A l’approche du 6 juin, le souvenir du débarquement demeure. On évoque souvent les premières heures de cette journée héroïque qui vit la plus grande armada de tous les temps traverser la Manche pour affronter sur les plages les forces allemandes fortifiées le long du mur de l’Atlantique avec la ferme intention de repousser l’envahisseur. Mais après cette bataille des plages qui ne dura qu’une journée, les combats se poursuivirent en Normandie pendant 80 jours qui furent les plus violents sur le front occidental jusqu’à la chute de Berlin en mai 1945.
Nous qui nous enivrons de cette douceur du jour soixante-dix ans de paix plus tard que nous devons à toux ceux tombés au champ d’honneur ces jours- là, il nous revient de nous souvenir, désespérant dans le même temps que cessent les plaintes artificielles ou haineuses qui se lèvent dans un pays où malgré le chômage, il n’en fait pas moins globalement bon vivre au point que les vagues de la misère venues du Sud déferlent pour y trouver une petite place en pays riche et tempéré.
Et donc, l’auteur virtuel pour commencer cette série sur la bataille de Normandie, a choisi la capitale des ruines, la ville de Saint-Lô où la violence des bombardements et des combats entraînèrent la destruction de 97% de cette petite ville chef-lieu du département de la Manche et qui comptait alors douze mille habitants avant que les bombardements n’éclatent la nuit même qui suivit le débarquement.
Pour avoir une idée de l’intensité des combats, il faut bien comprendre que la ville de saint Lô tient une position névralgique en Normandie. Située le long de la rivière Vire, sur la route entre Bayeux, Coutances et Granville, elle est le point de passage obligé pour tenir le Cotentin et accéder à la Bretagne et les principaux ports tenus par l’amirauté allemande, Brest et Lorient. les alliés qui ne tiennent que quelques kilomètres de côte au soir du 6 juin vont élargir leur zone jusqu’à Bayeux le 12 juin, pour ensuite ne plus progresser, étant confrontée à une forte résistance allemande de Caen à Saint Lô. Il faudra quarante-trois jours de combat pour parcourir à peine trente kilomètres entre Isigny-sur-mer et Saint-Lô, et 36 jours de Bayeux à Saint-Lô ,dans un déluge de feu apocalyptique.
Carte Michelin de la bataille de Normandie
Cette lente progression d’un kilomètre par jour en moyenne résulte de l’acharnement au combat des allemands, malgré les bombardements intensifs qui vont aboutir à la destruction totale de la ville de Saint-Lô (ci-après : progression des troupes américaines à hauteur de la côte 122 dominant saint-Lô au Mesnil- Rouzelin entre le 15 et 17 juillet).
Il est vrai que les allemands vont bénéficier d’un terrain qui est favorable à la défense : le bocage, constitué de champs clos de haies serrées et de chemins creux où se dissimuler pour tirer. C’est exactement la même situation qu’en Vendée ou en pays chouan pendant la Révolution française lorsque les Républicains cherchaient à débusquer les paysans vendéens blottis derrière leurs haies. Les deux photos suivantes donnent une indication précise des difficultés attendant les troupes américaines pour progresser :
Franchissement des haies par les troupes américaines motorisées
Soldat américains dans le bocage, près de Saint-Lô, photo de Robert Capa
Et c’est ainsi qu’après de jours de bombardements intensifs et de combats de rues, Saint-Lô fut rayé de la carte. De la ville même, il ne restait absolument plus rien, que des ruines, les américains lui donnant le nom de capitale des ruines, surnom qui lui est resté jusqu’à ce jour. En voici quelques images, tout d’abord les combats au milieu des haies.
Quant à la ville elle-même, elle subit deux bombardements : le premier intervient dans la nuit du 6 au 7 juin, mené par les alliés dans le but de détruire les communications utilisées par les forces allemandes : destruction du noeud ferroviaire et des ponts sur la Vire. Sa force de destruction est considérable. La ville est entièrement détruite ou presque une première fois. A l’époque, les frappes ne sont pas chirurgicales, on tapisse de bombes le terrain, à haute altitude pour éviter les tirs de défense contre avions (DCA). Les bombardements sont très approximatifs et massifs en tonnes d’explosifs. Toutes les villes normandes subiront ces attaques aériennes destinées à désorganiser la défense allemande. La deuxième vague de bombardement intervient en juillet, cette fois en provenance des Allemands installés au sud de la ville qui repoussent les assauts des Américains venant du nord. En cette occasion, la ville est pulvérisée (ci-après gare ferroviaire et église bombardés de Saint-Lô).
C’est dans un champ de ruines que les soldats américains pénètrent les 18 et 19 juillet pour y prendre position tandis que les Allemands se replient vers le sud, aux portes mêmes de la ville où des snipers continuent de tirer sur les alliés qui se réfugient dans les ruines pour éviter d’être pris pour cible.
Soldats américains près de l’église Sainte-Croix en ruines le 19 juillet. Sur les pierres, sous le drapeau américain, se trouve le corps du major Thomas D. Howie, commandant du 3ème bataillon de la 116ème d’infanterie (photo AP, Harry Harris) entré le premier dans la ville. Une plaque honore celui qu’on appelle « le major de Saint-Lô ».
Les combats achevés, les civils normands sortent de leurs abris de fortune pour accueillir leurs libérateurs avec soulagement et sourire, les alliés mettant fin à quatre ans d’occupation allemande. Et dès le 19 juillet, le caporal Martin ouvre un premier café dans la ville !
Quant au cimetière militaire de Saint-Lô, il regroupera plus tard 4.410 tombes de soldats américains tombés au combat en Normandie, pour la plupart autour de Saint-Lô ou lors de l’opération Cobra qui va succéder à la prise de Saint-Lô.
Car la bataille de Normandie est loin d’être finie. Les 25 et 26 juillet, les Allemands campent toujours à proximité immédiate de Saint-Lô, au sud, tenant une ligne qui court de Lessay, sur la Manche, à Caumont au sud de Caen. C’est alors l’opération Cobra, lancée à partir de Saint-Lô, qui va faire entrer dans la légende le général Patton et ses chars Sherman Rhinocéros équipés à l’avant d’une lame d’acier pour tailler les haies auparavant infranchissables du bocage (à suivre).
Vient alors pour Saint-Lô le temps de la reconstruction. Celle-ci faillit ne jamais intervenir. Les destructions étaient telles qu’il fut envisagé de renoncer à reconstruire la ville et de transférer la préfecture de la Manche à Coutances. Les protestations fusèrent, y compris des Américains. Ceux-ci avaient d’abord entrepris de déblayer la ville pour permettre le passage continu des troupes et du ravitaillement.
Les civils qui avaient déserté la ville revinrent, plus de six mille dans les deux ans, la moitié de la population d’avant-guerre. Ils furent bientôt logés dans des baraquements en bois construits en deux ans, qui constituèrent une véritable ville le temps d’une reconstruction : celle-ci demanda plus de 20 ans. Aujourd’hui, la ville a retrouvé ce charme provincial qui existait déjà quand la ville accueillait une étape du tour de France cycliste en 1909. Elle compte vingt mille habitants environ.
Les remparts sont à nouveau fleuris. Les rives de la Vire sont aménagées pour la promenade. La gare ferroviaire a retrouvé son activité même si les trains à vapeur ont disparu du paysage. L’église Notre-Dame autrefois sous le feu a été reconstruite. Et le haras national est l’un des plus beaux de France, organisant des compétitions diverses mettant à l’honneur le meilleur compagnon de l’homme, le plus brave, le plus utile, le plus vigoureux mêrme si la voiture croit l’avoir remplacé, le cheval.
Et si vous demandez comment tout cela a été possible, et bien la réponse est simple : tout d’abord, les Normandes et les Normands ont du caractère, ils sont courageux et travailleurs, ils ne se plaignent pas inutilement et remontent leurs manches quand c’est nécessaire. Ils ne descendent pas pour rien des Vikings, les derniers à avoir envahi l’Angleterre tout de même, lors de la bataille d’Hastings le 14 octobre 1066.
Et puis un homme de lettres va rendre célèbre Saint-Lô, c’est Samuel Beckett, futur Nobel de littérature en 1969, auteur de Malone meurt, Molloy ou encore En attendant Godot qui vécut en France. Pendant la guerre, il choisit de résister plutôt que de vivre en paix en Irlande. En août 1945, il décide de venir en aide à son ami le docteur Alan Thompson qui vient de monter pour la croix-Rouge irlandaise un hôpital de fortune à Saint-Lô, d’une centaine de lits dans des baraquements en bois. Officier d’intendance, il y passera six mois et à son retour à Paris écrit en un poème resté célèbre : The Capital of the Ruins :
Les méandres de la Vire charrieront d’autres ombres
à venir qui vacillent encore dans la lumière des chemins
et le vieux crâne vidé de ses spectres
se noiera dans son propre chaos.
Mais Saint-Lô doit peut-être plus encore sa renaissance au fait que son blason est la légendaire licorne. Les licornes ne peuvent mourir, c’est bien connu.