L’inexorable montée du chômage


Quarante ans, soit pour simplifier, le renouvellement de deux générations à l’échelle humaine ! Voici quatre décennies que le chômage ne cesse de progresser, une montée régulière et inexorable, avec de rares périodes de reflux. Et un fatalisme surprenant face à la désagrégation de la société qu’entraîne ce phénomène. On peut même évoquer en la circonstance une renonciation générale de la classe politique et des décideurs économiques et sociaux : non seulement plus personne ne cherche à retrouver le plein emploi, ce qui est devenu, hélas, une illusion lyrique pour longtemps, mais même l’objectif d’atteindre un niveau « supportable » qui permettrait d’éviter la remise en cause des mécanismes de solidarité, n’est plus de saison. Résultat, c’est toute la société entière qui se fragilise et souffrent, tandis que les mécanismes de solidarité se grippent et menacent de rompre à tout moment. Et pendant ce temps, la marmite sociale bouillonne jusqu’à la prochaine explosion, imprévisible par nature !

Le constat est rapide à faire. En 1973, avant le premier choc pétrolier, le taux de chômage au sens du Bureau international du travail (BIT) , est de l’ordre de 3% et correspond à une situation de plein emploi : le chômage résulte alors essentiellement de l’insuffisance de fluidité du marché de l’emploi et de l’adaptation des personnes à la recherche d’un emploi aux offres d’emploi disponibles.

Les deux crises pétrolières survenues dans la foulée de la guerre du Kippour en octobre 1973 puis de la révolution iranienne en 1979-1980, vont provoquer  la fin de la période de forte croissance  issues de la reconstruction et de la création de la société de consommation, ce qu’on appellera plus tard, ap osteriori, « les trentes glorieuses ». Une première crise économique engendre une poussée soudaine du chômage liée à l’incapacité de proposer un travail à l’ensemble de la génération issue du baby-boom, aux effectifs beaucoup plus nombreux que par le  passé. En dix ans le taux de chômage triple pour passer de 3% à près de 9%.  Une embellie économique à la fin des années 80 laisse espérer une résorption du chômage dont le taux tombe juste en-dessous de 8% en 1990, pour repartir de plus belle  et franchir, pour la première fois, le seuil des 10% en 1993.

De 1993 à 2000, le chômage va se maintenir au-dessus des 10%, jusqu’à ce que la politique de partage du travail avec la création du régime hebdomadaire des 35 heures de travail, et un retour inattendu à une période de croissance de l’ordre de 3% à 4%  sur plusieurs années ramènent le taux de chômage en 2002-2003 au seuil des 8% pour la première fois depuis dix ans. Mais la croissance économique s’affaiblissant et les effets du partage du travail s’estompant, le taux de chômage repart à la hausse pour approcher 9%, et retomber cependant à moins de 8% en 2007, après une nouvelle période de légère croissance économique permettant la création d’emplois.

C’est alors que survient en 2007-2008,  la crise des subprimes suivie de la déflagration financière mondiale qui déstabilise les économies occidantales. Le taux de chômage s’envole pour atteindre à nouveau 10% en 2010, retomber légèrement en-dessous de 10% entre 2010 et 2012 à la faveur des mesures de stabilisation de l’économie prises alors  ;et depuis 2012 il flambe à nouveau pour battre chaque mois de nouveaux records et dépasser les 11% au sens du BIT.

Que signifie ce taux actuel de 11% de chômage ? Tout simplement, qu’une personne sur neuf en mesure de travailler ne trouve pas d’emploi. Il ne s’agit que d’une moyenne, car il faut tenir compte des catégories d’âge, des ères géographiques, des qualifications et des métiers, les situations réelles étant fort diverses et aboutissant que dans certaines catégories, il n’est pas rare de voir une personne sur quatre au chômage.

Hommes politiques, économistes et journalistes toujours en proie à une douce paresse, limitent leur raisonnement à comparer l’évolution du chômage et la croissance, pour montrer qu’il existe une corrélation inverse et en tirer comme conséquence qu’il suffit que la croissance reparte, et hop le chômage baisse.  L’affaire serait même dans le sac : il existerait même un seuil magique de 2% de croissance à partir duquel automatiquement reviendrait le temps béni des créations d’emploi. Ces raisonnements simplistes sont assez pathétiques comme il sera constaté dans un prochain article consacré à la croissance et au chômage. Car en matière de croissance, il faut toujours tout remettre en perspective temporelle. Et s’agissant du chômage, prendre en compte les aspects générationnels et démographiques.

Et puis, un taux de chômage n’est qu’un taux abstrait sans signification concrète. Chaque chômeur est une personne comme le rappelle à juste titre le film « la Loi du marché ». Une fois balayée la statistique annoncée mensuellement et répercutée dans les médias, il faut regarder de plus près la réalité. Et la réalité est la suivante. Une personne sur neuf au chômage signifie que sur les 46 générations en âge légal de travailler (16 à 62 ans), cinq générations annuelles sont à la recherche permanente d’un emploi en 2015, étant entendu que depuis 1985, voici donc trente ans, la France s’est rarement retrouvée en-dessous de 3,5 générations annuelles sans emploi (46*8%).

Le raisonnement simplifié en génération annuelle permet aussi de prendre en compte les effets des mesures d’âge dans le temps. Depuis 1975, trois décisions ont principalement pesé sur l’évolution de la courbe du chômage : en 1981, la diminution de l’âge légal du travail  de 65 à 60 ans, écartant d’un coup cinq générations du marché de l’emploi, expliquant partiellement la stabilisation mécanique du taux de chômage entre 1981 et 1986 ; inversement, 30 ans plus tard, le report à 62 ans de l’âge légal de la retraite et l’ajustement des mécanismes de calcil des liquidation de retraite remet sur le marché, globalement, deux générations même si ce calcul est très simplifié ; et enfin, avec la fin de la conscription et la professionnalisation des armées entre 1995 et 1998, une génération annuelle  de jeunes hommes est revenue sur le marché du travail.

« L’humanité à la recherche du bonheur » : un film permanent d’actualité !

Parallèlement, toutes les études statistiques signalent un taux de chômage deux à trois fois plus faible pour les personnes qualifiées que pour les personnes non qualifiées ou faiblement qualifiées, ouvriers et employés. Ce qui conduit à une conclusion simple : c’est par l’éducation et la formation de toute la jeunesse que l’on viendra à bout du chômage, et uniquement par un énorme effort de formation concret et réaliste, loin des délires éducatifs et universitaires actuels, éloignés de la réalité du travail.

40 ans d’inefficacité des politiques actives ou sociales pour résorber le chômage

Dans cette optique, quatre mesures phares permettraient d’envisager de sortir progressivement du « plein chômage » pour se diriger vers un plein emploi :

1)   Porter de 16 à 18 ans l’âge légal d’instruction obligatoire, pour la faire correspondre à l’âge d’acquisition de la majorité civique

2) Instaurer un service civique universel d’une durée d’un an entre 18 et 24 ans pour brasser les expériences et les populations aujourd’hui désunies et suffocant de tentations communautaristes ;

3) Instaurer un cursus diplômant obligatoire de deux ans en alternance, quelle que soit la formation suivie, entre l’âge de 16 et 24 ans suivant la nature des formations professionnelles, techniques ou universitaires.

4) Pour financer cet effort éducatif destiné à mettre en adéquation la formation des jeunes avec la réalité du monde du travail, réequilibrer lea destination des dépenses publiques qui explosent et reporter progressivement, mais rapidement, l’âge légal de départ à retraite à 65 ans puis 67 ans, ce qui peut paraître paradoxal en matière de lutte contre le chômage mais est envisageable si la décision s’accompagne d’une plus grande flexibilité du temps de travail (généralisation de la possibilité de travail à temps partiel à partir de 62 ans), cette mesure étant destinée à réequilibrer les comptes sociaux en faveur de l’effort de l’éducation.

Car l’urgence est de réquilibrer les dépenses publiques entre les générations en faveur des moins de 25 ans, avec priorité donnée à élever les qualifications utiles de chaque génération qui se succède. Car, dans le même temps où un quart des jeunes sort du système éducatif sans diplôme, les calculs politiciens conduisent inexorablement à à favoriser le sort des seniors dont le poids électoral est primordial. L’âge moyen de l’électeur erst aujourd’hui largement supérieur à 50 ans. Ne comptez pas sur les élus pour prendre des décisions courageuses qui feraient de la peine aux cheveux gris et blancs qui ne manquent pas de charme, surtout lorsqu’ils sortent de l’isoloir et approchent de l’urne. pour un élu, le chômage est une courbe de température, une perspective d’élection ou réelection et rien d’autre. On en fait même un suivi à destination des nouveaux cartomanciens et diseuses de bonne aventure que sont les journalistes économiques.

Exemple de baromètre électoral à vocation populiste

Les prochains articles consacrés à ce sujet éclaireront et justifieront ces propositions qui avaient déjà été effleuréesdans un précédent article. https://cervieres.com/2015/05/28/de-lusage-demographique-du-six-premier-nombre-parfait/

(A suivre)

 

Remarquable représentation graphique de l’évolution annuelle chômage des femmes et des hommes depuis 1975 (haut) jusqu’en 2012 (bas) . En 1975, période de plein emploi, le taux de chômage des femmes (>4%) est le double de celui des hommes (2%). En 2012, femmes et hommes sont dans une situation identique, avec un taux de chômage de 10%.

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