Ce qui est sympa avec le budget de l’Etat, c’est qu’on peut se permettre de raconter n’importe quoi, le public est bon enfant, on se croirait aux marionnettes du jardin du Luxembourg, un jour d’affluence. Depuis quarante ans qu’on vit en déficit en France, le spectacle annuel du vote du de la loi de finances relève de l’amusement des princes qui nous gouvernent et se moquent du peuple : le principe est de présenter un déficit dans la bonne humeur en promettant que tout ira mieux dès l’an prochain : une année de plus ou de moins dans le rouge n’y changera pas grand-chose, « c’est pas faux » :  dormez braves gens, les bons valets de Bercy veillent sur vos revenus et votre patrimoine, c’est en plumant qu’ils videront votre matelas et votre portefeuille.

Jeu de cartes traditionnel du mistigri qui fait le bonheur des enfants et le malheur du contribuable

Ce qui est plus ennuyeux, c’est de passer son temps à minorer la question pour ne pas effrayer le bon peuple à qui on fait chanter dans l’allégresse « tout va très bien madame la marquise« , pour lui faire oublier les échéances fiscales. Rappelez-vous, si James, le valet fidèle, raconte à madame la marquise que sa jument grise est morte, c’est qu’en fait les écuries se sont effondrées et si les écuries sont effondrées, c’est que le château a brûlé, et si le château a brûlé c’est que monsieur le marquis s’est suicidé, mettant le feu au château en renversant une chandelle. C’est simple, toutes choses égales, on croirait un communiqué de presse de Bercy, le jour de la présentation du projet de loi de finances au conseil des ministres.

Quand Bercy va à la pêche fiscale….

Car il en va de même avec les finances de l’Etat. Si le déficit budgétaire est de 3,3% du PIB, c’est que les dépenses publiques excèdent les recettes publiques de plus de 15%, creusant l’endettement qui atteint bientôt 100% et nourrit les charges d’intérêt qui creusent les dépenses publiques et alimentent en retour le déficit. Mais tout va bien, la France est sur la bonne trajectoire depuis quarante ans !

Certains jeux de mistigri permettent d’apprendre, par appareillement, à compter : additions, soustractions, multiplication ou divisions. A Bercy, on ne sait que multiplier les impôts et jamais soustraire ou diviser.

Car, tout est question d’indicateurs. Prenez la fameuse barre des 3% du PIB qui constitue le credo budgétaire européen. Quand le déficit serait inférieur, tout irait bien, quand il serait supérieur, la ruine serait proche. Le problème est que cette barre des 3% n’a aucun sens économique et encore moins budgétaire. Elle a été créée au niveau européen sur la base d’un calcul empirique conduisant à estimer qu’un déficit budgétaire de 3% du PIB serait « soutenable » sur le long terme avec une inflation de 1 à 2% et un taux de croissance de l’ordre de 2% par an permettant de stabiliser l’endettement de l’Etat à un maximum de 80% du PIB sur le moyen terme, appelé à se réduire rapidement lorsque le budget retrouve l’équilibre pour revenir à 60% du PIB qui est l’objectif de base. Tout cerla est très empirique. Cet indicateur est si fantaisiste qu’il a été nécessaire de calculer, dans l’urgence, un autre ratio dit du déficit structurel pour rassurer les foules et donner l’impression que tout est sous contrôle. Avec la meilleure volonté du monde, il est impossible de comprendre ce ratio qui est pure spéculation, mais cela rassure les marchés financiers qui ne sont pas dupes, c’est déjà cela de gagner.

Les règles du mistigri fiscal sont recensées dans le code général des impôts. le jeu est plus compliqué qu’on ne le croit.

Le problème est qu’un tel raisonnement ne fonctionne plus quand on accumule quarante ans de déficit : la dette ne cesse de croître et les charges d’intérêt aussi, sauf coup de chance quand les taux d’intérêt devienent faibles voire très faibles ce qui est le cas depuis trois ou quatre ans. Coup de chance véritable, car autrement le budget de l’Etat serait dans le mur. mais cette chance n’est pas appelée à durer. au moindre retournement de taux, les ennuis reprendront.

Quelques exercices pour débuter au mistigri fiscal ne font jamais de mal

Le ratio de 3% du PIB a d’autant moins de sens qu’il prend en compte l’ensemble des richesses annuelles produites sur l’année par un pays. C’est un raisonnement qui se fonde sur le principe de l’extorsion de fonds. L’Etat prend ce qu’il veut quand il veut à qui il veut en appelant cela : »la justice fiscale ». Au nom de la justice fiscale, tout est possible.  Et en attendant, ce ratio de 3% du PIB ne se préoccupe pas

de la part des dépenses publiques dans le PIB. Si on voulait être un peu sérieux, il faudrait calculer un ratio comparant le déficit budgétaire au PIB net de la dépense publique qui est le solde disponible des acteurs économiques autres que l’Etat pouvant être mis à contribution pour équilibrer les comptes publics.

Dans le cas de la France où le déficit des comptes publics pour 2016 serait de 3,3%, si on tient compte que les dépenses publiques sont égales à 55% du PIB, le déficit rapporté au solde disponible des acteurs économiques autres que l’Etat serait de 7,3%. Voilà vingt ans, quand la dépense publique n’était que de 45% du PIB, ce même déficit de 3,3% n’aurait représenté que 6% du solde disponible. Car plus la dépense publique est élevée, plus il est difficile de combler un déficit par prélèvement fiscal ou social supplémentaire, c’est une loi d’airain de l’économie. Ce serait un ratio autrement plus significatif car il correspond à l’exigence d’effort demandé pour combler véritablement le déficit à partir du revenu net des entreprises et particuliers non encore prélevé.

Pour donner un exemple chiffré, le PIB de la France est de l’ordre de 2.180 milliards €. La dépense publique s’élève à 55% soit 1.200 milliards. le disponible net d’impositions et prélèvements sociaux est donc de 980 milliards. Le déficit de comptes de la nation étant de 85 milliards dont 72 pour l’Etat et 13 pour les comptes sociaux, pour équilibrer les comptes  soit on fait 7% de baisse de dépenses, soit on prélève 8,6% des revenus disponibles des agents économiques hors transferts de revenus déjà affectés à la sphère publique.

Mistigri était au 19ème siècle le nom donné au valet de trèfle  incarné par Lancelot du lac.

Plus inquiétant encore, on n’évoque jamais le taux de couverture des dépenses budgétaires par les recettes de l’Etat. En France, actuellement, les dépenses budgétaires sont d’environ 482 milliards d’euros pour 2016 et le déficit prévisionnel de 72 milliards, soit un taux de couverture des dépenses par les recettes de 15%, qui constitue le véritable trou budgétaire de l’Etat. Pour donner une comparaison, combler ce trou exigerait de supprimer entièrement le budget de l’éducation nationale qui est de 67 milliards d’euros (hors enseignement supérieur) ainsi que celui de la justice (7 milliards) ou bien ne plus verser les pensions de retraite des fonctionnaires (57 milliards) et le budget de l’intérieur (police et sécurité) qui est de 18 milliards.

Comment font alors les bons valets de Bercy pour chaque année donner l’impression que tout va bien dans le meilleur des mondes au moment du vote de la loi de finances. Et bien, tout simplement, ils jouent au mistigri fiscal. Connaissez-vous le jeu du mistigri ? C’est un jeu fort simple pour les enfants. Prenez un jeu de 32 ou 52 cartes, enlevez le valet de trèfle. Il vous reste donc 15 ou 25 paires de cartes si vous associez la couleur à la carte : par exemple les deux rois rouge, coeur et carreau, font une paire. Vous distribuez toutes les cartes, chaque joueur retire les paires constituées dans son jeu ; puis, ensuite, le jeu se poursuit en tirant une carte du jeu du voisin pour constituer de nouvelles paires jusqu’à épuisement des paires. Et le perdant est celui qui a gardé dans sa main la carte isolée, le valet de pique, parfois représentée par un chat noir appelé le mistigri dans les jeux pour enfants.

Paires d’un jeu de mistigri

Et bien, chaque année, avec l’argent des contribuables  et la fixation des taux d’imposition, les bons valets de Bercy jouent au mistigri fiscal et redistribuent l’argent qu’ils n’ont pas pour faire croire qu’ils font quelque chose. Et ça marche depuis quarante ans. Toute la technique est de créer et suppprimer de nouveaux  impôts, modifier des bases d’imposition, créer ou supprimer de nouvelles niches fiscales qu’on appelle aussi des dépenses fiscales, et encore de transférer de l’Etat aux opérateurs sociaux et aux collectivités territoriales des charges qui leur imposent d’augmenter par ricochet d’augmenter les prélèvements sociaux ou fiscaux ou créer de nouvelles recettes pour leurs propres budget.

Autres paires d’un jeu de mistigri

Pour se résumer, ces dernières années, bercy a envisagé d’augmenter la TVA puis y a renoncé partiellement. dans le même temps, les bons valets ont augmenté les impôts directs sur les sociétés ou les revenus pour en bout de ligne en redistribuer cinq milliards sur 2015 et 2016 et près d’une vingtaine en « crédit d’impôt compétitivité entreprise » (CICE) soit 25 milliards de moins de revenus fiscaux alors même que le déficit est de 72 à 75 milliards. Et comme on a promis de ne plus augmenter les impôts d’Etat, on diminue les reversements d’Etat aux collectivités territoriales qu,i plutôt que de faire des économies, relèvent progressivement les bases d’imposition locale et les recettes de poche.

Le jeu du mistigri s’appelle aussi le pouilleux ou la pierre noire 

Pour le moment, ce sont les collectivités territoriales qui se retrouvent avec le mistigri mais cela ne devrait pas durer : il est question de le passer aux organismes de sécurité sociale qui n’arrivent pas à boucher leurs déficits, en attendant que les caisses complémentaires de retraite se retrouvent aussi dans la panade en 2017 ou 2018.

Au final, il s’agit bien du jeu de mistigri dont il est question. Car la variante préférée des enfants s’accompagne de quelques sévices à chaque fois que le mistigri change de main comme pincer la paume , taper sur les doigts ou cogner sur le plat de la main. Pour les contribuables, c’est la même chose, à la fin c’est Bercy qui gagne et leur tape dessus. Et autant dire que l’orsqu’on arrive à 55% de dépense publique rapportée au PIB, tout en ayant 3,3% de déficit toujours par rapport au PIB, on n’est pas prêt de changer de jeu, le mistigri fiscal a encore de beaux jours devant lui. Un dernier chiffre pour montrer l’ampleur du désastre : il faudrait doubler l’impôt sur le revenu pour équilibrer le budget !

Jeu de cartes d’un mistigri pour enfants de quatre à sept ans, âge moyen que les bons valets de Bercy donnent aux Français quand il s’agit de questions budgétaires et de fiscalité

Et pour ceux qui ne connaissent pas, la chanson « Tout va très bien Mme la marquise« , voici une version de 1967 avec Sacha Distel, Jean-Pierre Cassel, Roger Pierre et Jean-Marc Thibault ainsi que Jean Yanne. On croirait que les quatre valets qui s’adressent à la marquise travaillent à Bercy !

 

Jeu de mistigri associant le carnaval et la saint-Valentin, l’imagination des bons valets de Bercy est sans limite !

Le valet de pique, dit valet de Bercy : c’est lui qui, à la fin de la partie, ramasse la mise.