A l’univers entier, le dernier cri du désespoir et de l’innocence

Louis Delgres - Grand homme de Guadeloupe

L’esclavage est une de ces institutions qui durent mille ans si personne ne s’avise de demander pourquoi elle existe, mais qu’il est presque impossible de maintenir le jour où cette demande est faite. Voici ce qu’écrit Alexis de Tocqueville en 1839 en tant que rapporteur de la commission relative aux esclaves des colonies. L’auteur De la démocratie en Amérique est farouchement convaincu que l’esclavage est un scandale en soi et un fléau pour la société, militant pour son abolition immédiate d’autant  que les Anglais ont émancipé les Noirs des colonies britanniques le 1er janvier 1838. Il faudra dix ans de plus pour que l’abolition devienne réalité, et alors même qu’une première émancipation était intervenue un demi-siècle plus tôt par la Convention nationale. On ne dira jamais assez le mal absolu causé par Bonaparte de rétablir l’esclavage en 1802.

306.362 TOC - Sur l'esclavage / A. De Tocqueville. "Sur l'esclavage Dans la première moitié du XIXe siècle, alors que la plupart des pays du Nouveau Monde renoncent à l'esclavage et que l'Angleterre l'abolit à son tour, la France ne semble pas pressée de mettre fin à une pratique profondément ancrée dans les colonies, mais qui paraît bien abstraite vue de Paris. "

Le 4 février 1794, la convention nationale sur proposition de l’abbé Grégoire avait aboli l’esclavage dans les colonies françaises, faisant ainsi droit à  la Société des amis des Noirs qui depuis 1788 militait pour mettre fin à la traité négrière autorisée depuis 1635 et abroger le code noir en vigueur depuis 1685.

Réjouissances à l'annonce de l'abolition de l'esclavage. 30 pluviôse an II / 18 février 1794.

Réjouissances à l’annonce de l’abolition de l’esclavage, le 16 pluviôse an II (4 février 1794)

Mais le Premier consul de la République Napoléon Bonaparte sous la pression des planteurs créoles des Antilles françaises, défendus par Joséphine de Beauharnais, rétablissait le 28 mai 1802, l’esclavage dans ces mêmes colonies françaises.

1808 Empress Joséphine by Baron Antoine-Jean Gros  Musée d'Art et d'Histoire at Palais Massena, Nice France

Joséphine de Beauharnais, créole martiniquaise esclavagiste, impératrice de France, tableau du Baron Gros, 1808, musée des Beaux-Arts Masséna de Nice

Cette décision consulaire va conduire à perpétuer  la traite négrière 16 ans de plus et maintenir  l’esclavage pendant quarante-six ans, jusqu’à ce que deux cent cinquante mille personnes bénéficient de l’abolition définitive par le décret du 27 avril 1848.

L’abolition de l'esclavage par la Convention, le 16 pluviôse an II / 4 février 1794.

Décision de la Convention d’abolir l’esclavage le 16 pluviôse an II (4 février 1794) 

Dans l’immédiat, le rétablissement de l’esclavage dans la colonie de Guadeloupe va être à l’origine d’une tragédie entrée dans l’histoire des Antilles, tragédie largement méconnue en France métropolitaine : sous l’impulsion de Louis Delgrès, un officier demeuré fidèle aux idéaux révolutionnaires, une partie de l’armée en place dans l’île va en effet s’opposer aux troupes du général Richepance, envoyées par Napoléon Bonaparte pour restaurer l’autorité de la France sur l’île menacée de tomber sous l’influence britannique, et par la même occasion rétablir l’esclavage.

Louis delgres : Louis Delgrès né le 2 août 1766, à Saint-Pierre et mort le 28 mai 1802, à Matouba (commune de Saint-Claude) en Guadeloupe est une personnalité de l'histoire de la Guadeloupe. Colonel d’infanterie des forces armées de la Basse-Terre, abolitionniste, il est connu pour la proclamation antiesclavagiste signée de son nom, datée du 10 mai 1802, haut fait de la résistance de la Guadeloupe aux troupes napoléoniennes.

Buste de Louis Delgrès, héros de l’abolition de l’esclavage (1766-1802)

Louis Delgrès est un homme né libre de couleur, d’un blanc créole martiniquais, receveur du Roi à Saint-Pierre puis à Tobago. Il entre dans l’armée royale en 1783 où il devient sergent puis poursuit sa carrière dans les armées révolutionnaires, se battant contre les Anglais dans différentes îles des Antilles. Courageux et combatif, il est nommé tour à tour lieutenant, capitaine, commandant avant d’être envoyé par la Convention en 1799 en Guadeloupe, où il devient en octobre 1801 aide de camp du capitaine-général de Lacrosse. Ce dernier, un mois plus tard est emprisonné puis chassé de Guadeloupe, se réfugiant dans l’île voisine de la Dominique. Delgrès se rallie aux rebelles, devient chef militaire de l’arrondissement de Basse-Terre, lorsque l’escadre transportant les troupes envoyées par le consul Bonaparte est annoncée.

Fort St. Charles, Basse-Terre, Guadeloupe, Lesser Antilles, West Indies

Fort Delgrès, ancien fort Saint-Charles à Basse-Terre, Guadeloupe

C’est le moment que choisit Delgrès pour publier, le 10 mai 1802, le manifeste du créole martiniquais Monnereau à l’univers entier, le dernier cri de l’innocence et du désespoir.

Delgres Monnereau Vivre libres ou mourir - Louis Delgrès — Wikipédia

Décidé à résister aux troupes du Général  Richepance qui viennent de débarquer à Basse-Terre, Delgrès accompagné de trois cent hommes fidèles à la devise révolutionnaire Vivre libre ou mourir, se réfugie au fort Saint-Charles de Basse-Terre où les rebelles se retrouvent encerclés. S’enfuyant par la poterne qui mène à la rivière du Galion, ils rejoignent alors, en remontant la rivière, les hauteurs de Basse-Terre, à Matouba, au pied même du volcan de la Soufrière.

Pont du Galion à Basse-Terre en Guadeloupe construit sous Louis XIV

Pont du Galion à Basse-Terre, construit sous le règne de Louis XIV, dont la construction fut la plus coûteuse du royaume

Pourchassés par les troupes de Richepance, l’arrière-garde ayant été balayée, sans aucune perspective de renverser la situation militaire, c’est sur ces hauteurs de Matouba à l’habitation Danglemont, que Delgrès et ses compagnons décident de se suicider à l’explosif, le 28 mai 1802.

Rivière rouge à matouba, st-claude. Guadeloupe

La rivière Rouge à Matouba, Basse-Terre, en Guadeloupe

De son côté, le général Richepance, respectant les ordres donnés par le consul Bonaparte, rétablit immédiatement l’esclavage sur toute la Guadeloupe, exécutant plusieurs centaines d’anciens esclaves devenus hommes libres qui refusent de revenir à leur état antérieur d’esclaves, huit ans après l’abolition intervenue en 1794. Cette implacable restauration de l’esclavage est une décision qui jette sur le règne de Bonaparte un voile immense de cruauté, rarement évoquée, précédant de deux ans le sacre de l’Empereur et de trois ans Austerlitz.

la mulâtresse Solitude, une véritable légende! La mulâtresse Solitude serait née en 1772 et assassinée en 1802. (Mulatre viendrait de l'espagnol, ce qui signifierait "mulet", encore une insulte envers le peuple noir)!  Solitude serait née en 1772, d'un viol subi par sa maman dans le bateau négrier qui l'emportait aux Antilles! Sa mère s'étant enfuie de l'exploitation où elle avait été acheté, elle vécue avec elle durant 8 années!  A l'adolescence elle prit le parti de lutter contre l'esclavage en devenant, "neg mawon"! Quand Napoléon rétablit l'esclavage, elle lutta avec ardeur contre les troupes de l'empereur. Elle assista impuissante aux morts héroïques d'Ignace et de Delgrès.  Les blancs de l'époque qui la pourchassait, la décrivait comme une négresse folle! Elle lutta jusqu'au bout avec les rebelles, de toutes ses forces contre l'oppresseur, enceinte, elle n'abandonna rien de ses convictions!  Capturée, elle fut exécutée le 29 novembre 1802, le lendemain de son accouchement!

La mulâtresse Solitude, héroïne guadeloupéenne

Outre Louis Delgrès, il est une autre légende de cette rébellion qui demeure largement méconnue hors des Antilles.  Il s’agit de la mulâtresse Solitude, qui serait née en 1772 d’un viol subi par sa mère dans le bateau négrier qui l’emportait aux Antilles et qui fut assassinée en 1802, après le suicide collectif de Matouba.

GUADELOUPE LE SAUT DE  MATOUBA

Le saut de Matouba, Basse-Terre, Guadeloupe

Mulâtresse viendrait de l’espagnol, mulâtre signifiant « mulet », terme insultant pour désigner les personnes nées d’une femme noire et d’un homme blanc.  La légende raconte  que sa mère se serait enfuie de l’exploitation coloniale où elle travaillait après avoir été achetée, Solitude vivant avec elle durant 8 années dans la forêt.  A l’adolescence Solitude prit le parti de lutter contre l’esclavage.

Les esclaves n’avaient pas seulement obligation de travailler dans les plantations, ils devaient aussi distraire leurs propriétaires, en danse, par la musique ou des jeux.

Quand Napoléon rétablit l’esclavage, Solitude rejoignit les troupes rebelles pour lutter contre celles de l’empereur.  Les blancs de l’époque qui la pourchassaient, la décrivaient comme une folle. Elle lutta jusqu’au bout avec les rebelles, de toutes ses forces bien qu’elle fut enceinte, n’abandonnant rien de ses convictions. Elle aurait cherché la même mort héroïque que Delgrès, par le suicide collectif à l’explosif. Ayant survécu à l’explosion, elle fut capturée et exécutée par pendaison le 29 novembre 1802, le lendemain de son accouchement.

Plan d’une habitation aux Antilles au XVIIIème siècle

Quant à Bonaparte l’esclavagiste,  devenu l’empereur Napoléon, il poursuivit sa carrière criminelle en bataillant sans cesse, multipliant conflits et guerres, transformant l’Europe en un immense cimetière de soldat et de civils. La France qui aime la violence en tant que telle, lui a érigé un tombeau à l’hôtel des Invalides ce qui est à la réflexion, une double insulte à l’intelligence.

Napoleon's Tomb, Hôtel des Invalides, Paris, France

Tombeau d’un despote qui devrait être vidé pour devenir le tombeau de l’esclave inconnu

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