Après le séisme électoral

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L’ennui avec la démocratie, c’est que les électeurs peuvent voter ce qu’ils veulent. Ce serait bien mieux s’ils votaient comme le souhaite le candidat, et pour le sortant s’il n’y avait pas d’élection du tout. La démocratie étant injuste avec les perdants, forcément on se retrouve avec beaucoup plus de déconfits que d’heureux élus. Le vote porte en lui l’expression du mécontentement et annonce des soirées électorales pénibles où les battus font grise mine tandis que le vainqueur se demande bien dans quel pétrin il s’est fourré. L’essentiel en définitive est plutôt de perdre avec les honneurs que de gagner, c’est moins risqué (en introduction, résultat des élections régionales du 6 décembre 2015, source : Slate.fr)

Urbain Basset : Le Génie de la Démocratie (1888):

Le Génie de la démocratie, par Urbain Basset, 1888

Et pourtant, ce qui est curieux dans une élection, c’est ce besoin du vainqueur de se féliciter du choix judicieux des électeurs tandis que le perdant trouve que les résultats minables du scrutin ne sont pas à la hauteur de son talent, ce qui le conduit souvent à la limite d’insulter le corps électoral comme si ce dernier  savait s’entendre à l’avance pour déterminer les résultats et le faire tomber dans un traquenard. Certes les prédictions électorales font le bonheur des sociétés de sondages, mais de là à dire que les sondages font les résultats, il y a un pas à ne pas franchir. Même à l’heure des réseaux sociaux, il reste difficile d’organiser une concertation préalable au vote entre 45 millions d’électeurs inscrits pour décider qui ira voter ou pas et pour qui glisser son bulletin dans l’urne. Le vote continue par nature de présenter un caractère aléatoire même si les résultats sont parfois fort proches des sondages.

« Elle a reçu le nom de démocratie, parce que son but est l’utilité du plus grand nombre et non celle d’une minorité ». Oraison funèbre de Périclès, rapporté par Thucydide, La guerre du Péloponèse. Alors que la Grèce semble sur le point de quitter le...:

« Elle a reçu le nom de démocratie parce que son but est l’utilité est le but du plus grand nombre et non celle d’une minorité », éloge funèbre de Périclès rapporté par Thucydide

Il n’empêche que notre bon maître André Siegfried en serait tout retourné dans sa tombe de consulter les résultats des dernières élections régionales. L’homme qui fut reçu à l’Académie française en 1945 par le duc de la Force, a été le premier président de la Fondation nationale de science politique, brillant historien, géographe et sociologue, auteur d’un nombre invraisemblable d’ouvrages de 1913 à 1959, année de sa mort, dont l’immortel Tableau politique de la France de l’Ouest sous la troisième République, le livre fondateur de la sociologie électorale. Proche de Gustave Le Bon auteur de la Psychologie des foules, il écrivit aussi un étrange livre intitulé l’Âme des peuples.

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Le Serment du Jeu de Paume, ou la naissance de la démocratie française

Réduite à la formule simpliste le granite vote à droite, le calcaire vote à gauche, le tableau politique de la France de l’Ouest étudiait quarante ans de résultats électoraux sous la troisième république pour souligner la permanence géographique du vote allant jusqu’à épouser la géologie des sols. C’est ainsi qu’il allait jusqu’à expliquer que la Vendée granitique du nord de ce département, foncièrement royaliste, expliquait son basculement dans  la guerre contre les républicains tandis que le sud calcaire prenait partie pour la révolution française. Cinquante plus tard, l’historien Paul Bois appliquant la même méthode sociologique au département de la Sarthe aboutissait à des conclusions sensiblement similaires, distinguant entre la Sarthe granitique de l’Ouest, conservatrice et catholique, et la Sarthe calcaire de l’Est, républicaine et laïque.

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La permanence géographique du vote est, en effet, l’un des nombreux mystères de l’alchimie démocratique. Ainsi, le vote communiste n’a jamais réussi à s’implanter dans l’ouest catholique en dehors des façades maritimes, des ports de pêche et des arsenaux. Le déclin religieux a permis au parti socialiste  de s’implanter durablement dans les circonscriptions rurales autrefois profondément conservatrices du Finistère et même du Morbihan. cette permanence du vote se retrouvait dans les pays de Savoie, l’Alsace, le pays basque, l’Auvergne et, en fait dans la plupart des départements, jusqu’à ce que la crise économique vienne tout changer.

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La liberté guidant le peuple, par Eugène Delacroix, musée du Louvre

De 1945 jusqu’à ces dernières années, la sociologie électorale française aboutissait au constat suivant : pour simplifier, un tiers des circonscription était invariablement tenue par la droite conservatrice ou centriste, un tiers par les socialistes ou les communistes, le dernier tiers basculant suivant l’inclinaison plus ou moins forte du moment. Parmi ces départements instables, le hasard voulait que les quatre premiers dans l’ordre alphabétique figurent dans cette liste : Ain, Aisne, Allier, Hautes-Alpes. La lecture des résultats du premier tour de la quinzaine de circonscriptions de ces départements permettait, avec une assez grande assurance, de prévoir les résultats pour l’ensemble de la France à l’issue du second tour bien plus que les sondages, tant certaines élections se jouent à quelques dizaines de voix dans de nombreuses circonscriptions.

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Athènes, berceau de la démocratie symbolisé par le Parthénon

Depuis le séisme des élections régionales du 6 décembre, voilà que c’en est fini du paysage habituel de la France électorale. Les traditions se perdent, les élections aussi. Prenons le Nord-Pas-de-Calais. Le département du nord était socialiste, avec quelques territoires conservateurs. le Pas-de-Calais, longtemps terre communiste, était devenu exclusivement socialiste ou presque depuis l’effondrement des lendemains enchanteurs du communisme qui finirent par lasser tout le monde. Voilà que ces anciens bastions socialistes et communistes ont terminé de basculer vers le Front national, la région lui apportant près d’un million de voix. L’ancien monde des ouvriers et des employés n’est plus, l’extrême droite surfe sur la misère.

La République universelle démocratique et sociale - Le Pacte.

La République démocratique, universelle et sociale en 1848 : le Pacte, lithographie de Frédéric Sorrieu, musée Carnavalet Paris

Prenons la Sarthe justement . Les campagnes oubliées elles-aussi ont basculé vers l’extrême droite qui arrive en tête dans tout le département à l’exception du chef-lieu et de quelques villes ou gros bourgs. Les paysans et les ruraux ont rallié avec leurs « fourches » le Front national. Le mouvement de bascule de la paysannerie vers le Front national avait commencé voilà vingt ans dans le Beaujolais, il s’étend désormais à une bonne moitié de la France rurale, attendant qu’il ne couvre tout le pays aux prochaines élections. Et ce ne sont pas que les paysans pauvres qui ont basculé, la Brie et la Beauce céréalières aussi. Et comme le coeur de la France continue de battre au son des souvenirs de la campagne, autant de que l’avenir électoral de la France est presque entièrement écrit.

La République universelle démocratique et sociale - Le Prologue.

La République démocratique, universelle et sociale en 1848 : le Prologue,  lithographie de Frédéric Sorrieu, musée Carnavalet Paris

En fait, ce que nous raconte la carte électorale de ces élections régionales est assez simple : les politiciens traditionnels, les journalistes politiques bavards et incultes qui peuplent les  radios et les télévisions, et tous ces animateurs grotesques et amuseurs moralistes, vont désormais passer leur temps à expliquer aux électeurs qu’ils doivent se ressaisir, prôner le vote républicain et les vertus de l’union, continuant à appliquer les mêmes schémas incantatoires d’indignation et d’ostracisation vis à vis du Front national, ignorant dans le même temps que six millions d’électeurs ont fait le choix démocratique de voter pour ce parti, un nombre plus élevé que celui des électeurs de la droite traditionnelle et guère moins que ceux de la bande hétéroclite et hypocrite de la prétendue Union de la gauche  qui regroupe des socialistes modérés, des communistes ringardisés dans leurs vieux habits léninistes troués de partout sans oublier tous ces prétentieux écologistes furieusement dévots et donneurs de leçons d’abrutissement qui font oublier le bruit des vagues, la beauté des paysages et la succession invariable des jours et des nuits.

La République universelle démocratique et sociale - Le Triomphe.

La République démocratique, universelle et sociale  en 1848: le Triomphe,  lithographie de Frédéric Sorrieu, musée Carnavalet Paris

La vérité, c’est que les Français n’en peuvent plus des mensonges de la classe politique dont ils ne supportent plus qu’elle passe son temps dans les écuries à s’empiffrer de foin une fois les élections passées au lieu de travailler durement pour redresser une situation difficile en partageant les efforts des Français. Qu’elle commence par donner l’exemple en diminuant de moitié le nombre des élus nationaux, régionaux, départementaux, locaux, ce serait un signal clair pour tous. Que le nombre de mandats successifs soit strictement limité dans chaque assemblée et collectivité, que les indemnités versées aux élus soient aussi diminuées pour que l’on retrouve dans les enceintes démocratiques des hommes qui ne soient pas principalement attirés par de véritables carrières professionnelles politiques tout au long de la vie, que le nombre des ministres et leurs attributions soient fixées dans la constitution pour arrêter les petits jeux de chaise musicale à chaque élection, que les compétences et l’organisation des administrations centrales et territoriales soient clairement définies pour réduire les gaspillages bureaucratiques et simplifier la vie des Français, c’est tout cela que les électeurs demandent sans oublier que ces politiciens arrêtent de se comporter en bandits de grand chemin pratiquant le hold-up fiscal.

La République universelle démocratique et sociale - Le Marché.

La République démocratique, universelle et sociale en 1848 : le Marché,  lithographie de Frédéric Sorrieu, musée Carnavalet Paris

Ces électeurs attendent aussi un peu de sérieux des hommes politiques. Qu’ils cessent de faire et défaire à chaque élection, pour d’obscures raisons mesquines, ce que les prédécesseurs ont fait. Le boulgi-boulga n’est pas une politique. Un peu moins de communication, un peu plus de travail serait aussi souhaitable. Le code du travail et le code général des impôts sont à foutre à la poubelle, croyez en un spécialiste qui s’étonne encore qu’en France on cherche à construire sur les bases d’un code de l’urbanisme et d’un code la construction totalement illisibles.  Même le code électoral ne regroupe plus depuis longtemps les principaux textes en la matière.  C’est une passoire à gros trous.

ddhc colonne:

Quant à l’économie, l’auteur virtuel a souligné plusieurs fois que l’administration fiscale qui dirige réellement le pays depuis que les hommes politiques lui en ont laissé les commandes en creusant le déficit budgétaire et l’endettement depuis quarante ans, et bien cette administration fiscale passe son temps à jouer au billard et au mistigri au détriment de l’efficacité économique avec les piteux résultats que nous connaissons tous : déficit, chômage, exclusion…

Fête de la Fédération du 14 juillet 1790

Mais tout cela n’est rien. les Français ne supportent plus les mensonges. Tout d’abord, les attentats du 13 novembre ont mis en évidence que les services publics et les fonctionnaires tant décriés par la droite conservatrice et libérale, avaient été magnifiquement au service du pays en ce moment d’épreuve. Pompiers, Samu, personnels des hôpitaux, policiers et militaires, tous ont répondu à l’appel en ce moment épouvantable, apportant la preuve que l’Etat en France n’est pas une chimère mais qu’il fonctionne bel et bien, prêt à affronter les crises imprévisibles.

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Il est aussi d’autres mensonges qui ne sont plus supportés, les mensonges par omission. Après les attentats du 13 novembre, les électeurs ont très clairement fait comprendre à un président de la République qui n’a pas employé une fois le mot Islam dans ses innombrables discours qui ont suivi cette nuit terrible, qu’il est devenu impossible de transiger avec cette question redoutable : quelle place pour l’Islam dans la démocratie française et en Europe ?  Et de quel Islam est-il question ?

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Car il n’est pas un électeur en France qui, au moment de voter, ne se pose cette question :  l’Islam est-il soluble dans la démocratie ?, alors même que la classe politique dans son ensemble, pas un instant, n’a commencé sérieusement, à aborder cette question qui traverse la société française depuis un quart de siècle, voilà qui finit par susciter l’indignation dans les urnes.

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Le chômage, la pauvreté et la place de l’Islam dans la société française à l’ère du terrorisme de massee, sont les principales interrogations des Français qui, dans les urnes, doutent d’avoir des réponses franches de leurs élus.  A force de bredouiller des réponses inaudibles, de faire preuve d’une rare inefficacité économique, la moitié des électeurs s’abstiennent et 30% votent désormais pour l’extrême droite. Qu’un tiers des électeurs votent n’importe quoi, ce n’est pas nouveau, le vote protestataire a toujours été fort en France, auparavant il se portait sur le parti communiste. Mais il ne concernait sociologiquement qu’une partie du corps électoral : les ouvriers. Aujourd’hui, ce qui est nouveau, c’est que ce vote protestataire traverse l’ensemble de la société française, ouvriers, artisans, commerçants, paysans. Et donc, il n’est pas impossible que ce vote minoritaire ne devienne un jour majoritaire.

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L’Ecole d’Athènes, Raphaël, 1512, le Vatican

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