Le Coeur intelligent

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En ces jours particuliers, la peur, la détresse et la mort s’abattent dans le monde entier du fait d’un virus furtif comme l’éclair et invisible comme un tsunami dont la vague créée loin des rivages s’abat subitement sur des populations alertées tardivement et peu préparées à une risque épidémique au point de se réfugier dans l’égoïsme, le mépris et l’irrespect d’autrui. Mettant une nouvelle fois en danger le monde entier, gouvernants et peuples affolés oublient la prophétie de Georges Bernanos :  Il faut faire un monde pour les hommes libres. Le monde ne sera sauvé que par les hommes libres.

Cette pandémie nous rappelle l’invasion biblique de sauterelles, cette huitième plaie de l’Egypte dans le livre de l’Exode ( Exode 10,13-14,19), qui s’abat à nouveau en Afrique de l’Est: elles couvrirent la surface de toute la terre, et la terre fut dans l’obscurité ; elles dévorèrent toute l’herbe de la terre et tout le fruit des arbres, tout ce que la grêle avait laissé ; et il ne resta aucune verdure aux arbres ni à l’herbe des champs, dans tout le pays.

L’exode justement ! Voilà que les foules urbaines fuient sans discernement les grandes villes pour la campagne à l’image de l’exode de mai-juin 1940, au moment de l’invasion allemande précédant l’Occupation du territoire et le surgissement tsunamique de la barbarie nazie. Ce nouvel exode confond tristement peur et terreur, risque plus ou moins grand de mourir selon les âges et certitude de mourir sous le glaive. C’est surtout oublier que la peur mène de la Grande peur à la Terreur par la fureur des passions déchaînées.

L’Exode justement ! Cette semaine, les lectures dans les synagogues sont consacrées au livre de l’Exode pour un Chabbat de paix et de joie. Le hasard des circonstances veut que nous venons de lire un magnifique texte destiné aux « Enfants d’Israël », rédigé par Sophie Bismut qui appartient à l’Assemblée française du judaïsme libéral. Son enseignement définit tout simplement ce que sont les hommes libres évoqués par Bernanos en nous rappelant que la tradition juive met l’accent sur l’intelligence et la connaissance comme chemins de spiritualité, et qu’en toutes circonstances il faut faire preuve de discernement et capacité de raisonnement (y compris dans le maniement des statistiques, NDLA).

La plaie des furoncles, Toggenburg bible, Suisse, 1411

Voici le premier paragraphe puis la fin du texte que nous invitons à retrouver dans son intégralité sur le site de Kehilat-Kedem

Les deux dernières parachiyot du livre de l’Exode : Vayakhel et Pekoudé, font suite à l’épisode dramatique du veau d’or. Moïse rassemble les enfants d’Israël («Vayakhel Moché») et leur donne deux commandements divins : l’observance du Chabbat et la construction du Sanctuaire. Le deuxième livre de la Torah, l’Exode, se termine ainsi avec l’achèvement de la construction du Sanctuaire et son inauguration, le premier jour du premier mois de la deuxième année après la sortie d’Égypte. Moïse assemble tous les éléments du Sanctuaire, étend la tente au-dessus, place les meubles et ustensiles. Il allume la menora et offre des sacrifices spéciaux à Dieu. 

(…)

La tradition juive met l’accent sur l’intelligence et la connaissance comme chemins de spiritualité. Dans la Amida, la prière centrale de nos offices où nous nous adressons à Dieu, la première des 13 requêtes que nous récitons concerne l’intelligence. Nous remercions Dieu de nous avoir donné da’at, bina (d’où vient outvouna) et haskel. Da’at est le savoir par la connaissance expérimentale. Bina est le discernement (comme le mot hébreu ben : entre) et haskel est la capacité de raisonnement.

Aujourd’hui, cette bénédiction et sa position première parmi toutes nos requêtes sont plus que jamais pertinentes. En effet, nous faisons face à cette crise du coronavirus, inédite par son ampleur géographique, qui menace nos sociétés. Ce n’est pas la première épidémie que nos pays rencontrent, mais la première aussi grave à l’heure du tout Internet et des réseaux sociaux. Nous faisons face à des flux continus de commentaires et de nouvelles, à des rumeurs, à des informations contradictoires ou fausses qui créent un environnement terriblement anxiogène.

Nos vies se trouvent complètement bouleversées. Nous voici confinés, retirés entre nos murs et derrière nos portes, pour une durée incertaine, ou bien exposés à un risque de contagion pour tous ceux qui travaillent dans les services médicaux, les transports, les commerces d’alimentation, etc. Nos rapports sociaux sont mis à mal. Enfants et personnes âgées sont mis à l’écart. Confrontés à l’incertitude, nous mesurons nos vulnérabilités individuelles et collectives. Nous faisons face à des comportements d’insouciance qui virent à l’inconscience (parfois les nôtres), des attitudes individualistes irrationnelles collectivement ou des mesures de restrictions radicales. Nous sommes submergés par des émotions intenses, de peur, d’incertitude, de colère.

Aujourd’hui, il nous faut faire preuve de sagesse, de discernement, face à toutes ces émotions, ces stress, ces difficultés et ces épreuves. Notre paracha de cette semaine vient nous rappeler que la construction d’une société qui élève notre humanité, nécessite que nous fassions grandir en nous un cœur de générosité et de sagesse. Notre tradition nous invite à discerner, à faire l’effort de comprendre, de distinguer, pour ne pas laisser nos émotions nous guider dans des faux chemins.

C’est pourquoi, aujourd’hui, nous pourrions reprendre la prière de Salomon, ce roi, fils du roi David, qui va construire le Temple de Jérusalem. Lorsque Dieu demande à Salomon dans un songe nocturne ce qu’il désire le plus, voici ce qu’il demande :

« Donne donc à ton serviteur un cœur d’entendement / un cœur intelligent (lev shoméa) » (I Rois, 3:5-15):

Puisse l’Éternel nous accorder à tous un cœur intelligent !

La septième plaie, la grêle, J. Martin, 1823

Merci à Sophie Bismut de nous rappeler qu’il faut faire preuve de discernement et qu’il n’est pas inutile de prier en toutes langues pour demander à l’Eternel en ces temps difficiles un coeur intelligent.

Il ne sert à rien d’avoir peur, il faut vivre dans un monde destiné aux Hommes libres pour faire preuve de caractère, pour tenter d’échapper à un univers confronté en permanence aux dix plaies de l’Egypte, pustules ou virus sauterelles d’Egypte ou d’Ethiopie ces jours-ci, sans oublier mort des troupeaux, grêle, tempêtes, cyclones et tremblements de terre.

Puisse l’épreuve du Coronavirus nous rendre plus solidaire. Elle nous invite à ne pas pas nous asseoir auprès des fleuves de Babylone, pour nous souvenir d’un monde ancien et disparu, mais à agir pour construire un monde plus juste et fraternel, et s’efforcer de faire le Bien pour autrui, qui constitue un chemin pragmatique de spiritualité.

La Plaie des sauterelles, Bible Holman, 1890

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