Regard sur l’intervention française en Syrie

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Loin de l’emballement médiatique, nous sommes en droit de considérer que notre intervention militaire en Syrie ignore les héritages du passé, ne se fonde pas sur les réalités internationales actuelles et fait injure à l’avenir. La vérité est que cette guerre n’est pas la notre, qu’on y mène des représailles fondées sur l’émotion, qui ne font pas une politique et que notre combat plutôt que de lâcher des bombes sans discernement, devrait être de renforcer sans compter notre sécurité intérieure et nos moyens de défense nationale : la bataille se gagnera en France, dans l’action réfléchie, déterminée, organisée et dans les coeurs (en couverture, carte du cosmographe Ortélius éditée en 1592 dont un exemplaire est conservé à la BNF)

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Peints séparément par Titien vers 1530, François Ier, roi de France, et Soliman le Magnifique, sultan ottoman, conclurent une alliance en 1536

Tout d’abord pour reprendre cette admirable expression d’Angela Merkel utilisée à propos de la Nuit de cristal, l’héritage du passé doit éclairer notre avenir. Or notre passé en Syrie ne plaide pas pour intervenir à nouveau dans un pays ayant, de longue date, une méfiance exacerbée envers la France. Au nom des droits de l’homme, notre pays n’a pas vocation à dégommer tous les dictateurs de la planète, à tous propos. Les véritables démocraties ne sont guère plus d’une cinquantaine dans le monde sur plus de deux cents pays ; et si on ajoute ceux qui tentent de construire un état de droit, on ne doit guère en compter plus d’une centaine ; toutes les autres nations sont des dictatures plus ou moins sanguinaires, mais des dictatures, aux idéologies diverses et variées. Regardons le monde tel qu’il est, et non tel que nous voudrions qu’il soit. Notre priorité est de renforcer les liens qui se distendent entre les nations du monde libre, et plus particulièrement en Europe, pas de faire chasse à tous les criminels en place, c’est hélas impossible même quand ils commettent des crimes de guerre ou contre l’humanité. Ne pas les aider à verser le sang des innocents est déjà beaucoup.

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L’empire turc ottoman en 1790 s’étend du Maghreb au Caucase et aux Balkans.

La politique internationale de la France au Proche-Orient a toujours été grandiloquente, confuse et inefficace. Après l’intervention de Bonaparte en Egypte, la France noua, dans la première moitié du dix-neuvième siècle, des relations privilégiées avec le wali Méhémet-Ali, d’origine albanaise, décidé à moderniser un pays longtemps endormi et ébloui par les découvertes archéologiques de l’expédition scientifique qui avait accompagné le futur empereur des Français. Méhémet-Ali engagea la modernisation de son armée ainsi que la production de coton dans la vallée du Nil, envisageant de construire des voies férrées ou  de percer le canal de Suez dont la construction et la concession seront plus tard confiées aux Français ; mais les atermoiements en matière de politique internationale allaient conduire cependant à ce que le condominium anglo-français mis en place en  l’Egypte soit abandonné au seul profit des Anglais qui imposèrent leur protectorat, éffaçant, de facto, toute influence française sur le Nil, en dehors de l’Egyptologie.

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Méhémet-Ali, vice-roi d’Egypte (1805-1848)

Cette éviction eut pour conséquence un retrait  d’Orient de la France jusqu’à la première guerre mondiale, à l’exception  du Liban. Longtemps les Français étaient intervenus dans ce pays au titre des « Capitulations », ces accords négociés par les rois depuis Louis XII octroyant au royaume de France un droit d’intervention pour la protection des lieux saints, des pélerins et des chrétiens de Palestine. Ce fut dans le prolongement de ces « Capitulations » que l’armée de Napoléon III intervint en 186-1861  au Levant pour rétablir l’ordre après des affrontements sanglants entre communautés à Beyrouth et en Syrie, provoquant la mort de 10.000 à 14.0000 Chrétiens. Cette expédition ne présenta d’ailleurs pas un caractère unilatéral, Napoléon III ayant réuni au préalable une conférence internationale à Paris avec les grandes puissances européennes pour obtenir leur accord sur cette intervention « à but humanitaire ».  Toujours est-il qu’à la fin du dix-neuvième siècle, pour reprendre une expression du Premier ministre anglais Lord Gladstone, les Français n’avaient plus en Orient que des « intérêts sentimentaux ».

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La première guerre mondiale marque le retour de la France sur la scène proche-orientale, au titre du partage avec les Anglais des dépouilles de l’ancien empire ottoman. Après bien des négociations et revirements, la france obtint mandat de la Société des Nations sur le Liban et la Syrie, tandis que l’Angleterre couvre les territoires de Palestine et d’Irak. Ces mandats sont théoriquement limités à accompagner les administrations locales à obtenir les conditions de leur indépendance par la mise en place d’institutions stables dans le cadre d’un exercice pacifié du pouvoir sur les différents territoires concernés.

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Alors que l’Irak, obtient son indépendance en 1932, dans les autres territoires, l’exercice des différents mandats tourne à la confusion. En Palestine, la rivalité entre Juifs et Arabes est à l’origine d’affrontements violents qui échappent au contrôle des Anglais ; au Liban, les Chrétiens se retrouvent en situation de dominer les populations arabes avec l’assentiment des Français qui vont jusqu’à organiser des recensements de population forçant vraisemblablement les chiffres pour favoriser la représentation chrétienne dans les institutions ; et en Syrie, les projets successifs d’organisation territoriale menés par la France aboutissent, tour à tour, au soulèvements des différentes communautés mécontentes des décisions prises. Des renforts de troupes seront régulièrement nécessaires ; et en définitif, sur la période de 1923 à 1938, ce ne sont pas moins de sept mille soldats qui mourront en Syrie pour y maintenir un ordre précaire. Quant au projet initial de diviser en cinq le territoire syrien pour répondre aux demandes des différentes communautés sunnites, alaouites, druzes, kurdes, ou bédouines  celuis-ci ne verra jamais le jour, les Turcs au Nord en profitant pour annexer la région d’Alexandrette, territoire qui ne sera jamais retourné à la Syrie.

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Territoires du Liban et de syrie sous mandat français donné par la Société des Nations

Ces années tragiques de mandat sur la Syrie auraient du conduire la France à la plus grande prudence au Proche-Orient. Au lieu de celà, une idée erronée de la « Grandeur » a conduit les dirigeants français à multiplier les expéditions militaires lors de la guerre civile du Liban,  dans le cadre de mandats successifs de l’ONU ou pour exfiltrer de Beyrouth le dirigeant palestinien Yasser Arafat lors  de l’intervention israélienne dans le conflit libanais en 1982. Et c’est ainsi que le 23 octobre 1983, en plein bourbier libanais, deux attentats suicides visant les forces américaines et françaises de la force multinationale de sécurité, provoquèrent la mort de 241 soldats américains et de 58 parachutistes français tenant le poste Drakkar. Cet attentat a été commandité par le Hezbollah soutenu par l’Iran sans qu’il ne soit jamais revendiqué. Les représailles françaises, le 17 novembre 1983, menées par un escadron de super-étendards, visèrent une caserne dans la plaine de la Bekaa qui normalement était occupée par des membres du Hezbollah et des gardiens iraniens de la révolution islamique ; mais étrangement, ce lieu fut évacué peu avant l’attaque, permettant aux parties adverses d’éviter des pertes humaines : il semble que des fuites aient été orchestrées du côté français pour transmettre des informations sur les cibles sélectionnées afin d’éviter un emballement des représailles.

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Au total, plus de deux cents soldats français sont morts au Liban au titre du maintien impossible de la paix, ainsi que l’ambassadeur Louis Delamare assassiné à Beyrouth le 4 septembre 1981, les Syriens étant considérés comme les commanditaires de cet acte. Aujourd’hui, plus de 900 militaires français sont toujours déployés au Liban dans le cadre du mandat FINUL de l’ONU, principalement sur la frontière entre le Liban et Israël, sans aucune garantie que les affrontements ne reprennent, un jour ou l’autre, au moindre prétexte.

De notre côté, qu’avons-nous récolté de ces interventions multiples depuis un siècle au Proche-Orient, en dehors de susciter la fureur, devenir la cible facile de représailles et perdre toute crédibilité quand vient l’heure de rouler le drapeau et plier bagage ? Le sentiment national ne fait pas une politique pas plus que l’histoire. Ce n’est pas parce que nous sommes allés mettre Pékin à sac en 1860 que nous devrions y retourner à la première occasion venue. Seuls nos intérêts comptent, en cessant d’embrasser la mythologie révolutionnaire qui conduit à vouloir défendre le genre humain en toutes circonstances et à croire que nous sommes amis avec le monde entier. Cette illusion pernicieuse nous conduit à des aventures inutiles dès lors que nous ne savons pas pourquoi nous nous engageons sur de sterrains minés, pour combien de temps et pour quels objectifs précis.

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Hommage national, dans la cour des Invalides, aux soldats morts dans l’effondrement du Drakkar provoqué par un camion piégé, le 23 octobre 1983 à Beyrouth (Liban)

La situation en Syrie est à ce jour inextricable (voir la situation au 1er octobre 2015 ci-après). Personne ne cherche véritablement à détruire Daech car personne n’y a fondamentalement intérêt, ni la Syrie d’Assad, ni les Turcs, ni les Kurdes, plus les Irakiens de Bagdad ou les Iraniens, encore moins les Saoudiens et les pays du Golfe, sans compter les Américains qui ne mènent qu’une politique d’endiguement pour le compte de leurs alliés d’Arabie tout comme les Russes le font en faveur d’Assad, Israël de son côté se lavant les mains d’un conflit où s’affrontent leurs ennemis déclarés arabes ou iraniens.

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Quand on fait une guerre, il faut savoir pourquoi. Détruire Daech n’est pas un but de guerre. Il faut commencer par savoir ce que nous voulons faire des territoires actuellement occupés par Daech qui impose sa loi totalitaire à huit millions d’habitants sunnites. Souvenons-nous de la Première guerre mondiale : le 11 novembre 1918, nous avions gagné la guerre, le 28 juin 1919, lors de la signature du traité de Versailles, nous l’avions perdu en suscitant un ressentiment qui allait nourrir chez les vaincus  un esprit de revanche irréversible. Souvenons-nous encore de la Seconde guerre mondiale dont nous célébrons à juste titre la victoire sur le nazisme en oubliant que le rideau de fer allait tomber sur une partie de l’Europe pour quarante ans, et que pour ces Européens de l’Est privés de liberté, la vie n’allait plus être qu’un enfermement quotidien pavé d’idéologie, d’abrutissement et d’asservissement. Souvenons-nous enfin de la guerre américaine de 2003 en Irak, facilement gagnée sur le terrain, mais totalement impréparée pour les suites à donner à cette guerre, aucun plan sérieux n’ayant été établi pour l’administration de l’Irak défaite, ce qui se révélera u épouvantable fiasco dont seul les Etats-Unis portent la responsabilité. Il ne suffit pas de pouvoir gagner ou même de gagner une guerre, encore faut-il savoir ce que l’on fait après. On ne gagne jamais véritablement une guerre, en revanche la paix se perd très facilement.

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La conférence de Téhéran, du 28 novembre au 1er décembre  1943, entre Staline, Roosevelt et Churchill, jette les premières bases d’un accord sur l’après-guerre en Europe

Les guerres sont d’autant plus inutilement aventureuses quand on ne sait pas pourquoi on les fait, quand on n’en détermine pas les buts, que les moyens militaires employés ne sont pas adaptés aux objectifs et que rien n’est prêt pour le jour d’après. Cela ne signifie pas, en l’espèce, qu’il ne faut pas frapper Daech lorsque c’est nécessaire, c’est à dire lorsque cette organisation cherche à exporter à l’extérieur des territoires conquis, leurs méthodes terroristes ; mais tant qu’ils bénéficieront de la complicité ou de la passivité de la plupart de leurs grands voisins étatiques, ne nous mêlons pas de ce combat improbable, c’est bien plus en France qu’il faut évaluer, surveiller et détruire la menace terroriste, car c’est sur le territoire français que celle-ci prospère et se propage au risque de transformer notre pays en champ de ruines si nous n’y prenons garde et si nous continuons de nous tromper de combat : pour le moment, très clairement, nous avons une guerre de retard sur nos adversaires qui ont tout leur temps.

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Saint-Lô, « capitale des ruines  » fin juillet 1944

Et puis, soyons sérieux :dans un conflit où le nombre des parties est multiple, discuter séparément, « bilatéralement », c’est comme cracher dans la soupe, cela ne sert à rien. A un moment, il faut bien que tous les belligérants appelés à survivre durablement, se rencontrent autour d’une table. Méfions-nous de toute imprudence, de l’aveuglement et de l’orgueil, ne nous laissons pas emporter par les passions, soyons lucides : si Daech a autant prospéré depuis deux ans, c’est qu’il ne manque pas de soutiens, dont certains sont peut-être bien indéfectibles ; quant à Assad, ses soutiens ne manquent pas non plus et ils sont de poids. A fordce de jouer au coq, on risque fort d’y laisser toutes ses plumes.

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