L’écuyère bavaroise

Le Vicomte de Bragelonne (suite des Trois mousquetaires et de Vingt ans après) par Alexandre Dumas, publié par le journal, les Bons romans : [affiche] / [non identifié] - 1

Voici un chapitre du Maître de la moisson qui doit tout à Alexandre Dumas. Au lieu de passer son temps à refaire des programmes bouffis, l’Education nationale devrait privilégier une approche intemporelle par la lecture de solides romans de jeunesse tels que la trilogie de Dumas : les trois mousquetaires, Vingt après et le Vicomte de Bragelonne. Dumas est l’un des auteurs les plus lus au monde et son oeuvre ne cesse d’être revisitée au cinéma. Il n’y a que les pédagogues délirants de la rue de Grenelle qui l’ignorent.

L’ influence romanesque de Dumas est considérable. Pour ne donner qu’un seul exemple, l’auteur espagnol Arturo Perez-Reverte écrit de magnifiques livres dans l’esprit d’A. Dumas, qui son un enchantement pour leur caractère haletant. On conseillera la Reine du Sud, le Tableau du maître flamand, la série épique d’ l Capitan Alatriste, le Peintre de batailles, Cadix ou la diagonale du fou,  ainsi que les Pirates du levant, le Maître d’escrime ou encore le Club Dumas, habile hommage au maître du roman historique.  Ce sont de parfaites lectures estivales qui ne prennent pas la tête et n’obligent pas à supporter les inepties d’innombrables auteurs contemporains français donneurs de leçons.

Un roman d'Arturo Perez-Reverte - http://astore.amazon.fr/chestr-21/detail/2757830864  perez_reverte  La reine du sud - Arturo Perez-Reverte  Arturo Perez Reverte

Voici donc le chapitre 9 du Maître de la moisson qui raconte l’enfance d’Abyssinia, l’héroïne de Roman d’espoir et désormais de l’Enquête normande. On peut lire la première partie du Maître de la moisson, qui s’intitule Itinerario sur tablette, smartphone ou son ordinateur. Elle a paru aux Editions Luxia et ne coûte que 4,95 €, car c’est l’intérêt bien compris du numérique de rendre les livres accessibles à toutes les bourses : lire Cervières pour moins de 5€ c’est donné, et le site de l’Auteur virtuel gratuitement, c’est carrément du bénévolat, une bonne oeuvre. Cela dit, il faut du courage !
Live Aid was a dual-venue concert that was held on 13 July 1985. The event was organized by Bob Geldof and Midge Ure to raise funds for relief of the ongoing Ethiopian famine. Billed as the "global jukebox", the event was held simultaneously in Wembley Stadium in London, England (attended by 72,000 people) and John F. Kennedy Stadium in Philadelphia, PA (attended by about 100,000 people).

Mon nom est Abyssinia Myriam Baba Addi et non Abyssinia d’Abyssinie comme tout le monde m’appelle. Une erreur s’est glissée dans mon état-civil. Le 13 juillet 1985 qui figure sur mon passeport n’est pas plus le jour de ma naissance. Il y a confusion avec le jour officiel de mon adoption.

Je suis née à Abiy Addi, l’ancienne capitale de la province de Tembien, au Nord de l’Ethiopie, avant que cette province n’intègre celle du Tigré. La ville est située sur la route des rois, à deux mille mètres d’altitude, avec une vue imprenable sur les montagnes Simien, aujourd’hui parc national.

Ma mère est morte le 1er mars 1985, un jour de marché, lors de tirs d’artillerie menés par le Front de libération des peuples du Tigré qui s’était allié avec le Front populaire de libération de l’Erythrée pour combattre la junte militaire éthiopienne arrivée au pouvoir en 1974. La prise du pouvoir par Mengistu Haile Mariam, l’instauration d’un régime communiste allié des Soviétiques, avec la collectivisation des terres et la création de fermes d’État, a abouti à des famines épouvantables dans un pays régulièrement confronté à ce fléau. Au Nord, dans un contexte de guerre civile, le gouvernement dissimula la gravité de la situation sanitaire par le déplacement forcé des populations pour lesquelles il était incapable d’assurer un approvisionnement régulier malgré l’aide internationale. Les persécutions et déportations engendrèrent la mort directe d’au moins cent mille personnes en sus du million de décès provoqués par la disette qui dévorait ses enfants dans l’ensemble du pays.

Paradoxalement, sans tous ces malheurs, je n’aurais jamais connu une vie de château. A défaut de connaître mes véritables parents, je suis l’enfant trouvé de tous les chanteurs anglo-saxons réunis pour enregistrer We Are the World. Chaque jour que Dieu me prête, je remercie Quincy Jones, Mickael Jackson et Lionel Ritchie, sans oublier ma mère adoptive.

Elle m’adopta officiellement le 13 juillet 1985, pendant que se déroulait le concert Live Aid organisé par Bob Gedolf, au Wembley Stadium de Londres et au John F. Kennedy Stadium de Philadelphie. Elle travaillait à l’ambassade de France où elle achevait un stage d’initiation nécessaire à son cursus universitaire. Plus tard, elle m’expliqua qu’elle ne voulait pas rester sans rien faire devant toute cette détresse entassée dans la capitale et les environs d’Addis-Abeba où des milliers de tentes avaient été dressées à la hâte par la Croix-Rouge.

Quelques jours avant le concert, elle avait décidé d’adopter un enfant, une petite fille de préférence. Elle s’était rendue dans un orphelinat chrétien situé dans les faubourgs, qui regroupait des centaines d’enfants abandonnés venus du Nord du pays. Elle a été incapable de m’expliquer pourquoi son choix s’est porté sur moi. Elle se rappelait seulement que l’une des sœurs noires de l’orphelinat lui avait raconté qu’elle se souvenait m’avoir retrouvée accrochée au corps ensanglanté de ma mère, que celle-ci aurait été l’épouse d’un descendant du Ras Kassa, de la branche des princes du Tigré, issus par le sang de la dynastie impériale. Elle savait aussi que mon grand-père avait combattu les Italiens avec les Arbegnoch, les patriotes éthiopiens, et rallié la Gideon Force constituée sur place par la mission 101 menée par le colonel Sandford et dirigée par le lieutenant-colonel Orde Charles Wingate à partir de février 1941 pour bouter les Italiens hors d’Ethiopie.

Remplissant au consulat les papiers et tenant compte de ma morphologie, ma mère se rappelait, qu’en accord avec la sœur grise qui m’avait recueillie, elle avait décidé que j’aurais un an et un jour à la date de mon adoption, car je ne savais toujours pas marcher. Pour une raison inexpliquée, le consul qui tenait le rôle d’officier d’état-civil se trompa en mentionnant la date de l’année et a écrit 1985 au lieu de 1984, ce qui me rend, officiellement, plus jeune d’au moins un an.

Quelques semaines plus tard, au début du mois de septembre, je rentrais avec ma nouvelle mère en France, désormais ma patrie d’adoption. Dans le hall de l’aérogare, alors que nous attendions pour embarquer, je quittai ses bras et fis mes premiers pas, seule, tardivement, sans l’aide de personne. Je voulais fuir au plus vite.

Arrivée à Roissy, ma mère m’emmena directement de l’aéroport au château. Elle m’y enferma jusqu’à l’âge de quatorze ans pour me confier alors à l’Institut des Augustines, à Nyon, en Suisse, sur les bords du lac de Genève, afin d’y recevoir l’éducation internationale moderne qu’il convenait de donner à une demoiselle modèle.

Au château, je vivais loin de ma mère qui s’était engagée dans la carrière diplomatique. Elle parcourait le monde, de poste en poste, du Proche-Orient au sous-continent indien, d’Amérique latine aux nouveaux pays issus de l’éclatement de l’ancien corset soviétique. Je recevais de nombreuses cartes postales et de longues lettres dans lesquelles elle me décrivait la vie des peuples qu’elle côtoyait de très loin, leurs coutumes, leurs rites et leurs malheurs. Elle témoignait aussi, en toutes circonstances, d’une volonté implacable pour défendre la grandeur hexagonale en dehors des frontières. Avec ces lettres transmises par la valise diplomatique, invariablement cachetées du lundi, elle était, à elle seule, mon Géo hebdomadaire, aussi précise que la collection Tout l’Univers qui traînait au grenier.

Elle prenait aussi de mes nouvelles, organisant avec une grande rigueur ma vie d’enfant, de jeune fille et d’adolescente. Quelle que fût la distance de son affectation, jamais aussi lointaine que le peu d’affection qu’elle m’accordait, elle tenait mon emploi du temps quotidien, heure par heure, à l’exception du mois d’août où elle m’annonçait qu’elle viendrait me rejoindre et ne venait jamais, me laissant à la solitude, sans emploi du temps, un mois consacré à la rêverie sur l’herbe.

Ma mère avait confié mon éducation à une dame sans âge, quelque peu sévère, que je devais appeler Mademoiselle. Celle-ci veillait scrupuleusement à appliquer les directives de ma mère, à qui elle rendait compte chaque semaine en même temps qu’elle adjoignait une lettre de mon invention, écrite à la plume d’oie pour témoigner de mes progrès constants en écriture.

Les dix premières années de ma vie au Château ont ainsi passé entre la gouvernante, la domesticité et les métayers, avec interdiction d’approcher les enfants des uns et des autres.

Loin de la civilisation, cloîtrée dans un univers protégé du monde par un mur de pierre et des fossés qui entouraient l’immense domaine et les soixante hectares du parc attenant au château, je serais devenue une enfant sauvage, si, pour les nécessités de mon instruction, ma mère n’avait fait appel, à l’âge de raison, à un précepteur, des professeurs et des maîtres d’armes.

Le précepteur était une sorte de séminariste attardé qui se prénommait Aubin. Il assurait auprès de moi, avec dévouement et patience, chaque matin de la semaine, le rôle d’instituteur, mêlant apprentissage et exercices en français, arithmétique, sciences naturelles, histoire et géographie, sans oublier l’éducation religieuse à laquelle il prêtait une vive attention.

Des professeurs de langues, d’éducation physique et d’équitation, habitant dans des villages proches, venaient parfaire mon éducation. Je pratiquais ainsi la gymnastique, la course à pied, m’essayait, sans résultat probant, au piano et à la danse classique fort éloignée du Hota, de l’Hailefo, du Kullo, du Beromshi Hama Haban ou du Shire de mes ancêtres. Le vélo m’était interdit. Quant à la natation, pour seule leçon, un matin de printemps, je fus jetée en rivière comme un baril de lessive, d’un ponton constitué d’un vieux parquet élimé, pourri et glissant, aux lames reliées par des cordes usées, l’ensemble brinquebalant sur des pneus de tracteur flottants ; je me débattais dans l’eau, coulais à pic pour remonter naturellement à la surface, dérivant tel un bouchon ivre pour atteindre le bord où je m’accrochais désespérément à des branches mortes.

Mes seules sorties, toujours accompagnée de la gouvernante, étaient réservées, le dimanche, à la messe où officiait un curé cacochyme qui s’accrochait au latin et montait péniblement en chaire, la croix à la main en guise de crosse, devant des paroissiens qui s’attendaient à le voir, à tout moment, basculer dans le vide ce qui expliquait que ces derniers désertassent les premiers rangs. Une fois par mois, Aubin venait se joindre à nous pour aller déjeuner dans une auberge d’une petite ville des environs, où ma présence au milieu des adultes ne passait pas inaperçue.

Aubin, quelque peu déconcerté par le tour de sévérité donné à mon éducation, devint bientôt mon confident, mon ami et mon complice. Il était le seul homme, qui, par ses fonctions, était autorisé à me voir en dehors de la présence de la gouvernante ou des domestiques féminines qui veillaient sur moi à longueur de journée. Ma mère et ma gouvernante se méfiaient de l’influence possible que pouvait avoir un homme sur une jeune fille.

Réalisant que rien dans l’éducation qui m’était donnée ne pouvait me confronter à mes véritables origines, il profita de certaines heures de cours pour me faire découvrir l’Ethiopie et l’Abyssinie, à travers des leçons de choses consacrées à la faune et la flore, l’histoire et la géographie. Il avait aussi trouvé des photographies qui m’étonnèrent au plus haut point : il n’y avait rien de singulier à être une petite fille noire, exception faite lorsqu’on était élevé, comme moi, dans un univers exclusivement européen. Le souci qu’il apportait à me donner une véritable éducation le conduisit à me procurer une grammaire pour apprendre, dans le plus grand secret, le tigrinya avec son alphasyllabaire guèze et son écriture boustrophédon. A compter de ces jours, alors que je franchissais le seuil de l’adolescence, j’aimais en secret Aubin que j’appelais Cœur pur dans mon journal intime.

Le jour de mes treize ans, il écrivit à ma mère pour lui demander d’assouplir les conditions de mon instruction. Il fut aussitôt congédié. Je ne devais pas, cependant, attendre de nombreuses années avant de le revoir.

J’ai vite trouvé un surnom au précepteur qui lui succéda: Gras-du-bide, un ancien sergent reconverti majordome, habile escroc à barbe grise, recyclé en instituteur pour jeune fille modèle de la comtesse de Ségur. L’année qu’il consacra à m’instruire fut désespérante. Je n’entendais plus, je n’écoutais plus. Je songeais à Cœur pur. Il me restait le cheval et la découverte de l’escrime pour supporter ma séparation d’Aubin. J’allais aussi à la ferme, le plus souvent possible, même s’il m’était toujours interdit de m’approcher des animaux à l’exception des chevaux, de discuter avec les filles et garçons de mon âge, encore moins de jouer avec eux: je ne savais même pas ce qu’était une poupée, ignorant tout de la morphologie d’un garçon.

Très jeune, j’avais appris à monter à cheval. Une écuyère au fort accent allemand me donnait chaque semaine des leçons de dressage dans le manège du château. La voltige, l’endurance, le saut d’obstacles n’eurent bientôt plus de secret pour moi. Je parcourais les bois, traversais des ruisseaux, m’adonnais à des cavalcades sans selle et sans mors, sautais du cheval au galop pour, d’un ferme coup de talon à terre, y remonter aussi vite. Les chevaux me donnaient tout aussi naturellement leur confiance que je leur confiais ma vie à l’occasion d’un cross-country à vive allure. L’écuyère bavaroise transformée en cavalière forestière m’accompagna, en de rares occasions, dans de longues randonnées en dehors des limites du domaine. Nous traversions des champs et des prairies, parcourions des sous-bois à un rythme soutenu, visitions, au pas, en amazone, des bourgs voisins qui m’étaient inconnus. Je découvrais qu’en dehors du domaine et des paroissiens, des êtres humains vivaient qui n’appartenaient pas au monde des livres que le soir, affamée, j’enchaînais avant de m’endormir.

Aubin renvoyé, un maître d’armes silencieux lui succéda pour toute présence masculine digne de ce nom. Il me fut donné par lui, d’apprendre attaques, parades et ripostes. Positions de garde et fondamentaux devinrent mes tourments préférés : marche et retraite, fente, bonds en avant et passe arrière, flèche et ballestra étaient autant de mouvements qui m’apprenaient la discipline en toutes circonstances. Je ne quittais plus mon épée. J’entrais la nuit, dans mon premier sommeil, en la compagnie des mousquetaires du Roi à la place de d’Artagnan : ma vie n’était plus que duels et chevauchées pour délivrer le Masque de fer, retrouver les ferrets de la Reine, sauver Aubin au lieu de Constance. Je n’avais pas l’intention de mourir au siège de Maastricht. Je rêvais de renaître en comtesse Milady de Winter sans avoir été marquée au fer rouge, pendue par Athos, exécutée par le bourreau, la tête tranchée comme un ananas, pour me retrouver le premier lundi du mois de mai, au bourg de Meung qui vit naître l’auteur du Roman de la Rose. Je ne voulais pas souffrir d’amour, seulement vivre.

Au même moment, ma gouvernante, avec une certaine perplexité, m’apprenait que ma mère avait décidé qu’il convenait que j’apprenne le maniement des armes à feu. Un stand de tir fut aménagé dans un bâtiment désaffecté. L’été approchait. On m’y enferma tous les matins avec une femme habillée d’une longue jupe de velours noir qui tirait au pistolet, les yeux bandés, sur une cible mouvante à cinquante mètres, dans le mille. L’apprentissage fut long, éprouvant, éreintant. Je tirais à la carabine à air comprimé, couchée, debout, me relevant à un rythme sans cesse plus étourdissant. La dame en noir m’apprit à tirer au pistolet. Bientôt, je visais au cœur, sur la cible mobile distante de cinquante pas, les yeux bandés.

Un matin, l’écuyère, le maître d’armes et la veuve commencèrent, ensemble, à m’apprendre, dans le parc du château, à combattre à cheval, l’épée à la hanche, le pistolet au poing. De lourds pigeons gris extraits d’une cage en fer, au milieu d’un pré, furent de faciles objectifs singuliers jusqu’à ce qu’il me fût demandé de prendre pour cible des moineaux d’argile, à peine visibles, qui tournoyaient en groupe, au loin, dans le ciel gris, en même temps qu’il me fallait massacrer, à coups d’épée, des épouvantails rempaillés à l’allure d’un sans-culotte portant jaquette et chemise bleues, plantés en terre par une solide croix de bois. Lorsque je réussis à franchir les remparts et à traverser les écuries au galop tout en évitant, à coups de dague et de hache, des mannequins d’un quintal basculés du haut du toit ou du grenier à foin, j’étais prête à entrer dans la vie : l’écuyère me félicitait, le maître d’armes approuvait, la veuve riait, et la gouvernante, consternée, se taisait.

Une lettre de ma mère, régulièrement informée de ces progrès spectaculaires, tenant compte des compliments élogieux de mes professeurs, m’informa, que pour les besoins de mon éducation, j’irais rejoindre, l’automne venant, l’institution des Augustines, à Nyon. Une nouvelle vie commençait.

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