Saint-Lô, capitale des ruines

Saint-Lô, 28 juillet 1944 : vue aérienne de la ville de Saint-Lô,
A l’approche du 6 juin, le souvenir du débarquement demeure. On évoque souvent les premières heures de cette journée héroïque qui vit la plus grande armada de tous les temps traverser la Manche pour affronter sur les plages les forces allemandes fortifiées le long du mur de l’Atlantique avec la ferme intention de repousser l’envahisseur. Mais après cette bataille des plages qui ne dura qu’une journée, les combats se poursuivirent en Normandie pendant 80 jours qui furent les plus violents sur le front occidental jusqu’à la chute de Berlin en mai 1945.

GIs moving through the destroyed city of Saint-Lô, 1944

Nous qui nous enivrons de cette douceur du jour soixante-dix ans de paix plus tard que nous devons à toux ceux tombés au champ d’honneur ces jours- là, il nous revient de nous souvenir, désespérant dans le même temps que cessent les plaintes artificielles ou haineuses qui se lèvent dans un pays où malgré le chômage, il n’en fait pas moins globalement bon vivre au point que les vagues de la misère venues du Sud déferlent pour y trouver une petite place en pays riche et tempéré.

Map of the Battle of Normandy during WWII.  Showing that the British landed at Sword and Gold, the Americans at Utah and Omaha and the Canadians at Juno Beaches.

Et donc, l’auteur virtuel pour commencer cette série sur la bataille de Normandie, a choisi la capitale des ruines, la ville de Saint-Lô où la violence des bombardements et des combats entraînèrent la destruction de 97% de cette petite ville chef-lieu du département de la Manche et qui comptait alors douze mille habitants avant que les bombardements n’éclatent la nuit même qui suivit le débarquement.

During the night of 9/10 June the German 352nd Infantry Division retired towards Saint-Lô, creating a wide gap in the German lines covered only by light forces. On 12 June the British 7th Armoured Division passed through the gap heading for Villers-Bocage and the ridge beyond, while the US 1st and 2nd Infantry Divisions launched their own attacks in support.

Pour avoir une idée de l’intensité des combats, il faut bien comprendre que la ville de saint Lô tient une position névralgique en Normandie. Située le long de la rivière Vire, sur la route entre Bayeux, Coutances et Granville, elle est le point de passage obligé pour tenir le Cotentin et accéder à la Bretagne et les principaux ports tenus par l’amirauté allemande, Brest et Lorient. les alliés qui ne tiennent que quelques kilomètres de côte au soir du 6 juin vont élargir leur zone jusqu’à Bayeux le 12 juin, pour ensuite ne plus progresser, étant confrontée à une forte résistance allemande de Caen à Saint Lô.  Il faudra quarante-trois jours de combat pour parcourir à peine trente kilomètres entre Isigny-sur-mer et Saint-Lô, et 36 jours de Bayeux à Saint-Lô ,dans un déluge de feu apocalyptique.

6 juin 1944 - carte Michelin de la bataille de Normandie

Carte Michelin de la bataille de Normandie

Cette lente progression d’un kilomètre par jour en moyenne résulte de l’acharnement au combat des allemands, malgré les bombardements intensifs qui vont aboutir à la destruction totale de la ville de Saint-Lô (ci-après : progression des troupes américaines à hauteur de la côte 122 dominant saint-Lô au Mesnil- Rouzelin entre le 15 et 17 juillet).

Le Mesnil Rouxelin, 17 juillet 1944: la 29ème division d'infanterie américaine progressent sur la hauteur de la cote 122 dominant Saint-Lô.  US Army soldiers and jeeps on their way to the front lines, Saint-Lô, 15 July 1944.  During the fighting at Saint Lô, American soldiers leaving their jeep in the road on meeting german mortar and machine gun fire ... = [Au cours de la bataille de Saint-Lô, les membres d'équipage d'une jeep, tombés sous le feu d'une mitrailleuse et d'un mortier allemands, se sont réfugiés dans un fossé].

Il est vrai que les allemands vont bénéficier d’un terrain qui est favorable à la défense : le bocage, constitué de champs clos de haies serrées et de chemins creux où se dissimuler pour tirer. C’est exactement la même situation qu’en Vendée ou en pays chouan pendant la Révolution française lorsque les Républicains cherchaient à débusquer les paysans vendéens blottis derrière leurs haies. Les deux photos suivantes donnent une indication précise des difficultés attendant les troupes américaines pour progresser :

Armored personnel plowing through holes in the hedgerows, Saint-Lô 1944  During the invasion of Normandy, it was the Germans that gave the ...

  Franchissement des haies par les troupes américaines motorisées

Near St. Lô. July 26th-30th, 1944. American soldiers. Capa

Soldat américains dans le bocage, près de Saint-Lô, photo de Robert Capa

Et c’est ainsi qu’après de jours de bombardements intensifs et de combats de rues, Saint-Lô fut rayé de la carte. De la ville même, il ne restait absolument plus rien, que des ruines, les américains lui donnant le nom de capitale des ruines, surnom qui lui est resté jusqu’à ce jour. En voici quelques images, tout d’abord les combats au milieu des haies.

North of Saint-Lô, Normandy, July 6, 1944. (Click through to a great French WWII flickr stream PhotosNormandie.)  Two German KIAs lie in the path of US troops cautiously approaching after having received fire from a German sniper near Saint-Lo, France, summer 1944. Note the M1A carbine and the Colt .45 carried by the GIs.   American soldiers race across a dirt road, which is under enemy fire, nearSaint-Lô, july 25, 1944. Other Yanks crouch in ditch before making the crossing, too. In the left background is an American truck which has been hit and partially burned.

American MP rests on the roadside next to road sign pointing to Saint-Lô, Lower Normandy, France, 1944.   Hedgerows during the battle of Normandy - Summer 1944.   An American infantryman observes a dead Waffen-SS Grenadier of 17th SS "Götz Von Berlichingen' in the battle area of St Lo

GIs belonging to the 35th Infantry Division pass by the remains of two German KIAs in the French village of Saint-Georges-Montcocq in the vicinity of Saint Lo. Note the panzerfaust (anti-tank weapon) by the foot of the KIA in the foreground. July 1944.   Cpl. Raymond C. Slack, left, of Milwaukee, Wis., keeps sharp lookout for German patrols at an American outpost near Saint-Lô  on july 15, 1944, while his buddy S/Sgt. Eugene Schmitz, of Roseland, Neb., tries to make up a little of the sleep he has lost while on active duty.   Near St. Lô. July 26th-30th, 1944. American soldiers. Capa

Quant à la ville elle-même, elle subit deux bombardements : le premier intervient dans la nuit du 6 au 7 juin, mené par les alliés dans le but de détruire les communications utilisées par les forces allemandes : destruction du noeud ferroviaire et des ponts sur la Vire. Sa force de destruction est considérable. La ville est entièrement détruite ou presque une première fois.  A l’époque, les frappes ne sont pas chirurgicales, on tapisse de bombes le terrain, à haute altitude pour éviter les tirs de défense contre avions (DCA).  Les bombardements sont très approximatifs et massifs en tonnes d’explosifs. Toutes les villes normandes subiront ces attaques aériennes destinées à désorganiser la défense allemande. La deuxième vague de bombardement intervient en juillet, cette fois en provenance des Allemands installés au sud de la ville qui repoussent les assauts des Américains venant du nord. En cette occasion, la ville est pulvérisée (ci-après gare ferroviaire et église bombardés de Saint-Lô).

Vue aérienne d'un pont bombardé dans le bocage normand, aux alentours de Saint Lô.  What's left of the railway station and city of Saint-Lô, a key point in Normandy. Ni Cathedral at Saint-Lô, after the American Army had driven the Nazis out of the town in 1944.

C’est dans un champ de ruines que les soldats américains pénètrent les 18 et 19 juillet pour y prendre position tandis que les Allemands se replient vers le sud, aux portes mêmes de la ville où des snipers continuent de tirer sur les alliés qui se réfugient dans les ruines pour éviter d’être pris pour cible.

Covered with the American flag, the body of Maj. Thomas D. Howie, commander of the U.S. Army 3rd Battalion, 116 Infantry, rests amid the ruins of Saint Croix Church in Saint-Lô, France, while his men keep holding position behind their machine gun, July 19, 1944. (AP Photo/Harry Harris).

Soldats américains près de l’église Sainte-Croix en ruines le 19 juillet. Sur les pierres, sous le drapeau américain, se trouve le corps du major Thomas D. Howie, commandant du 3ème bataillon de la 116ème d’infanterie (photo AP, Harry Harris) entré le premier dans la ville. Une plaque honore celui qu’on appelle « le major de Saint-Lô ».

Three soldiers of the 29th US Infantry Division checking deserted buildings in Rue Saint Georges, Saint-Lô. 19th-20th July 1944. An American patrol enters wrecked St. Lo, July 1944. American military medics drive through the rubble and ruins of a Normandy town in the summer of 1944. Frank Scherschel, who shot the series of photographs, was an award-winning staff photographer for LIFE magazine.

1944 - Saint Lo, Normandy, France during liberation.   Saint Lo, France - Ruins. I'M GOING HERE NEXT WEEK..  St. Lô, France - August 1944Photo by Frank Scherschel for LIFE Magazine (via)

Saint-Lô, Normandy, summer 1944. | The Ruins of Normandy: Unpublished Color Photos From France, 1944    Read more: http://life.time.com/history/after-d-day-unpublished-color-photos-from-normandy-summer-1944/#ixzz2WnWYQpXv  The Ruins of Normandy - 1944    Colour photo of Rue Carnot, Saint-Lô

Les combats achevés, les civils normands sortent de leurs abris de fortune pour accueillir leurs libérateurs avec soulagement et sourire, les alliés mettant fin à quatre ans d’occupation allemande. Et dès le 19 juillet, le caporal Martin ouvre un premier café dans la ville !

US_Soldiers_Celebrate_with_French_Civilians_St_Lo_Normandy_1944  All these children and these women out of their makeshift shelter in Saint-Lô July 26, 1944. Groupe de soldats devant le premier café ouvert à Saint-Lô par le caporal E. L. Martin, 19 juillet 1944

Quant au cimetière militaire de Saint-Lô, il regroupera plus tard 4.410 tombes de soldats américains tombés au combat en Normandie, pour la plupart autour de Saint-Lô ou lors de l’opération Cobra qui va succéder à la prise de Saint-Lô.
American Cemetery Saint-James, Normandy. It contains the remains of 4,410 American soldiers, most of whom lost their lives in Normandy and Brittany,1944. esp. Saint-Lô . When visiting here some years ago, an elderly French woman sat next to me and asked: "Êtes-vous américaine?" (Are you American?)  Yes, I said.  "Merci, madame; il ya 4,410 Américains ici. Je me souviens." (Thank you, madame; there are 4,410 Americans here. I remember.)  rw.

Car la bataille de Normandie est loin d’être finie. Les 25 et 26 juillet, les Allemands campent toujours à proximité immédiate de Saint-Lô, au sud, tenant une ligne qui court de Lessay, sur la Manche, à Caumont au sud de Caen. C’est alors l’opération Cobra, lancée à partir de Saint-Lô, qui va faire entrer dans la légende le général Patton et ses chars Sherman Rhinocéros équipés à l’avant d’une lame d’acier pour tailler les haies auparavant infranchissables du bocage (à suivre).

An American tank on a street strewn with rubble in Saint-Lô. Sherman called "Hun Chaser" of HQ Co 747th Tank Bn of the Task Force Cota of the 29th Inf. Div. Sherman tank driver with his helmet feature, pistol in hand inspects the scene with binoculars, this is Walter E. Hatfield of Princeton, Idaho. The tank is at the end of the Rue du Neufbourg close to the small square of the Rising Sun. The continuation of the Rue du Neufbourg the other side of the Square was the Rue Carnot (with the Church of Our Lady at the bottom), the ruins left behind the trees: the prison. NB: the Rue Carnot and Place of the Rising Sun no longer exist in Saint-Lô. This photo was taken July 18, 1944 at the end of the afternoon at the entrance of American troops in Saint Lô. Indeed when the first Americans entered St. Lo, 18 afternoon, the Notre Dame still has two arrows, the north tower collapsed shortly afterwards.
Vient alors pour Saint-Lô le temps de la reconstruction. Celle-ci faillit ne jamais intervenir. Les destructions étaient telles qu’il fut envisagé de renoncer à reconstruire la ville et de transférer la préfecture de la Manche à Coutances. Les protestations fusèrent, y compris des Américains. Ceux-ci avaient d’abord entrepris de déblayer la ville pour permettre le passage continu des troupes et du ravitaillement.

Saint-Lô 1944  American troops clear wreckage in Saint-Lô, Normandy, 1944. | The Ruins of Normandy: Unpublished Color Photos From France, 1944    Read more: http://life.time.com/history/after-d-day-unpublished-color-photos-from-normandy-summer-1944/#ixzz2WnWYQpXv  A US convoy crosses Saint Lô in ruins in August 1944

Les civils qui avaient déserté la ville revinrent, plus de six mille dans les deux ans, la moitié de la population d’avant-guerre. Ils furent bientôt logés dans des baraquements en bois construits en deux ans, qui constituèrent une véritable ville le temps d’une reconstruction : celle-ci demanda plus de 20 ans. Aujourd’hui, la ville a retrouvé ce charme provincial qui existait déjà quand la ville accueillait une étape du tour de France cycliste en 1909. Elle compte vingt mille habitants environ.
Saint-Lô, l’arrivée du tour de France, 1909

Les remparts sont à nouveau fleuris. Les rives de la Vire sont aménagées pour la promenade. La gare ferroviaire a retrouvé son activité même si les trains à vapeur ont disparu du paysage. L’église Notre-Dame autrefois sous le feu a été reconstruite. Et le haras national est l’un des plus beaux de France, organisant des compétitions diverses mettant à l’honneur le meilleur compagnon de l’homme, le plus brave, le plus utile, le plus vigoureux mêrme si la voiture croit l’avoir remplacé, le cheval.

Saint-Lô : les remparts  Saint-Lô, France  Remparts de Saint-Lô

Saint-Lô, Manche. Pop: 18,718 (Aire Urbaine 51,769) Église Notre-Dame, Saint-Lô, France  harras national de Saint-Lô dans la Manche    - http://www.elevage-de-vie.com/chevaux/haras-national-saint-lo.jpg

File:Haras in Saint-Lô, Normandië, France.jpg  Normandy Horse Day 2014 Saint-Lô Puissance du cheval arabe  Normandy Horse Day 2014 Saint-Lô Démonstration équestre

Et si vous demandez comment tout cela a été possible, et bien la réponse est simple : tout d’abord,  les Normandes et les Normands ont du caractère, ils sont courageux et travailleurs, ils ne se plaignent pas inutilement et remontent leurs manches quand c’est nécessaire. Ils ne descendent pas pour rien des Vikings, les derniers à avoir envahi l’Angleterre tout de même, lors de la bataille d’Hastings le 14 octobre 1066.

bijoux  normands, coiffe et costumes normands

Et puis un homme de lettres va rendre célèbre Saint-Lô, c’est Samuel Beckett, futur Nobel de littérature en 1969, auteur de Malone meurt, Molloy ou encore En attendant Godot qui vécut en France. Pendant la guerre, il choisit de résister plutôt que de vivre en paix en Irlande. En août 1945, il décide de venir en aide à son ami le docteur Alan Thompson qui vient de monter pour la croix-Rouge irlandaise  un hôpital de fortune à Saint-Lô, d’une centaine de lits dans des baraquements en bois. Officier d’intendance, il y passera six mois et à son retour à Paris écrit en un poème resté célèbre : The Capital of the Ruins :

Les méandres de la Vire charrieront d’autres ombres

à venir qui vacillent encore dans la lumière des chemins

et le vieux crâne vidé de ses spectres

se noiera dans son propre chaos.

Touriste, arrête-toi et souviens-toi... Saint-Lô, la Capitale des Ruines.  http://shanaghy.jimdo.com http://www.facebook.com/ShanaghySaintLo Dans son livre "Healing Amid the Ruins : the Irish Hospital at Saint-lô (1945-1946)", Phyllis Gaffney retrace toutes les étapes du "débarquement" irlandais et de l'hôpital irlandais à Saint-Lô. Un témoignage poignant car l'auteure n'est autre que la fille du Docteur James Gaffney, médecin de l'Hôpital irlandais.  Ouvrage disponible chez A&A Farmer Book Publishers. http://shanaghy.jimdo.com http://www.facebook.com/ShanaghySaintLo  Affiche annonçant l'inauguration de l'Hôpital irlandais à Saint-Lô + d'infos : http://shanaghy.jimdo.com http://www.facebook.com/ShanaghySaintLo

Mais Saint-Lô doit peut-être plus encore sa renaissance au fait que son blason est la légendaire licorne. Les licornes ne peuvent mourir, c’est bien connu.
File:Saint-lô licorne noël.JPG 1966 French Stamp - Coat of Arms of Saint-Lô

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