Le vandalisme ne s’est pas arrêté aux seules portes des châteaux et des abbayes sous la Révolution française. Il a aussi frappé les joyaux de l’architecture d’Occident que sont les cathédrales gothiques, menaçant même de destruction Notre-Dame de Paris dont il fut un temps envisagé de la démolir pierre par pierre, ce qui fut le sort réservé à plusieurs sièges épiscopaux en province. Là où des hommes de foi avaient mis entre un à trois siècles pour construire des chefs d’oeuvre, leur destruction n’exigea le plus souvent que quelques années de la part des nouveaux barbares des temps révolutionnaires.
Commençons par la plus illustre des cathédrales, Notre-Dame de Paris. Nombreux sont ceux qui connaissent le sort réservé à la galerie des vingt-huit rois de Juda et d’Israël qui ornait le tympan occidental. Les révolutionnaires, dans leur ignorance sans-culotte, croyaient qu’il s’agissait de la galerie des rois capétiens. Il fut décidé de mettre à bas les statues et de les briser après avoir symboliquement décapité les têtes. Vingt-et-une d’entre elles furent emmenées par un acquéreur qui les enterra dans un terrain loin de Notre Dame, où elles furent retrouvées par hasard derrière l’Opéra, en 1977, lors de travaux immobiliers. Elles sont exposées aujourd’hui au musée national du Moyen-âge de Cluny (voir photo ci-dessus). Le vandalisme ne s’en prit pas seulement à la galerie des rois. Toutes les statues furent détruites, le mobilier, les tapis, les objets de culte, tableaux, tentures dispersés, les autels brisés et le trésor pillé.
Dédiée un temps au culte de la Raison à partir de novembre 1793 en même temps que le culte catholique était interdit (voir illustration ci-dessus), Notre-Dame fut transformée peu de temps après en un simple entrepôt. Rendue au culte chrétien en 1802 dans le cadre du Concordat, le piteux état de l’édifice fut masqué par des décors lors du sacre de Napoléon le 2 décembre 1804, avant que les drapeaux de la bataille d’Austerlitz n’y soient exposés pour cacher la misère des murs. Le délabrement était tel qu’il fut envisagé un temps de détruire entièrement Notre-Dame : Saint-Simon, l’économiste et philosophe bien connu, proposa d’acheter les toits, avant de soumettre un texte législatif et une offre de rachat pour la démanteler pierre par pierre.
Le sacre de Napoléon à Notre-Dame le 2 décembre 1804, par David. Les décors et tentures masquent le délabrement des murs
On doit à Victor Hugo et son célèbre roman Notre-Dame de Paris popularisé par ses personnages mondialement connus aujourd’hui d’Esméralda et du Bossu Quasimodo, la sauvegarde de l’édifice. Son roman publié en 1831, rendit d’autant plus impossible la destruction que le romantisme magnifiait alors l’esprit des ruines. Lassus et Viollet-le-Duc qui avaient oeuvré à la Sainte-Chapelle, furent retenus à la suite de l’appel d’offres lancé en 1844 pour la restauration qui dura vingt ans et dont un volet comportait la reconstitution d’une centaine de statues de pierre situées à l’extérieur, auxquelles Viollet-le-Duc eut le génie contesté d’ajouter les célèbres chimères contemplant Paris, en même temps que le parvis était dégagé dans le cadre des travaux de transformation de la ville de Paris menés par le baron Haussmann.
Galerie des rois de Juda restaurée par Viollet-le-Duc au XIXème siècle
Et c’est ainsi qu’aujourd’hui Notre-Dame de Paris accueille quatorze millions de visiteurs par an, ce qui en fait le monument de France et d’Europe le plus visité, et l’un des plus célèbres au monde. Et que nous sommes redevables au génie de Victor Hugo d’avoir sensibilisé ses contemporains au Moyen-âge et à la grandeur de l’art gothique.
Mais toutes les cathédrales n’ont pas eu la chance de survivre aux massacres de pierres perpétrés par les révolutionnaires.
Ruines de la cathédrale Saint-Etienne d’Agen en 1835
Vendue en 1798, la cathédrale Saint-Etienne d’Agen édifiée au XIIIème siècle, devient une carrière de pierres dont une partie servit à la construction de la digue le long de la Garonne. les ruines ne disparaîtront définitivement qu’en 1836 à l’occasion de la construction d’une halle au blé.
Ancienne cathédrale d’Arras, avant sa destruction totale en 1804
La cathédrale Notre-Dame-en-cité d’Arras subit un sort identique. Vendue à un marchand de biens hollandais qui la transforma en carrière, elle fut rasée en 1804 après le refus de Napoléon de financer sa restauration, ce dernier décidant d’affecter l’ancienne abbatiale saint-Vaast en tant que cathédrale. Les lieux un temps transformé en jardins, une nouvelle église sera reconstruite sur les ruines de l’ancienne cathédrale, à partir de 1836, sur le modèle de saint-Philippe-du-Roule à Paris.
La cathédrale d’Avranches avant et après sa destruction
La cathédrale Saint-André d’Avranches, reconstruite au début du XIème siècle sur le site d’une précédente cathédrale remontant au VIème siècle, était en fort mauvais état lorsqu’elle fut confiée au culte constitutionnel en octobre 1791. Des travaux hasardeux d’aménagement du jubé engagés en 1794, aboutirent au résultat inverse de l’effondrement d’une partie des voûtes du choeur en 1796. Dans le même temps, dans le cadre de la vente des biens nationaux, les toits étaient enlevés, conduisant à la ruine entière de l’édifice dont la nef finit par s’effondrer en 1812 ainsi que la tour abritant une grande horloge.
Ancienne cathédrale de Boulogne-sur-mer (vers 1570)
De la cathédrale gothique de Notre-Dame de Boulogne-sur-mer, construite vers 1100, ne subsiste que la crypte médiévale, l’une des plus vastes de France. Lieu de pélerinage réputé pour la guérison des Ardents, la cathédrale fut vendue comme bien national sous la Révolution et entièrement détruite en 1798. Le diocèse ayant été dissous en 1801 et rattaché à Arras, un certain abbé Haffreingue décida de construire selon ses propres plans, et à partir de 1827, une nouvelle basilique dénommée aujourd’hui Notre-Dame-de-l’Immaculée-Conception.
La cathédrale de Cambrai avant sa destruction
Edifiée au XIIème siècle, la cathédrale Notre-Dame de Cambrai était réputée pour sa Merveille des Pays-Bas, une flèche de pierre pyramidale culminant à 114 mètres du sol. La construction de l’ensemble de l’édifice avait demandé plus de trois siècles, 324 ans exactement ; sa destruction ne demanda que 13 ans. Affectée au culte de la raison en 1791, transformée en magasin de vivres, elle est vendue à un marchand de biens nationaux en 1796 qui la transforme en carrière. La démolition intervint au rythme des ventes de pierres jusqu’à l’effondrement de la flèche en 1809 lors d’une tempête. Des ruines subsitaient encore en 1816.
Elle est aussi aujourd’hui disparue la cathédrale Vieux-Saint-Vincent de Mâcon, un temps transformée en temple de la raison en 1793 avant d’être démolie en 1799, à l’exception de la façade seule restée debout (voir illustrations ci-dessus).
De la cathédrale Notre-dame de Tulle, construite au XIIème siècle, il ne reste plus qu’une nef, le choeur et le transept ayant disparu en 1796, à la suite de l’effondrement de la coupole qui les surmontait (voir illustration ci-dessus). Après avoir été pillé, l’édifice a été transformé en 1793 en magasin de fourrage puis en fabrique de canons.
De leur côté, les révolutionnaires wallons ne furent pas en reste, détruisant entièrement la cathédrale Notre-Dame-et-Saint-lambert de Liège, dont une scénographie mélancolique rappelle l’immensité de l’ancien édifice épiscopal situé alors place Saint-Lambert, au coeur de Liège. Cette cathédrale était l’une des plus vastes d’Europe si ce n’est la plus grande, avec une flèche haute de 135 mètres, trois nefs, deux transepts, deux choeurs un cloître, d’innombrables chapelles et un palais épiscopal. La première cathédrale construite au VIIIème siècle était carolingienne. Plusieurs fois endommagée par des guerres, le feu la détruisit entièrement à la fin du XIème siècle. A la place fut reconstruite la cathédrale de style gothique qui exigea 325 ans de travaux.
L’essentiel de la destruction commencée par les révolutionnaires en 1794, ne demandera pas plus de dix ans, en débutant par le plomb des toits pour en faire des armes et munitions, puis en continuant par la grande tour en 1795 et les tours occidentales en 1803, le terrain étant alors nivelé pour devenir une place impériale un temps dédiée à la gloire éphémère de Napoléon. Mais quinze ans seront encore nécessaires pour déblayer les ruines.
Place Saint-Lambert de Liège vers 1900, à l’emplacement précis de la cathédrale
Pour conclure provisoirement sur ce vandalisme révolutionnaire dévastateur, ses effets se prolongent encore aujourd’hui bien au-delà des simples destructions de monuments et des tombeaux. L’acharnement mis à détruire les monuments et faire disparaître les vestiges de mille trois cents ans de l’histoire du royaume de France s’est prolongé au cours des deux siècles qui ont suivi pour effacer de notre mémoire tous les aspects historiques qui ont précédé la Révolution française, engendrant une véritable amnésie nationale. En pillant, en saccageant et en vandalisant, les révolutionnaires ont réussi leur entreprise terroriste, car aujourd’hui, que ce soit les rois mérovingiens, carolingiens ou capétiens, tous ont perdu la tête au sens figuré, disparaissant progressivement des livres d’histoire de nos enfants alors qu’ils ont édifié et gouverné le royaume de France pendant treize siècles, et que sans eux la France ne serait certainement pas ce qu’elle est aujourd’hui, tant en termes de territoire, de langue que d’administration.
Violation des sépultures des rois de France à la basilique de Saint-Denis en octobre 1793
Chargé par la convention d’un rapport sur les destructions, en juillet 1794, juste après le 9 Thermidor, l’abbé Grégoire inventa le mot vandalisme, précisant : encore les vandales n’avaient-ils pas commis autant de méfaits…. Il y a de quoi verser des larmes de sang sur la perte de tant de chef d’oeuvre, ajouta-t-il. L’abbé Grégoire qui avait une part de responsabilités dans la mise en oeuvre de la Révolution tenta dans ce rapport de faire porter les responsabilités principales sur les Montagnards, ce qui en l’espèce se révéla une manoeuvre pour dédouaner la Révolution de faits largement antérieurs à la prise du pouvoir par Robespierre.
Le Stryge de pierre, démon fabuleux contemplant Paris du haut des tours de Notre-Dame, photographie de Charles Nègre, 1853
Ce sont ces mêmes larmes de sang que toutes les personnes du monde entier éprises de culture et de beauté versent, quand elles apprennent la destruction des chefs d’oeuvre des sites et musées archéologiques du Moyen-Orient. Les vandales sont de retour, commettant les mêmes méfaits pour les mêmes motifs, avec une différence cependant qui est sans importance en termes de résultats désastreux. Les vandales de la Révolution française commettaient leurs crimes culturels au nom du progrès alors que les vandales islamiques actuels les commettent au nom du Coran, ces deux vandalismes ayant en commun leur haine de l’art, et notamment celui de l’art chrétien.
Alexandre Lenoir est le fondateur du musée éphémère des monuments français ouvert au public en 1795, au couvent des Petits-Augustins, qui ferma en 1816 mais fut le précurseur du musée des monuments nationaux ouvert en 1879 au Trocadéro . Après le décret de la Convention du 1er août 1793 décidant de la destruction des tombeaux des anciens rois de France, il s’acharna à sauver tombeaux et monuments du vandalisme, notamment à Saint-Denis et Sainte-Geneviève, réussissant à sauver d’innombrables statues et gisants qui appartiennent aujourd’hui encore au patrimoine national (voir photo Gallica/BNF ci-dessous).
Un patrimoine de l’Univers sauvé de la fureur humaine et du Temps par A. Lenoir, un bienfaiteur de l’humanité