage incertain et d’un usage malmené par l’envahissement des idiomes anglo-saxons, il est utile de rappeler les deux  principes de clarté et d’intelligibilité qui conduisent à imposer la rédaction de tous les actes de justice « en langage maternel français et non autrement», et qui forgent le destin exceptionnel dans le temps de cette ordonnance de simplification du droit sur l’ensemble du territoire national. Au début du XVIème siècle, le français n’est pas une langue unique dans le Royaume de France, et il n’est pas dans les intentions royales de mener une politique linguistique qui substituerait  le français aux parlers régionaux, dont le passé historique est considéré « de valeur égale sinon supérieure.» En revanche le souhait des rois de la Renaissance est de clarifier la langue du procès, en remplaçant l’usage du latin par des langues intelligibles, que ce soit le français ou « à tout le moins en vulgaire du pays » pour reprendre les termes de l’ordonnance d’Is-sur-Tille d’octobre 1535 édictée par François 1er à destination des cours de justice de Provence. La logique est simple : les langages compréhensibles par tous, le français ou les autres parlers régionaux, doivent se substituer au latin qui fut longtemps la langue du procès mais dont l’usage écrit se perd au point que de nombreux actes en deviennent sources de confusion dans leur application. L’ordonnance de Villers-Cotterêts  ne fait qu’achever une évolution largement engagée depuis Charles VIII en 1490 qui prescrivait dans le Languedoc le langage français ou maternel pour la rédaction des enquêtes criminelles. Elle exige dans tout le royaume de France l’interdiction de l’usage du latin et impose la rédaction de tous les actes de justice en langage maternel français et non autrement. La Bibliographie de Godefroy    Parmi les dictionnaires consacrés à la langue française, le Dictionnaire de l'ancienne langue française et de tous ses dialectes du IXe au XVe siècle de Frédéric Godefroy occupe une place de choix en raison de l'importance de sa nomenclature, de l'étendue de la période couverte, de l'immense masse documentaire contenue dans les 8000 pages de ses 10 volumes publiés entre 1880 et 1902, et de la diversité de ses sources manuscrites et imprimées.

Dictionnaire de l’ancienne langue française et de tous ses dialectes du IXème au XVème siècle, par Frédéric Godefroy, 10 volumes de 8.000 pages publiés entre 1880 et 1902

Depuis lors, juristes, linguistes et historiens débattent sur le sens à donner à ces trois mots  qui peuvent désigner seulement la langue française en opposition au latin et aux langues provinciales des pays rattachés au royaume de France en 1539, ou bien « tout langage maternel du royaume de France », dans la lignée des ordonnances précédentes telles que celle d’Is-sur-Tille en 1535. Si ce débat est loin d’être clos, en revanche les intentions qui président à l’édiction de l’ordonnance de Villers-Cotterêts ne font aucun doute. Il s’agit de proscrire l’usage de la langue latine pour éviter les inepties du latin judiciaire qui en résultent dans la rédaction des actes de justice, et qui pouvaient rendre ces derniers inintelligibles, et donc non susceptibles d’être facilement compris pour les justiciables.

C’est donc la clarté et l’intelligibilité des actes de justice qui sont recherchées, ce que l’article 110, met explicitement en évidence : « Et afin qu’il n’y ait cause de douter sur l’intelligence des dits arrêts, nous voulons et ordonnons qu’ils soient faits et écrits si clairement qu’il n’y ait, ni puisse avoir aucune ambiguïté ou incertitude ne lieu à demander interprétation ». » Pour atteindre ce résultat, l’article 111 ordonne : … nous voulons d’oresnavant que tous arrests, ensemble toutes autres procédures, soient de nos cours souveraines, et autres subalternes et inférieures, soient de registres, enquêtes, contrats, commissions, sentences, testaments, et autres quelconques, actes et exploits de justice ou qui en dépendent, soient prononcés, enregistrés et délivrés aux parties en langage maternel français et non autrement ». Si ces deux articles sont devenus rétrospectivement le symbole de la généralisation de l’usage du français, le dessein d’unification par cette ordonnance de la langue par tous les sujets du Roi est largement à nuancer. On retiendra simplement que l’unification procède d’une lente évolution, entre le recours au français pour la rédaction des lettres royales depuis le début du XIIIème siècle jusqu’à  son imposition à l’ensemble des actes de justice en 1539. Au-delà de l’objectif de clarté et d’intelligibilité des décisions de justice pour accélérer le mouvement d’unification de la langue française sur l’ensemble du royaume, la recherche de la simplification du droit constitue le fil conducteur de l’ensemble de l’ordonnance de Villers-Cotterêts constituée de 192 articles. Car s’il ressort une volonté de la lecture de cette ordonnance, c’est bien celle de disposer sur tout le territoire d’un corpus unique de règles en matière de procédure civile ou criminelle pour obtenir l’abréviation des procès qui peuvent être d’autant plus longs que les procédures connaissent des rebondissements inattendus en l’absence de procédures claires et intelligibles (et alors même que la durée de vie moyenne des sujets du royaume n’excède pas trente ans ); mais aussi généraliser la tenue des registres pour y relater les principaux événements touchant l’état des personnes que ce soit le registre des baptêmes ou celui des sépultures qui doit servir pour les « personnes tenans bénéfices » comme « preuve du temps de la mort ». Site web des Archives départementales du Nord - Archives en ligne - ETAT CIVIL - ETAT CIVIL

L’ordonnance préfigure ainsi  ce qui sera ultérieurement dénommé état civil, dont l’ordonnance impose pour la conservation le dépôt au greffe du baillage ou sénéchaussée. Autre réforme d’importance, l’obligation faite aux notaires de tenir registres et protocoles de tous les testaments et contrats qu’ils passeront et recevront,  pour prévenir les destructions volontaires et faciliter les recherches. (Voir par exemple, Les registres de notaire aux archives du département de la Manche à Saint Lô). L’ordonnance exige encore de la part des notaires l’énonciation précise de la désignation des immeubles et de la « demeurance des parties », préfiguration là aussi du registre du cadastre.  Pour conclure sur l’ordonnance,  en matière civile de nombreuses dispositions se retrouvent dans les règles de l’article 907, 932 ou 941 du code civil, ou encore les exigences  du principe de la contradiction, elles-mêmes provenant de la procédure romaine et qui sont passées dans le droit positif.

En revanche, si le principe enjoint aux cours de justice  de vaquer à l’expédition des procès criminels préalablement à toutes choses, est toujours respecté par la chambre criminelle de la Cour de cassation, on ne peut que se féliciter que les méthodes aient évolué au fil du temps. Car même si l’ordonnance de Villers-Cotterêts n’instaure pas la torture qui est empruntée à la procédure criminelle du Bas-Empire, et qu’il n’est pas plus fait état du supplice de la roue, l’ordonnance autorise la délégation judiciaire pour procéder à l’information par des auxiliaires de justice  dans le cadre d’une procédure ordonnant de « trouver la vérité des crimes, délits et excès par la bouche des accusés,  si faire se peut », sans l’assistance d’un conseil et sans connaître les charges apportées contre lui par l’information ». La dureté de ces procédures en matière de procès criminel nous rappelle que 475 ans nous séparent de l’édiction de l’ordonnance de Villers-Cotterêts. Mais l’actualité de ces deux articles 110 et 111 consacrés à la langue française persiste. Elle doit nous inciter en permanence à  la « défense et l’illustration de la langue française » pour reprendre le manifeste de  Du Bellay en 1549, ce qui impose l’apprentissage de la clarté, c’est-à-dire l’absence d’ambiguïté, et l’intelligibilité, c’est-à-dire la compréhension par tous.

Pour en revenir à Rivarol, une seule phrase  de son discours primé à Berlin en 1784 et qu’il avait consacré à « l’universalité de la langue française », résume tout l’enjeu : « ce qui n’est pas clair n’est pas français ».

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