Au cours de l’été dernier, entre deux averses normandes, l’auteur virtuel est allé prendre des nouvelles de ses ancêtres amateurs de harengs. C’est que plus le temps passe et plus l’homme se préoccupe de savoir avec qui il partagera les pissenlits par les racines, c’est une loi de l’humanité que plus on vieillit plus on se préoccupe de ses ancêtres. L’éternité, bien qu’un temps relativement indéfini par principe, peut se révéler une période singulièrement longue avant d’être réveillé au jour du Jugement dernier, et tout le monde n’a pas la chance d’aller jouer au vampire ou au mort-vivant pour passer le temps.
Si l’un d’entre vous figure sur cette carte postale, merci de le faire connaître à l’auteur virtuel qui croit avoir reconnu, en chemise blanche, sur le côté gauche, une vague connaissance que l’un de ses aïeuls aurait pu croiser avant de lui tourner le dos
C’est pourquoi il faut se préoccuper de ses ancêtres, prendre de leurs nouvelles et mieux les connaître : la généalogie n’est pas qu’une occupation ludique, c’est une activité prenante, enrichissante et surprenante. On apprend plein de choses avec la généalogie, comme par exemple qu’une certaine cloche dans un clocher tors du Baugeois s’appelle la cloche de la mort, ce qui à la réflexion est tout à fait logique puisqu’à la fin ultime, c’est toujours le glas qui sonne pour nous. Et donc ce qui compte en définitive, c’est que les cloches soient là.
Généalogie simplifiée du christ, image populaire (sources BNF – Gallica)
Mais tout le monde n’a pas hélas la chance d’avoir un généalogiste dans la famille. A quoi sert-il, me demandez-vous. Il tient les archives et conserve les secrets de famille qui peuvent remonter loin dans le temps. Et donc, l’été dernier, l’auteur virtuel est allé consulté le génalogiste de la famille, pour observer les progrès de ces travaux inlassables et épuisants, tels que rechercher des tombes réelles au milieu des cimetières le jour et beaucoup feuilleter des liasses de documents virtuels sur internet la nuit.
Première généalogie des Mérovingiens et Capétiens établie par un moine de Saint-Aubin d’Angers, qui serait la première généalogie non biblique établie au début du XIème siècle (Bibliothèque municipale d’Angers)
Les résultats de ces recherches peuvent être épatants. Croyez-le ou pas, il est tout aussi possible d’agrandir le cercle familial en retrouvant les ascendants qu’en comptant sur la descendance. Car il arrive un moment que côté descendance, même avec la meilleure volonté du monde, on ne puisse plus faire grand-chose, seulement attendre et espérer, parfois se remarier ou adopter pour les plus aventureux ; mais au-delà ce quatre-vingt ans, ce n’est pas forcément raisonnable. alors que côté ascendance, on a parfois de grandes surprises sans y être pour rien.
Généalogie des rois de France, document à la vente de la RMN
Prenez le cas de l’auteur virtuel. Jusqu’à ces dernières années, les recherches d’antériorité concernant la branche maternelle semblaient sans espoir, embourbéees dans le bayou, perdues au milieu des mystérieux enclos de ces étranges églises normandes édifiées en plein champ, sans une maison autour en dehors d’un gardien ayant un vague air de Frankenstein champêtre. Une ancêtre filait le rouet et nous du mauvais coton.
Le raccomodeur de paniers est un métier que l’on rencontre aujourd’hui plus souvent dans les généalogies que dans la rue
Et bien pas du tout, l’espoir renaît de remonter aux origines premières de l’Homme dans la corne de l’Afrique voire l’Afrique du Sud, car étrangement en généalogie, Lucy est notre avenir. Et donc, d’un coup et d’un seul, le généalogiste familial a retrouvé les traces de la dixième génération comme d’autres celles de la Septième compagnie. Longtemps, il en était resté à la neuvième génération qui pour simplifier est née entre 1660 et 1700, pas moins de quarante parents sur la branche généalogique maternelle. Et voilà désormais que ce même arbre généalogique accueille la dixième génération, là encore près de quarante parents nés entre 1626 et 1700, le chef de lignée masculine, Laurent, étant né le 21 avril 1662 alors que celui de la neuvième génération, François, est né le 28 avril 1704, tous deux sous le règne de louis XIV dont on célèbre cette année les quatre cents ans de la fin de son règne.
L’abandon des bébés est le cauchemar du généalogiste.
Bienvenu à François du dix-septième siècle donc, et ses parents, amis et alliés, dans le cercle familial des Vivants. Leurs pensées, leurs vies nous accompagnent d’une façon ou d’une autre, ils sont avec nous, en nous. Ils ont plein de choses à nous apprendre, à raconter qui occuperaient les longues veillées d’hiver s’il n’y avait la télévision, l’internet et les réseaux sociaux pour ignorer leurs exploits.
La marchande de douceurs est le réconfort du généalogiste.
Mais un jour, promis, l’auteur virtuel racontera comment l’un de ces ancêtres, du côté paternel cette fois, a peut être participé au sac du palais d’hiver de Pékin : c’est que le Chinois a intérêt à se tenir à carreau, nous autres les Celtes ne craignions pas de traverser, au nom des lumières clignotantes de la civilisation, les océans et les mers pour terminer à pied le parcours, et assiéger et piller au nom cette fois de la civilisation déclinante. Car si la branche maternelle est normande, celle paternelle est pure celte, enfin plutôt forézienne coupée au beaujolais sans qu’on n’en sache guère plus, il y a beaucoup de mystères dans la généalogie paternelle, tout a brûlé pendant la Révolution, c’est ennuyeux ces mises à sac.
Le triomphe de la mort, tableau de Pieter Brueghel l’Ancien, 16ème siècle
En attendant, pour en revenir à la branche maternelle, nos ancêtres sont Normands et vraisemblablement Vikings amateurs de harengs. Comment-pouvez vous en être certain, me demanderez-vous. C’est tout bête. Dès la troisième génération, celle des grands-parents et antérieurement, ils sont tous nés en Normandie : pour la lignée grand-maternelle, et sur huit générations, autour de Coutances, dans un rayon de dix kilomètres ; et s’agissant de la lignée grand-paternelle, entre Honfleur et Lisieux. Pourquoi voudriez-vous qu’avant 1600, ce constat applicable à quarante personnes par génération change brutalement, nos ancêtres n’avaient pas la bougeotte, ils ignoraient la mobilité pour reprendre le terme technique utilisé de nos jours qui signifie déracinement.
Chiffoniers et Zoniers des fortifications de Paris, autre cauchemar du généalogiste
Pour mieux comprendre ces histoires d’ancêtres, quelques chiffres suffisent. En 1851, 74% de la population française est rurale et vit directement de l’agriculture ou des métiers en relation étroite avec le monde agricole ; en 1851, ils sont encore 68% et 60% en 1901. La baisse de la population rurale s’accélère alors : 51% en 1926, 44% en 1944, ce qui représente tout de même près de la moitié, mais plus seulement que 27% puis 24% en 1975 et 2000, soit un quart qui n’est plus vraiment un quart car une partie de ces ruraux sont des faux ruraux dont l’activité est en relation avec les zones urbaines. ce sont des ruraux péri-urbains, comme du vin coupé à l’eau.
De là à ce que ces ancêtres normands répertoriés et authentifiés permettent de remonter jusqu’aux Vikings, et lesquels, le généalogiste familial a encore pas mal de travail sur la planche. En attendant de retrouver les carnets de famille du seizième siècle et des siècles précédents, ce qui est certain c’est que les zones familiales authentifiées correspondent à des zones de peuplement viking, ce qui permet de passer de la généalogie familiale à l’histoire et au roman familial. Et c’est ainsi que par le roman familial encore plus certain que le roman national, l’auteur virtuel a des ancêtres vikings plus sûrement qu’il n’a des ancêtres gaulois.
Les voyages et l’émigration, autres complications en vue pour le généalogiste (ici « La Gascogne » dans le port du Havre)
S’il faut des preuves, en voici une. L’auteur virtuel se retient régulièrement d’aller aplatir le crâne d’un voisin jouant du cor de chasse la nuit, pour y creuser une chope et y boire du calva, car par Thor et par Odin, il trouve bien pratique de recycler les os de squelette humain au lieu de les mettre dans une boîte pour les enterrer ou incinérer, c’est bien plus durable et écologique, reconnaissez-le.
Le destin d’une fille-mère au XVIIIème siècle
Si cet exemple ne vous convainc pas, qu’à cela ne tienne , les Vikings sont ces ancêtres, un point c’est tout, il les a adoptés tous ces Suédois, tous ces Norvégiens, tous ces Danois, leurs vies, leurs histoires, leur galères appelés drakkars. Et puis maintenant, ils sont bien plus fréquentables depuis qu’ils distribuent tous les ans des Nobel au lieu de perfectionner la dynamite, on en retrouve même dans les îles de la Caraïbe qui s’appellent Suédois ou Danois, ce n’est pas une blaque, c’est authentique, allez à Saint-Barth.
Les révolutions, autres complications pour le généalogiste : ici, la barricade de la rue saint-Maur à Paris pendant la révolution de 1848
Mais me direz-vous d’ou sort cette histoire d’hareng, fine plaisanterie d’auteur virtuel épuisé par les beuveries à jurer par Thor et à travers ? Et bien, figurez-vous que les ancêtres vikings de l’auteur virtuel sont originaires pour partie d’un petit village appelé Lieurey, situé dans le Nord-Ouest de l’Eure, entre Lisieux et Honfleur, pour être précis à 35 km du port normand et 28 km de la basilique. Les Leucoroyaltains sont sur leur butte depuis mille ans, l’apparition de la ville correspondant à celle de l’installation permanente des Vikings dans la région après le traité de Saint-Clair-sur-Epte. Ils prirent l’habitude de fabriquer des rubans pour la mode jusqu’à ce que cette production décline, maintenant que les filles n’en mettent plus dans les cheveux et portent beaucoup moins de chapeaux enrubanés. Ce qui ne les empêche pas, depuis la guerre de Cent ans, de faite la fête le 11 novembre, choix prémonitoire pour célébrer en fanfare la victoire.
Cela ne dit toujours pas pourquoi nos ancêtres vikings sont amateurs de harengs. Attendez un peu, voilà l’explication. Il semblerait que pendant cette guerre de Cent ans, un convoi de harengs soit resté bloqué dans le village en raison d’une bourrasque de neige, et que pour ne pas perdre la marchandise, celle-ci fut vendue sur place. Depuis, chaque année, Lieurey organise une foire aux harengs comportant vente et dégustation qui attire dix mille personnes du monde entier au moins, voire de bien plus loin, et au cours de laquelle un concours du plus grand mangeur de harengs se tient. Voilà une preuve claire de filiation viking.
A Lieurey, tout est « ben » dans le hareng
Cette traditions des foires aux harengs se retrouve dans toute la Normandie, comme par exemple à Etretat. Et petite précision pour le concours : le plus grand mangeur a mangé 1,7 kg de harengs en une heure et remporté, devant 15 autres candidats, le premier prix annuel qui est son poids en poisson, soit 90 kg, avec la coupe sur la balance !
Car si vous doutez encore que les Normands ne tiennent pas des Vikings, c’est que vous ignorez tout de cette espèce de poissons qui appartient à la famille des Clupidae, rien moins. Certes à la différence des Vikings, ils ne migrent pas et ne fracassent pas de crânes, ce qui est assez normal puisqu’ils vivent en bancs dans les eaux froides, principalement en Baltique, mer du Nord ou Atlantique du Nord, mais aussi en mer de Norvège et dans la Tamise. Et qu’il soit frais, fumé, salé, mariné ou saur, le hareng a toujours été sur la table des Vikings, sans compter que, par Thor et par Odin, on peut toujours préférer le rollmops : un hareng enroulé autour d’un cornichon ou d’une choucroute, voilà qui fait la beauté d’une civilisation.
Ceux qui ont croisé ce Viking ont vu leurs perspectives de descendance brusquement s’interrompre
Et c’est pour cela que chaque jour nous devons remercier les Vikings d’avoir inventé cette recette du rollmops même si les Allemands, toujours envahissants, prétendent en être à l’origine : peu importe le créateur d’ailleurs, elle réjouit nos vies qui seraient autrement bien misérables.
Vaisselle viking
NB : merci à Guy le généalogiste sans lequel cet article n’aurait jamais pu voir le jour.