Sunu Baay bi ci asamaan

29 octobre   Pater Noster (2)

De retour sur le mont des Oliviers après avoir accompagné Chateaubriand réciter des vers de l’Athalie de Racine au tombeau de Josaphat, reprenons notre visite des lieux en nous rendant au carmel du Notre Père, au sommet du mont. Tout y est assez étonnant en commençant par le fait que le site relève de l’autorité de la République française, le domaine bénéficiant de l’extraterritorialité ce qui explique que le drapeau français flotte sur le cloître, de même que trois autres lieux sont territoires français de Jérusalem : l’église Sainte Anne, l’abbaye bénédictine d’Abou Gosh et le tombeau des Rois, qui comme son nom ne l’indique pas abrite en fait le sarcophage de la reine Hélène d’Abiadène, une assyrienne versée dans le Talmud, l’archéologie n’étant pas une science parfaite.

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Toujours est-il que l’histoire du carmel  du Notre Père est celle d’une succession de destructions depuis dix-sept siècles et d’une résurrection par la volonté d’une femme, Héloïse Aurélie, fille du comte Bossi, baron d’Empire, qui, veuve d’un banquier parisien, se remaria avec le prince de la Tour d’Auvergne, duc de Bouillon, ce dernier titre n’étant pas sans infléchir le cours de son destin.

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En ce lieu, se trouve l’une des trois grottes de Jérusalem associées à la vie du Christ. C’est là selon la tradition chrétienne que le Seigneur aurait séjourné et initié aux disciples les mystères cachés, leur apprenant à prier comme Jean l’a appris à ses disciples. Jésus leur dit : Quand vous priez dites : Père que ton nom soit sanctifié, Que ton règne arrive, donne-nous chaque jour notre pain quotidien ; remets-nous nos péchés, car nous-mêmes remettons à quiconque nous doit, et ne nous soumets pas à la tentation (Luc, 11, 1-4)

Si l’Evangile selon Matthieu inscrit l’enseignement de la prière du Notre Père dans le cadre du discours évangélique des Béatitudes, au sommet de la montagne surplombant le lac de Tibériade en Galilée, Luc de son côté ne donne aucun lieu, il indique seulement : Or, un jour, quelque part, il [Jésus] priait… C’est Hélène, la mère de Constantin, qui fit élever même temps que la basilique du Saint Sépulcre, un édifice somptueux au mont des Oliviers, lui donnant le nom de l’église des Disciples et de l’Ascension lors la célébration de la dédicace en 334. Mais très vite, les habitants prirent l’habitude de l’appeler Eléona, l’église de l’oliveraie, qui fut autant vénérée autant que celle du Saint Sépulcre.

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Trois siècles passèrent avant que les destructions ne commencent. Ce furent d’abord les Perses qui incendièrent la basilique en 614,  tuant un millier de fidèles au passage sur le mont des Oliviers ; puis les arabes musulmans l’auraient rasée au cours du même siècle. Charlemagne ayant obtenu la protection des lieux saints d’Haroun ar-Rachid, en 807, l’église est reconstruite par les Bénédictins avant d’être à nouveau détruite au tournant de l’an mil. Les croisés ayant conquis Jérusalem en 1099, y édifient une chapelle au milieu des ruines à partir de laquelle une nouvelle église est édifiée par l’évêque de Viborg pour peu de temps, Saladin entamant le siège de Jérusalem à partir du mont des Oliviers en 1187, causant à nouveau des destructions. Une nouvelle église surgit des décombres que la domination Mamelouk ruine. On croit l’affaire entendue quand en 1851 les ruines ultimes sont dispersées comme pierres tombales pour le cimetière voisin.

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C’était sans compter sans notre héroïne Héloïse, princesse de la Tour d’Auvergne, duchesse de Bouillon. Emue par un sermon sur la désolation des lieux saints,  entendant l’appel de la Terre Sainte, elle décide de consacrer sa vie et sa fortune à relever les lieux saints en ruine. Elle arrive en 1857 à Jérusalem, retrouve l’emplacement de l’Eleona, mettant dix ans à acquérir six hectares d’oliveraie au sommet du mont des Oliviers pour réaliser ses projets : édifier un monastère confié aux bénédictins et un cloître confié aux carmélites dont les plans sont établis par Viollet-le-Duc et qui sera consacré à la prière du Notre Père. Et pour bien faire comprendre ses intentions, sur les murs de l’église et autour du cloître, elle fait apposer des plaques en céramique polychrome portant la traduction du Pater Noster en trente-deux langues, qui avec le temps sont devenues plus de quatre-vingt puis cent cinquante langues.

De plus, prévoyante, la duchesse de Bouillon n’ignorant rien des tourments et tumultes de cette Jérusalem plus perfide que céleste, fait don de cette construction à la France, en confiant le devoir à son pays de conserver pour toujours ce lieu saint à la Chrétienté, engagement qui court toujours et qui a été tenu jusqu’à ce jour, exception faite de la première guerre mondiale où Français et Turcs étant en guerre, ces derniers saccagèrent les lieux. A la fin de la guerre, la France ayant retrouvé son autorité territoriale sur les quatre lieux saints, c’est ainsi que le drapeau français flotte sur cent cinquante versions du Pater Noster apposées dans le jardin, le cloître et l’église qui surplombe la grotte retrouvée dite des enseignements ou du Pater, là où le Christ aurait appris la prière à ses disciples, au milieu d’une oliveraie bimillénaire. Car la grotte mystique existe, elle se visite et on y prie. Quant à la princesse, elle repose au milieu du cloître, on peut y apercevoir son tombeau.

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En même temps que je vous contai l’histoire émouvante de ce lieu, diverses illustrations ont défilé permettant de comprendre ce que sont ces plaques céramiques polychromes sur lesquelles figurent les Pater Noster en de multiples langues, y compris le braille, lisible avec les doigts.  Peu importe que le Christ nous ai transmis cette prière au mont des Béatitudes, au mont des Oliviers ou tout simplement quelque part, ce qui compte c’est la prière, d’une simplicité biblique si je puis dire, ce qui la rend percutante. Au risque de surprendre, on n’a pas besoin d’être forcément croyant pour y recourir, elle est là pour venir au secours de ceux qui en ont besoin, c’est là la force de la prière. C’est une prière pour tous, la véritable prière qui appartient à tout le monde, d’ailleurs les juifs et les musulmans ont une version assez proche dont les différences ne justifient pas les guerres de religion, mais les passions humaines hélas l’emportent sur la signification profonde d’une prière qui est celle du pardon, un pardon qui est aussi vital que notre pain quotidien.

Et c’est pour cela que nous pouvons prier partout avec le Notre Père, sans risque de bévue, partout dans le bus, le train, la voiture, l’avion, à pied, à vélo à cheval ou en cariole, partout où nous croisons des enfants, des femmes, des malades ou des vieillards qui souffrent et qui ont besoin de notre prière, car sans la prière nous ne sommes que des hommes sans cœur, des hommes de pierre, la prière est aussi indispensable que le pain quotidien, notre eau vive de tous les jours, bien plus nécessaire que le bouillon du jaccuzi, car pour répondre à Racine dans Athalie, la prière est justement : qui changera mes  yeux en deux sources de larmes pour pleurer ton malheur.

Et rien ne vous oblige à prier en araméen, en hébreu, en latin, en grec ou en Français, on peut aussi prier en sanskrit, créole, amharique ou arménien, et pourquoi pas en manjaku ou en wolof : Sunu Baay bi ci Asamaan…,  ne serait-ce que pour remercier notre héroïne de ce jour, Héloïse princesse de la Tour d’Auvergne, duchesse de Bouillon, comme quoi un bouillon peut en cacher un autre.

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NB : les photos de cet article sont de l’auteur virtuel. Il semble avoir abusé de la vigne de Noé, plantée au Liban, château Khoury ou château Ksara. C’est possible. Désolé, mais on a vraiment l’impression que les photos ont été prises dans la grotte ce qui n’est pas le cas. on est bien dans le cloître et le jardin !

 

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