La guerre de la violence et de la vérité

Bombe atomique, par Andy Warhol

Maintenant que l’existence du réel s’est révélée en France le 13 novembre 2015 en une séquence de violence extrême, que pouvons-nous comprendre et décider alors que « la charité fait face à l’empire aujourd’hui planétaire de la violence » pour reprendre une expression employée par René Girard en épilogue de « Achever Clausewitz« ,  cette réflexion menée en 2006 sur l’oeuvre du penseur militaire qui depuis deux siècles incarne dans l’ombre des états-majors les rapports humains, Carl von Clausewitz (1780-1831). Son traité posthume, De la Guerre, peut être considéré comme le plus grand livre jamais écrit sur la guerre, lu et relu de la fin du XIXè siècle jusqu’à nos jours alors que « la montée aux extrêmes » qu’il décrit dans sa théorie a détruit l’Europe au vingtième siècle et menace le monde actuellement (illustration d’introduction : la bombe atomique, d’Andy Warhol.)

Battle of Valmy 1792:

Von Clausewitz a 12 ans quand il participe dans les rangs de l’armée prussienne, comme porte-étendard, à la bataille de Valmy, le 20 septembre 1792, ce moment décisif de l’histoire qui illustre une nouvelle « montée aux extrêmes » avec le recours des Français à la conscription.

Dans « Achever Clausewitz »  rené Girard observe à juste titre que « nous, Allemands et Français, sommes responsables de la dévastation en cours car nos extrêmes sont devenus le monde entier. » Il ajoute : c’est nous qui avons mis le feu aux poudres. Si l’on nous avait dit, il y a trente ans que l’islamisme prendrait le relais de la Guerre froide, cela aurait fait rire. Si nous avions dit, il y a trente ans, que les événements militaires et environnementaux étaient dans les Evangiles, un phénomène lié ou que l’Apocalpyse avait commencé à Verdun, on nous aurait pris pour des témoins de Jéhovah. La guerre aura été pourtant le seul moteur des progrès technologiques. Sa disparition en tant qu’institution, qui ne fait qu’un avec la conscription puis avec la mobilisation totale, a mis le monde à feu et à sang. A continuer de ne pas vouloir voir, nous encourageons cet élan vers le pire. »

Napoléon à Berlin (Meynier). Après avoir vaincu les forces prussiennes à Iéna, l'armée française entre dans Berlin le 27 Octobre 1806.:

Entrée triomphale de Napoléon à Berlin le 27 octobre 1806, quinze jours après les victoires d’Auerstedt et Iéna ; Clausewitz décide d’entrer au service de l’empereur de Russie pour continuer de combattre l’empereur alors que le roi de Prusse accepte d’entrer dans la coalition française.

René Girard poursuit à propos de Clausewitz : « il donne tous les moyens de montrer que le monde va de plus en plus vite vers les extrêmes, et néanmoins son imagination vient à chaque fois contrecarrer et limiter ses intuitions. Clausewitz et ses commentateurs ont été freinés par leur rationalisme ; preuve s’il en était besoin, que c’est un autre type de rationalité qu’il faut en appeler pour comprendre la réalité de ce qu’il a entrevu. Nous sommes la première société qui sache qu’elle peut se détruire de façon absolue. Il nous manque néanmoins la croyance qui pourrait étayer ce savoir. »

Bataille de Solférino, le 24 juin 1859

La bataille de Solférino, le 24 juin 1859, marque un tournant humanitaire dans les batailles : effrayé par le nombre des victimes et des blessés, Napoléon III incite à l’organisation d’une structure destinée à soulager les souffrances de la guerre que Dunant mettra en place à Genève, territoire neutre : ce sera en 1860 la création de la croix-Rouge. 

Et toujours à propos de Clausewitz, René Girard affirme : « ce belliciste a vu des choses qu’il est le seul à avoir vues. En faire un diable, c’est s’endormir sur un volcan… Qui voit tout à coup la réalité n’est pas dans le désespoir absolu de l’impensé moderne, mais retrouve un monde où les choses ont un sens. L’espérance n’est possible que si nous osons penser les périls de l’heure. A condition de s’opposer à la fois aux nihilistes, pour qui tout que langage, et aux « réalistes », qui dénient à l’intelligence la capacité de toucher la vérité : les gouvernants, les banquiers, les militaires qui prétendent nous sauver, alors qu’ils nous enfoncent chaque jour un peu plus dans la dévastation« .

Bataille de Verdun L'arrivée des renforts par la Voie sacrée (Verdun, le 8 avril 1916).

 Arrivée des renforts par la Voie sacrée lors de la bataille de Verdun, le 8 avril 1916

Plus loin, René Girard poursuit :  « l’esprit humain libéré des contraintes sacrificielles a inventé la science, les techniques, tout le meilleur et le pire de la culture. Notre civilisation est la plus créatrice, la plus puissante qui fut jamais, mais aussi la plus fragile et la plus menacée, car elle ne dispose plus du garde-fou du religieux archaïque. Faute de sacrifices au sens large, elle risque de se détruire elle-même, si elle n’y prend pas garde, ce qui est visiblement le cas. »

Guernica, la ville bombardée ( images de presse de l'époque) 26 avril 1937.

Le bombardement de Guernica pendant la guerre d’Espagne en 1937, symbole de l’extension aux civils des frappes aériennes de guerre 

Et de poursuivre : « un bouc émissaire reste efficace aussi longtemps que nous croyons en sa culpabilité. avoir un bouc émissaire, c’est ne pas savoir qu’on l’a. Apprendre qu’on en a un, c’est le prerdre à tout jamais, et s’exposer à des conflits mimétiques sans résolution possible. Telle est la loi implacable de la montée aux extrêmes. c’est le système protecteur des boucs émissaires que les récits de la Cruxifixion finiront par détruire en révélant l’innocence de jésus, et de proche en proche, de toutes les victimes analogues. Le processus d’éducation hors des sacrifices violents est donc en train de s’accomplir, mais très lentement, de façon presque toujours inconsciente. c’est de nos jours seulement qu’il aboutit à des résultats de plus en plus sensationnel sous le rapport de notre confort, mais toujours plus périlleux pour l’avenir de la vie sur la planète. »

Soldats allemands morts après la bataille de Stalingrad. 1943

Soldats allemands morts lors de la bataille de Stalingrad en janvier 1943 ; du côté soviétique, un soldat est tombé toutes les trentes secondes pendant la défense de la ville.

René Girard affirme alors : Pour rendre la révélation entièrement bonne, pas menaçante du tout, il suffirait que les hommes adoptent le comportement recommandé par le Christ : l’abstention complète de représailles, le renoncement à la montée aux extrêmes. Car si celle-ci se poursuit un peu plus longtemps, elle nopus conduira droit à l’extinction de toute vie sur la planète. C’est cette possibilité que raymond Aron a entrevue en lisant Clausewitz. Ila alors écrit une somme impressionnante pour chasser la logique apocalyptique de son esprit, pour se persuader à tout prix que le pire sera évité, que la « dissuasion triomphera toujours ».

Dresden, Germany after the bombings towards the end of WWII that destroyed the city

La ville allemande de Dresde après les bombardements incendiaires par les alliés à la fin de la seconde guerre mondiale

Dans son introduction, René Girard fait un voeu : « plaidons à l’heure de la construction si fragile de l’espace européen, pour un dialogue authentique entre la france et l’Allemagne, tant il est vrai que c’est la haine mystérieuse de ces deux pays qui aura été l’alpha et l’oméga de l’europe. »

Atlas de la Shoah - La mise à mort des Juifs d'Europe, 1939-1945 Georges Bensoussan Mélanie Marie ( Cartographe )

Et il termine son introduction en rappelant l’invitation du Christ, d’ « être plus rusé que le serpent » : « Nous sommes donc en guerre, à l’heure où la guerre elle-même n’existe plus. Nous avons à combattre une violence que plus rien ne contraint ni ne maîtrise. mais si l’essentiel n’était pas de triompher ? Si la bataille elle-meême valait plus que la victoire ? Le primat de la victoire est le triomphe des faibles. celui de la bataille, en revanche, prélude à la seule conversion qui compte, souligant enfin qu’ « aux lieux du péril croît aussi ce qui sauve« .

Female Chinese guerilla fighter armed with a Mauser C96 handgun, circa 1939

Les écrits sur la Guerre révolutionnaire de Mao Tsé toung, entre 1936 et 1938, appellent au développement de la guerre de partisans pour vaincre une ennemi aux forces matérielles supérieures

Ce qui est étrange dans « Penser clausewitz« , c’est qu’au soir de sa vie, René Girard se lance dans une profonde réflexion sur les aspects mimétiques de la guerre après avoir découvert dans Clausewitz que « la réalité de la guerre fait que le sentiment d’hostilité (la passion guerrière) finit toujours par déborder « l’intention hostile » (la décision raisonnée de combattre) », en citant un passage de « De la Guerre »  publication posthume de 1830 : « En un mot, même les nations les plus civilisées peuvent être emportées par une haine féroce […] Nous répétons donc notre déclaration : la guerre est acte de violence et il n’y a pas de limite à la manifestation de cette vioence. chacun des adversaires fait la loi de l’autre, d’où résulte une action réciproque qui, en tant quye concept, doit aller aux extrêmes. Telle est la première action réciproque et la première extrémité que nous rencontrons« .

Afghan Guerilla Warfare: Mujahideen Tactics in the Soviet Afghan War by A. Jalali http://www.amazon.com/dp/190257947X/ref=cm_sw_r_pi_dp_LOvyub0S8Z1MP

Pendant la guerre contre les Soviétiques en Afghanistan (1979-1989), les moudjahidines développent de nouvelles tactiques de guerilla, appelées à être reprises dans le monde entier

C’est pour cela que notre intervention en Syrie est aujourd’hui pour le moins malencontreuse. Nous n’avons pas à entrer dans un duel avec la secte des assassins qui s’enchaînerait dans cette « montée aux extrêmes » décrite par Clausewitz. Il nous faut « être plus rusé que le serpent« .  Et avoir confiance que dans la guerre entre la violence et la vérité pour reprendre Blaise Pascal, nous devons apprendre à vivre dans l’espérance que la vérité l’emporte, pour que celle-ci triomphe dans la longue bataille qui s’annonce.

(A suivre)

En 1991, la Fondation Hariri invite 6 photographes à documenter le centre ville de Beyrouth en ruines après un conflit armé de quinze ans. Parmi eux se trouve le photographe Gabriele Basilico dont les œuvres sont aujourd’hui exposées dans les ruines de Jumièges. Une belle mise en perspective. Quand Gabriele Basilico arrive à Beyrouth en 1991, il est accompagné de Raymond Depardon, René Burri, Josef Koudelka, Fouad Elkoury et Robert Frank. Ensemble, ils doivent faire un portrait de la ville d...

Beyrouth en 1991, après la guerre civile : les villes deviennent les champs de batailles où les chances des protagonistes s’égalisent au point de conduire à des combats sans fin, provoquant l’exil des civils

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.