Heureux comme un moine dans son monastère

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Le grand de Gaulle revenu au pouvoir, prétendait qu’il n’avait qu’un seul rival, le petit reporter Tintin qui n’a pour concurrent de son côté que le poète aux semelles de vent, Arthur Rimbaud, l’un sage, les autre rebelles, tous trois immenses voyageurs sur la terre. Il est aussi à noter que les trois personnages fascinent de préférence des hommes de sept à soixante-dix sept ans. Longtemps, le capitaine Haddock fut suspecté d’être le père de Tintin, qui n’est pas plus Rimbaud pour de Gaulle, même si Charleville et Lille ne sont guère distants à dos d’éléphant. Nous sommes cependant en mesure de révéler que le père de Tintin est, aussi surprenant que cela puisse paraître, Arthur Rimbaud, le voyou voyant, et que Tintin, sans Milou, a été conçu à l‘hôpital de la Conception à Marseille dans les premiers jours de novembre 1891. Aux dernières nouvelles, il se pourrait que Rimbaud soit en Australie ou aux Alleghanys, fumant les cigares du Pharaon ou un calumet de la paix, à moins qu’il n’ait été enlevé pour être transporté au Panthéon, et y demeurer plombé dans le sarcophage d’un mythe littéraire digne de la Pyramide de Khéops.

Un jour ou l’autre

Depuis longtemps je me vantais de posséder tous les paysages possibles, et trouvais dérisoires les célébrités de la peinture et de la poésie moderne. J’aimais les peintures idiotes, dessus de portes, décors, toiles de saltimbanques, enseignes, enluminures populaires ; la littérature démodée, latin d’église, livres érotiques sans orthographe, romans de nos aïeules, contes de fées, petits livres de l’enfance, opéras vieux, refrains niais, rythmes naïfs. Je rêvais croisades, voyages de découvertes dont on n’a pas de relations, républiques sans histoires, guerres de religion étouffées, révolutions de moeurs, déplacements de races et de continents : je croyais à tous les enchantements. J’inventai la couleur des voyelles ! – A noir, E blanc, I rouge, O bleu, U vert. – Je réglai la forme et le mouvement de chaque consonne, et, avec des rythmes instinctifs, je me flattai d’inventer un verbe poétique accessible, un jour ou l’autre, à tous les sens. Je réservais la traduction. Ce fut d’abord une étude. J’écrivais des silences, des nuits, je notais l’inexprimable. Je fixais des vertiges. [Arthur Rimbaud, l’Alchimie du verbe]

A Daniel S, moine marin, navigateur hors pair, sur terre sur mer comme au ciel

L’inexprimable

La tempête a passé. Longue, brutale, violente. Douze brèves et terribles années. Et encore plus, quand cette tempête se lève par deux fois et en même temps pour la traverser auprès de ses parents, Jo et Geneviève, Jo le médecin des douze villages, et Geneviève dont nous ignorions qu’elle vécut douze ans sur les falaises d’Etretat, ces falaises de Normandie identiques à celles de marbre, admirablement décrites par Ernst Junger, l’officier occupant occupé à écrire.

Alzheimer n’est pas que terrible, une fois le décor planté, les scènes répétitives à l’infini, la tristesse qui vous submerge. Il y a aussi une loi, la loi d’Alzheimer qui n’est rien d’autre que la loi de l’Amour. Aimez vos parents, vos proches et toutes autres personnes atteintes et détruites de l’intérieur, puis de l’extérieur par la destruction lente et consumée de la mémoire vive, lointaine, sérialisée. Aimez-les simplement, tout simplement de toute votre force: ce n’est pas difficile et parfois même drôle, rejetez toute tristesse et tous pleurs, il vous sera rendu au centuple, jusqu’à l’infini des souvenirs réveillés. Vous recevrez en héritage toute la mémoire du monde, y compris celle du moine dans un monastère qu’aurait voulu être mon père à la fin de sa vie. Heureusement, Dieu n’a pas voulu, preuve de son existence!

Ayant toujours eu une grande admiration pour Honoré de Balzac, amoureux de la léthargique Touraine, passant souvent devant le château de Saché où il séjourna régulièrement, appréciant aussi les Mystères de Paris, l’œuvre romanesque d’Eugène Sue, qui demeure méconnue, j’avais toujours rêvé de publier en feuilleton quelques travaux littéraires, un roman de préférence. L’évolution des techniques numériques aidant, j’étais d’autant plus décidé à le faire, que les contraintes de publication correspondaient aux objectifs d’écriture  pour une histoire de cape et d’épée, permettant d’envisager d’en terminer en dix ans, en juin 2024. Alzheimer en a décidé autrement. Ce n’est que partie remise, mais laquelle?

Toute la mémoire du monde

Cet objectif ambitieux s’accompagnait d’un projet de publication en feuilleton, destiné à bousculer une nonchalance naturelle en matière littéraire qui me conduit à préférer la balancelle dans un jardin d’hiver ou me retrouver sous une tonnelle l’été. Je n’appartiens pas à cette étrange corporation qui attache  de l’importance à l’écriture et qui considère que le métier d’écrivain soit une activité de premier ordre. Seule compte l’œuvre qui devient autonome dès lors que la rédaction l’a fait surgir du néant. C’est en cela qu’être feuilletoniste est intéressant. L’oeuvre prend forme instantanément par la seule publication régulière des textes au fur et à mesure de l’écriture.

Pour revenir à Balzac, celui-ci a écrit : à Saché, je suis libre et heureux comme un moine dans son monastère… Le ciel est si pur, les chênes si beaux, le calme si vaste ! Pour ma part, j’écris en un lieu où le ciel n’est pas pur, où je n’aperçois aucun chêne et où le calme est régulièrement interrompu par les sirènes stridentes de pompiers qui ont leurs légitimes obligations d’urgence.

Mais nous avons en commun le fait que Balzac écrivit en ce lieu un magnifique roman d’amour, le Lys dans la vallée , après que de mon côté j’eusse tenté d’écrire un interminable et inexprimable roman, qui n’est que l’histoire d’un improbable roman d’amour contrarié, tout au long de mille pages et plus. De son côté, La Tempête n’était qu’une longue histoire d’amour impossible, à l’image de la France qui depuis plus de deux siècles étreint la liberté avec forces embrassades fraternelles pour mieux l’étouffer au nom de l’égalité.

Quant à notre pauvre Rimbaud qui nous sert d’avant-garde, les premiers paragraphes de l’Alchimie du verbe, ne sont que la description d’une brocante, celle de toute mémoire, le recueil des choses qui nous entoure et dont nous n’emporterons rien, la faculté de l’inutile dont il nous appartient d’en transmettre les traces aux générations suivantes. Mais si nous souhaitons le faire, comme Rimbaud qui n’était pas un vagabond aux semelles de vent mais un voyageur ailé sur la terre, il nous faut tout simplement, veiller à être heureux comme un moine dans son monastère, un moine bénédictin ou capucin, un moine qui étudie : J’écrivais des silences, des nuits, je notais l’inexprimable. Je fixais des vertiges.

L’alchimie de voyelles et de couleurs de Rimbaud n’est pas celle d’un simple poète, ou d’un prétendu génie littéraire mais l’outil d’un scientifique autodidacte, ayant découvert les principes de base de la création, la rythmique de la vie, les fondamentaux de toutes choses et tous ordres, jusque dans la conjugaison en langue française, qui s’apprend clairement et simplement un jour ou l’autre, comme les couleurs, les voyelles et les sens: A, JE; E, TU; I, IL; O, NOUS; U, VOUS; Y, ILS.

Notes de l’auteur d’enfer et damnation

Alors que le roman initial devenu A la poursuite des lettres d’ivoire, était constitué de 12 livres +6, décomposés en 366 chapitres, « la Tempête » devait comporter 6 livres structurés en 144 chapitres ayant pour modèle le jeu de Mah-Jong, qui comporte 144 « tuiles« , ou le Zodiaque aux 144 « maisons« , tuiles et maisons s’emboîtant en des correspondances et intelligences secrètes.

A l’origine, « la Tempête », était un récit inscrit dans l’histoire, constituait l’un des volets de « L’Œuvre d’une vie » : alors que Roman d’espoir devenu A la poursuite des lettres d’ivoire, s’inscrivait au présent, dans les temps actuels ; La Tempête, en revanche, se déclinait au passé, dans les temps anciens, révolus, sur une période comprise entre les années qui précèdent la Révolution française, sous l’Ancien régime, et celles qui succèdent à l’Empire, pendant la Restauration. « L’oeuvre d’une vie », titre provisoire,  était loin d’être aboutie. Le titre aurait pu être « Le projet OCCGIC », un acronyme un peu mystérieux, qui s’est révélé de lui-même voilà bien plus d’une décennie.

Il ne faut rien oublier. Et revenir toujours à l’essentiel. La mémoire! Notre mémoire, celle des autres, qui ensemble reconstituent toute la mémoire du monde, l’immense et inexprimable grange des neurones captifs, toujours possible d’être ensemencés pour moissonner un jour ou l’autre notre vie avant qu’elle ne nous quitte.

Sur les chemins de Magdala

Rimbaud en Australie

Rimbaud et les Alleghanys

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Ce fut d’abord une étude. J’écrivais des silences, des nuits, je notais l’inexprimable. Je fixais des vertiges

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