Mais où sont passées les actrices ? On les reconnaissait autrefois à leur chapeau, leur improbable cigarette à la menthe aussi longue que fine, leur rivière de diamant, les échappées au bar qui se terminaient sur le sable avec un homme en slip kangourou descendu du singe, le sempiternel mariage avec un producteur suivi d’un retentissant divorce accompagné d’un chèque en blanc, sans compter les innombrables descentes de carlingue d’avion en aluminium, bouquet de fleurs à la main, au milieu des admirateurs ébahis ayant envahi le tarmac étourdi de soleil. Et si nécessaire, une tournée au front auprès des soldats à la gâchette sensible, permettait de relancer une carrière endormie quand il ne s’agissait pas tout simplement de lancer une ritournelle juchée, sur un tabouret.
De temps en temps, les choses se compliquaient pour elles. On les retrouvait allongées sur un lit au milieu des cachets et des soucis définitivement envolés, parfois étranglées et dépecées sur un terrain vague au milieu de nulle part, de temps en temps le visage défiguré par un boxeur émérite à l’alcool à moins que ce fut par un tenancier de casino jaloux qui n’appréciait pas de faire de la figuration en tant que Black Jack les nuits impaires et de faire tourner la roulette les jours pairs en hurlant : rien ne va plus.
Mais dans l’ensemble, tout se passait bien, elles savaient jouer, chaque jour, leur rôle d’actrices, un regard moqueur en direction de la caméra, juchée sur des talons qui ne vacillaient jamais, et nous admiratifs, étions heureux surtout si c’étaient des italiennes qui vrombissaient comme Gina, Sophia ou Claudia, brunes dévastatrices qui vous écrasaient leurs blondes dans le cendrier tandis que les blondes refroidissaient les brunes au milieu de champs de blé en herbe. La vie semblait simple et nous n’avions besoin que de les voir le samedi soir au cinéma quand ce n’était pas en semaine , dans les actualités, invitée d’exception chez le général, habillée en hussard ou pique-assiette chez un peintre hidalgo loin d’être un amateur.
Et voilà que les actrices ont soudainement disparues ! Même Georges Clooney, après trente ans de vaines recherches a dû se contenter d’une avocate pour jouer la scène kitch des gondoles à Venise, c’est dire le malaise qui touche la profession.
C’est que nos actrices ont bien changé. Leurs célèbres amoureux ne leur offrent plus des diamants, elles se contentent de pierres précieuses montées en boucle médiatique, prêtées gracieusement par des joaillers assurant la promotion de leur quincaillerie ; elles se promènent toute l’année autour du monde pour faire connaître auprès de la presse et du public l’unique film dans lequel elles ont tourné depuis un an, car on ne les voit plus guère sur les plateaux : un peu comme les huîtres et les palourdes, elles tendent à disparaître dans les fitness pour garder la forme d’une perle de culture.
Et puis, c’est qu’elles n’ont plus le temps. Elles enquêtent à longueur de journées sur l’effondrement des tours jumelles, donnant leur expertise, et aux dernières nouvelles ce seraient des lapins crétins sur des tapis volants qui auraient fait le coup ; elles s’inquiètent aussi bruyamment pour le changement climatique, nous aussi d’ailleurs, ne pouvant pas s’empêcher de nous infliger la lecture affligeante d’un discours ridicule à l’autre bout du monde, kérozène compris.
Du côté de nos starlettes gonflées à l’hélium, la situation empire chaque jour. Elles ne s’envoient plus en l’air dans une piscine, ce qui était en soi une performance un peu terre-à-terre. Maintenant, elles règlent leurs déconvenues à coups de hachoir, ce qui nous vaut des reportages en angle mort dans les cours de prison. Et rien ne nous est épargné, surtout pas le décompte des tatouages et des piercings, au prochain épisode, on enfourche dans les étables.
Après tout, ce ne sont peut-être pas les actrices qui disparaissent mais nous qui vieillissons. Un bel ara bleu sur l’épaule, je suis allé avec mon chimpanzé au musée des horreurs en cire, cela sentait la naphtaline, tout dégoulinait et ripolinait, j’y ai croisé des souvenirs empaillés qui ne ressemblent pas aux images pour enfant de chœur que la presse en noir et blanc nous délivraient sous le format de reportages en quadrichromie. Les actrices buvaient, fumaient et se chamaillaient, jupes retroussées, jurons à la poupe, au milieu de respectables producteurs et des réalisateurs qui bavassaient et bavaient, pariant sur les croupes de leurs respectives pouliches pour le prochain Oscar.
L’univers du cinéma n’a jamais été très glorieux, et maintenant qu’il sombre, il n’y a rien d’étonnant à ce que les actrices disparaissent de notre horizon, emportées dans les brumes par les vaisseaux fantômes d’un septième art confronté au septième sceau. Nous avons cru que le cinéma serait éternel et c’en est déjà fini. Des Temps modernes aux temps actuels, il fut muet avant d’être parlant, noir avant de passer au technicolor, réduit aux décors de studio avant de s’en aller conquérir les rues et les champs pour s’en aller explorer l’espace et revenir dévasté avec la dernière astronaute en vie : simples dessins à la main animés devenus par vagues industrielles successives productions numérisées en masse, le cinéma n’a cessé de progresser techniquement au point qu’il peut se passer aujourd’hui des actrices et des acteurs, des décors et même de scénarios, se contentant de remakes relookés sans âme et sans vie.
Dans le même temps, l’économie du cinéma n’est plus fondée sur le risque individuel. Aux Etats-Unis, le voici principalement destiné aux enfants, adolescents et grands adolescents qui constituent l’essentiel du public. En France, on a inventé le cinéma institutionnalisé financé par des chaînes de télévision publiques ou privées, auquel on ajoute des subventions de l’Etat culturel unique et des sociétés de défiscalisation qui ne procèdent qu’à des jeux d’écriture pour reverser indirectement l’impôt du contribuable aux bons amis. Tout cela produit un cinéma ennuyeux et complaisant qui va jusqu’à donner un statut d’actrice à la compagne du président pour mieux assurer les vieux jours d’un système en faillite intermittente.
Heureusement il nous reste une dernière actrice qui est désormais obligatoirement la femme du président. Nous avons d’abord eu Tatie Danielle, la vieille dame au sac qui ramasse à longueur de journée dans la rue des pièces de cuivre dans le scénario invraisemblable de Jacquou le croquant et la ferailleuse. Ensuite, après un ratage phénoménal suivi d’un licenciement sec, un publicitaire sur le retour a trouvé une chanteuse aussi évaporée que ses chansons fluettes accompagnées à la guitare, ce qui fut bien pénible pendant cinq ans même s’il faut reconnaître qu’elle a été impériale en matière de protocole royal.
La suite laisse encore plus pantois. On a d’abord été recherché une journaliste stagiaire agacée d’être sur la touche, scotchée dans les potins de gare, qui à force de faire la claque en meeting politique, a fini par en donner en veux tu en voilà, à toute la ribambelle des obligés de l’écurie présidentielle, qui se vengèrent en invitant un paparazzi au petit matin pour partager les croissants. Et voilà maintenant que dans la famille du cinéma, on a trouvé la fille qui se prend pour une actrice et joue à l’actrice dans un rôle d’actrice qui ne voudrait pas être actrice alors même que personne ne lui demande d’être actrice, si ce n’est ses amis les actrices qui voudraient bien être aussi actrices et trouver un rôle de doublure.
En somme, tant qu’il y a aura du crêpage de chignon, il nous reste un espoir de reconnaître une actrice en plein tournage. C’est sans doute pour cela que certains veulent interdire les foulards et les turbans, c’est compliqué pour une actrice de jouer l’actrice portant foulard se battant avec une autre actrice jouant l’actrice enturbannée, surtout si la scène est dans le contexte de la descente de scooter d’une actrice enlevant un casque de motard.
Et puis, on s’en moque un peu : nous les loups de la nuit, nous préférons les Harley-Davidson.
Pour conclure, vous aurez reconnu, ou pas, Greta Garbo, Lucille Ball, Jean Harlow, Grace Kelly, Katherine Hepburn, Lauren Bacall, Bette Davis, Ava Gardner, Rita Hayworth, Marlène Dietrich, Gene Tierney, Carole Lombard, Marylin Monroe, Meryll Streep, sans oublier d’innombrables talents enchanteurs comme Uma Thurman, Kate Winslett ou Cate Blanchett, impossible de les citer toutes.
En revanche, nous ne perdrons pas notre temps à citer toutes ces petites actrices françaises qui nous insupportent à jacasser des inepties toute la journée, la liste est aussi très longue. Romy revient !