Réussir ses funérailles n’est pas donné à tout le monde. Il y faut beaucoup de génie comme Victor Hugo ou bien une part de malchance côté circonstances, comme pour le président assassiné John Fitzerald Kennedy, encore que la chance s’en soit mêlée question météorologie pour la réussite des images, que ce fut pour l’assassinat ou les obsèques nationales triomphales : car si la Lincoln Continental décapotable avait eu le toit fermé à Dallas en raison du temps ce 22 novembre 1963, nous n’aurions peut-être jamais vu le Texan Johnson aux affaires à Washington.
Funérailles de John Kennedy à Washington
Autant la naissance des hommes célèbres intervient dans une certaine clandestinité depuis l’abolition des privilèges à l’exception de quelques royal babies, autant leur mort donne lieu aujourd’hui à d’impressionnantes cérémonies qui ne sont pas sans rappeler celles des pharaons, les micros des journalistes en plus, les pleureuses professionnelles en moins.
Rassemblement des pleureuses aux funérailles d’un pharaon du Nouvel empire
Il faut d’ailleurs reconnaître aux Egyptiens beaucoup de talent si ce n’est du génie en matière de funérailles. Leurs croque-morts avaient beaucoup plus de style et de prestance que nos employés des pompes funèbres à la triste mine dont Albert Camus dans les Noces nous conte qu’ils se permettaient à Alger d’inviter les jeunes filles rencontrées sur leur passage, à grimper dans le convoi en criant : tu montes, chérie ? En ces temps de concurrence acharnée, la tenue sélect d’Anubis, dieu de la momification portant un masque de chien ou de chacal noir, protecteur des défunts, des funérailles et des tombes, et qui dispense aux morts des offrandes funéraires, est une invitation à renouveler la garde-robe des sinistres corbeaux, de la tête aux croquenots.
Les temps sont aussi loin où les funérailles d’une reine, celles d’Anne de Bretagne par exemple, conservaient une part d’intimité, l’église et les chevaliers se relayant au chevet de la défunte jusqu’à la cérémonie publique.
Les Funérailles d’Anne, duchesse de Bretagne, reine de France, manuscrit français
De même, quand le mort est d’importance, il arrive que de secondes funérailles soient organisées. Ainsi, de Richard III d’Angleterre dont la dépouille retrouvée 530 ans plus tard, est l’occasion de fêter à nouveau le squelette égaré pour mieux se souvenir de la bataille perdue de Bosworth, le 22 août 1485, défaite qui mit fin à la guerre des Deux-Roses et qui inspirera Shakespeare, comme quoi si l’on souhaite rebondir en notoriété, il est conseillé de perdre les guerres dans lesquelles on se retrouve impliqué, et surtout, d’être certain de ne pouvoir échanger sa couronne contre un cheval, il est des occasions de partir en beauté que l’on ne peut rater.
Masque mortuaire de Richard III
Certaines questions embarrassantes doivent aussi être tranchées parfois dans l’urgence, comme la couleur du deuil, le jour des funérailles. Là encore, on se référera à une icône absolue des obsèques occidentales, Jackie Kennedy, pour conseiller le tailleur, le chapeau et la voilette noirs ainsi que les gants de la même couleur, les enfants blonds pouvant porter une tenue de couleur beige assortie à leur chevelure. S’agissant des hommes, la redingote noire et le pantalon gris rayé peuvent être portés dès lors qu’on se retrouve dans le cortège en tant que cousin de l’Oncle Sam. Quelques matelots peuvent concourir au caractère martial de la cérémonie tant que personne ne s’amuse à vouloir toucher le pompon rouge pour formuler un voeu de bonne route à l’invité de la dernière heure.
De manière générale, en l’absence de pleureuses professionnelles, il se pose aussi la question de savoir si l’on doit déployer un mouchoir lors d’une cérémonie d’inhumation. C’est délicat à trancher surtout quand on est émotif et sensible à l’encens et aux tourments des compliments bien tournés portés au cher disparu qui n’en demandait certainement pas tant, surtout s’il aurait bien aimé profiter encore un peu du climat terrestre : Le ciel peut attendre, pour reprendre le titre de la comédie d’Ernst Lubitsch, avec Don Ameche, Charles Coburn et Gene Tierney, cette dernière étant toujours aussi magnifique surtout lorsqu’il s’agit de feuilleter, avec un air concentré, un livre chez un bouquiniste.
Le titre original du film de 1943, Heaven can wait, a donné lieu à réutilisation en 1978, en vue d’être oscarisé à nouveau. Mais contrairement à ce que l’on pourrait croire, il reprend en fait un scénario d’un autre film sorti en 1941, le Défunt récalcitrant, ce qui est la preuve d’une grande sagesse, car le ciel n’attend jamais, surtout pas trente-quatre ans, il est toujours à l’heure, avec une précision d’horlogerie suisse presque diabolique.
Car si le ciel n’attend pas que tout soit prêt pour le jour de nos funérailles, il reste le purgatoire en guise de lot de consolation, l’enfer et la damnation n’étant certainement pas la solution, avis aux amateurs. De plus, quel que soit l’endroit où on est attendu, réussir ses funérailles n’est pas facile : dans la vie, c’est c’est bien connu, on ne peut compter que sur soi ; le jour de ses obsèques, une autre chose est sûre, on ne peut que se fier aux autres. Tout est affaire de corbillard, le bon goût n’étant pas ce qui est le mieux partagé dans la nature : qu’il soit un tank, dorée, pratique ou gothique, l’homme excelle dans l’idiotie du dernier jour.
Question réussir ses funérailles, à noter que les traditions égyptiennes se perdent hélas : il est devenu rare de multiplier les cercueils à l’intérieur du sarcorphage, le métier est fichu, ce serait se décarcasser pour rien que de vouloir relancer la mode. On ne peut plus que pratiquer les poupées russes côté gigognes.
Quant aux larmes, elles demeurent ce qu’il y a de mieux partagé. On conseillera cependant de rester le plus souvent de marbre et de ne pleurer qu’aux Premières funérailles, en prenant pour modèle l’œuvre pompier de Louis-Ernest Barrias qui date de 1883.
Il faut lui reconnaître tout de même que ce n’est pas si fréquent de se présenter nu à la cérémonie des obsèques en portant, aveuglé par l’émotion, le corps du défunt. Les Naturalistes ou Impressionnistes, de leur côté, sont beaucoup plus proches de l’actualité quotidienne de l’inhumation, à l’exemple de Courbet à Ornans ou Manet dont les Funérailles d’une grande simplicité, tranchent avec le paysage à la fois antique et pittoresque qui ne peut qu’inspirer des éloges lyriques à faire pleurnicher la Martine. S’il n’ y avait le convoi funèbre équestre qui a disparu de l’organisation des enterrements contemporains,, on s’y croirait volontiers.
Il n’empêche que cette ambiance de funérailles modestes, qui probablement nous accompagnera à l’heure de l’ultime convoi terrestre, manque de cette touche héroïque qui marquait autrefois la mort des grands hommes. Celle de Patrocle, l’ami d’Achille, donna lieu après sa grandiose incinération à des jeux funéraires dont on a perdu l’habitude : course de chars qui permet à son vainqueur, Diomède, de remporter un esclave, imaginez le scandale aujourd’hui si une émission de téléréalité s’égarait à faire de même ; pugilat qui permet à Epios de gagner une mule ; épreuve de lutte entre Ajax et Ulysse qui ne peuvent être départagés ; course à pied remportée par Ulysse qui est aussi à l’aise sur terre que sur mer ; et Ajax arrivé en second, n’en gagne pas moins un boeuf ; le disque, le javelot, le tir à l’arc, et le combat en armes sont autant d’autres épreuves qui dans l’Iliade témoignent pour la première fois de l’usage du sport en Grèce, bien avant que la fraude fiscale n’y devienne un sport national auquel tout un peuple excelle.
Les funérailles de Patrocle, oeuvre de Jacques-Louis David
Toujours est-il qu’il semble peu probable que la tradition d’organiser des jeux olympiques redevienne d’actualité en matière de rites funéraires. A la rigueur, on peut envisager de faire passer le catafalque sous l’arc de triomphe, comme pour Victor Hugo, à condition cependant de ne pas déranger le soldat anonyme qui tient à rester inconnu, tant que la flamme ne s’éteindra pas.
Et pourtant, même nos héros immortels finissent par mourir. Il n’est pas question ici d’évoquer les vénérables académiciens dont l’épée est peu pratique pour servir à l’usage d’un coupe-papier, seule occupation concrète de nos petits hommes verts bien de chez nous au pays des arts et des lettres. Il est plutôt question des authentiques hommes verts qui font les jours heureux de la science-fiction cinématographique. Eux aussi peuvent nous laisser avec nos seuls souvenirs, comme le Jedi, ici, accompagné à sa dernière demeure.
Car, de même que pour le jour de sa naissance considérée comme une première délivrance, c’est là toute l’étrange et géniale situation de l’homme confronté, à l’improviste, à l’exercice de ses funérailles intervenant après la mort imposée comme une seconde délivrance : quoiqu’il arrive, il faut faire sienne la devise des Jeux olympiques affirmant que l’essentiel n’est pas de gagner mais de participer, ce qui à la réflexion est plutôt simple : laissez-vous aller, le chemin est tout tracé, c’est une dernière valse imperturbable entre quatre planches.
Car une chose est sûre : nos premières funérailles seront aussi nos dernières.
Danse à la campagne, oeuvre de Pierre Renoir, 1883