A la recherche du cercle vertueux budgétaire disparu

 

Je hais le mouvement qui déplace les lignes : Rien de mieux que ce vers de Baudelaire extrait du poème Beauté appartenant au recueil des Fleurs du mal, pour résumer en un alexandrin quarante ans de politiques économiques fondées sur la ligne défensive des acquis, tout comme dans l’entre-deux-guerres,  la stratégie militaire française se limitait à se réfugier derrière la ligne Maginot. Dans la « guerre » économique mondiale, les Français, bousculés par les transitions démographiques en cours, ont choisi de mener leur drôle de guerre, sans considération d’un monde qui change où chaque Etat, chaque individu cherche à conserver ou trouver, dans un monde de plus en plus peuplé, une place de convive à la table étroite et pliante de la prospérité.

Retrouver le mouvement,  mobiliser les forces vives de la nation, passer à « l’offensive » économique, tels devraient être les mots d’ordre d’une politique économique renouvelée ayant pour premier objectif de rechercher le plein emploi en faisant confiance à la jeunesse dont on ne peut accepter qu’elle soit laissée perpétuellement au bord de la route. Cela dit, les mots d’ordre ne servent à rien en dehors des sociétés staliniennes ou maoïstes ringardes. Ce qui compte c’est la réalité économique et sociale, faire preuve de pragmatisme pour justement retrouver ce mouvement qui déplace les lignes de l’emploi et dissiper l’actuel cauchemar de pierre du chômage massif.

L’hôtel Salé dans le quartier du Marais à Paris abrite le musée national Picasso 

Comment s’y prendre ? Eloignons un instant les économistes fâcheux et journaleux aux grandes attitudes, tous ces dociles amants des politiques pour citer une nouvelle fois Baudelaire, et qui à longueur de journées médiatiques justifient l’immobilisme et vous expliquent le plus sérieusement du monde que plus de déficit public, plus de dépenses publiques, plus de prélèvements obligatoires, plus d’endettement public n’ont rien à voir avec le fait qu’il y a plus de chômage, que c’est un pur hasard depuis quarante ans et qu’il faut continuer à creuser notre tombe économique et sociale, c’est merveilleux le métier de fossoyeur public, cela sent bon l’humus des terres déficitaires !

Plan du centre Georges Pompidou à Paris

Or, tout ce qu’il faut, c’est un peu de détermination et d’imagination, avec des idées simples pour résoudre des équations compliquées, histoire cette fois de paraphraser Charles de Gaulle lorsque vers l’Orient compliqué il s’envola avec des idées simples. Soyons clairs, les ordinateurs de Bercy ne servent à rien en matière de décision, sauf à embrumer, enfumer et patauger. On ne peut compter sur eux pour développer une stratégie de mouvement, fondée sur la réduction de la dépense publique et le dégraissage de la dette dans un premier temps.

Vénus et les trois grâces offrant des présents à une jeune fille, fresque de Botticelli, musée du Louvre, Paris

1. Rétablir le plus vite possible les grands équilibres des comptes publics, sans remettre au lendemain les décisions difficiles

De la détermination, dans un pays comme la France où l’excès est la nature même de ce peuple convulsionnaire, il en faut pour rétablir les grands équilibres des comptes publics. Pourtant le chemin n’est pas celui d’un marathonien même s’il s’agit d’un labyrinthe aux bosquets épais. Dans un premier temps, en deux temps et trois mouvements, il faut diminuer de deux à trois points la dépense publique pour retrouver un excédent primaire hors charge d’intérêt de la dette. Puis, dans la foulée, il faut diminuer de 2 à 4 points la dépense publique à nouveau, soit au total 6 points sur 57, pour revenir sous la barre des 50% du PIB. La dépense publique ayant augmenté de 21 points entre 1975 et 2015, c’est moins d’un tiers du mouvement irrésistible de hausses successives ponctionnées sur le revenu disponible des entreprises et des particuliers qu’il faut restituer aux agents économiques privés .

Salle des gardes, musée Condé, domaine de Chantilly

Le tableau ci-après résume la situation invraisemblable de la dépense publique française comparée à celle de l’Allemagne : 11,7 points supplémentaires pour l’année 2012, soit 25% de plus de dépense publique, dont la moitié de la dérive concentrée sur la protection sociale et la santé : la messe est dite  (NB : rien n’a changé s’agisssant du niveau des dépenses en 2015 pour laFrance)


Par où commencer ? Tout simplement par les comptes sociaux qui représentent aujourd’hui le tiers du PIB annuel, et dont on n’arrive pourtant plus à les sortir du déficit. Les dépenses de santé, retraite et solidarité familiale atteignent plus de 700 milliards d’euros ; et pourtant, chaque année désormais il traîne un déficit, de l’ordre de 9,5 milliards pour 2014, qui pour être comblé nécessiterait des mécanismes d’ajustement permanent à court terme en jouant à la marge sur les dépenses de l’année suivante, par répercussion sur les niveaux de financement des contributeurs, des rémunérations des professionnels et des prestations accordées, le comblement automatique étant en l’espèce d’1/70ème. Le mouvement ayant été enclenché, il pourrait se poursuivre en un effort structurel pour réduire d’un dixième les dépenses sociales en les cantonnant au niveau de 30% qui est celui de l’Allemagne, au lieu de 33,4% actuellement. Le report de l’âge légal de la retraite à 65 ans puis 66 ou 67 ans d’ici 2020 à 2022, toutes générations confondues, contribuerait de façon décisive à ce mouvement.

Impression soleil levant, 1872, oeuvre de Claude Monet exposée au musée Marmottan à Paris

S’agissant des collectivités territoriales, longtemps leurs comptes ont été légèrement excédentaires. Le déficit est survenu avec la prolifération des structures territoriales et le transfert anarchique de missions de l’Etat en même temps que les créations d’emploi au niveau local se multipliaient pour des raisons purement électoralistes. Une simplification radicale des institutions territoriales conduisant à une rationalisation des structures, y compris des mandats électifs, permettrait de mettre fin à cette jungle locale qui a tranformé tout le territoire en duchés, baronnies et comtés où ferraillent les élus accompagnés de leurs obligés. Dans le même temps, il devrait être mis fin aux recrutements discrétionnaires d’emplois d’exécution pour procéder à une gestion mutualisée des effectifs territoriaux à l’échelon départemental des catégories B et C de la fonction publique. Il faut en finir avec le clientèlisme local qui ruine le pays.

La gare Saint Lazare, oeuvre de Claude Monet, 1877 musée Marmottan

Concernant l’Etat, les efforts sont autrement plus difficiles à entreprendre tant les dépenses aujourd’hui sont concentrées dans les domaines que sont l’éducation et la recherche, la défense, la sécurité et le remboursement de la dette. La solution passe par le transfert aux collectivités territoriales des dépenses de l’éducation et de la recherche y compris le personnel. Mais là, il y faut plus que de la détermination ou de la volonté, il faut convaincre les personnes concernées, professeurs, syndicats d’enseignants, parents d’élèves qui sont à mille lieux d’envisager une telle réforme. Rien que la proposition d’organiser une réunion sur le sujet suscitera le rejet immédiat, l’appel à la grève et à la rue. La solution est d’organiser une réforme d’envergure de l’éducation nationale qui serait soumise à référendum national  comportant notamment des dispositions telles que la prolongation de l’obligation scolaire jusqu’à l’âge de 18 ans, la création d’un service civique pour tous, l’obligation de formation en alternance sur deux, tois ou quatre ans entre 16 et 24 ans, le rattachement des missions locales à un système éducatif rénové, la création de « fondations écolières libres » sur le modèle suédois des « free schools » financé par l’Etat, les collectivités territoriales , les entreprises et même les particuliers en mode participatif.

Le train dans la neige, oeuvre de Claude Monet, 1875, musée Marmottan

Car contrairement à ce que l’on veut nous faire croire, quatre points de déficit public, soit 85 milliards d’euros, ce n’est pas si considérable que cela lorsque ces milliards sont rapportés aux 1.200 milliards d’euros de dépenses publiques annuelles, surtout lorsque la moitié du déficit est constituée du remboursement des intérêts de la dette, et l’autre moitié à des dépenses inutiles ou l’empilement de structures aministratives inefficaces tant à l’échelon territorial qu’au niveau de l’Etat.

2. Réduire la charge de la dette et désendetter rapidement les administrations publiques

Curieusement, cet objectif n’est pas le plus compliqué à atteindre si on se décide à prendre le taureau par les cornes en renonçant au principe de rémunérer les rentiers qui ne prennent aucun risque, la signature de la France faisant foi. Ce qu’il faut, c’est transformer ce pays de rentiers et de boutiquiers en investisseurs avisés et prudents, en restituant aux Français la gestion du patrimoine désordonné accumulé au fil des ans par les administrations publiques.

Les ministères économiques et financiers à Bercy : combien de m², quelle valorisation des murs ? A droite, le POPB de Bercy appartenant à la ville de Paris : quelle rentabilité, quelle valeur ? 

Car dans le même temps que les administrations publiques se sont allègrement endettées depuis 40 ans, celles-ci ont constitué un patrimoine « dormant » supérieur aux dettes, d’un montant évalué à plus de 2.500 milliards d’euros hors le Trésor national (les biens culturels). Réveiller le patrimoine endormi permettrait de combler massivement l’endettement public actuel.

Le nouveau ministère de la défense à Balard : 4,2 milliards d’euros d’investissement dans le cadre d’un partenariat-public-privé, avec à la clef un loyer de 154 millions d’euros jusqu’en 2041… et 90.000 m² de bureaux en libre gérance pendant 60 ans pour le bénéficiaire du contrat ! 

La solution serait de regrouper ce patrimoine en fondations financières publiques à statut particulier (FFP), autorisées à recourir à l’épargne publique sur un modèle sensiblement identique aux fonds communs de placement ou aux sociétés civiles de placement immobilier selon la nature des biens détenus (mobiliers ou immobiliers). L’Etat ou les administrations locales conserveraient une part du capital avec des voix de vote double ainsi qu’une « action en or » (golden share) et pourraient se procurer des capitaux sur les marchés financiers sous forme d’actions, d’obligations convertibles ou d’OAT classiques tenant compte de la durée de détention du patrimoine investi dans ces fondations financières et de leur rentabilité. Une telle solution présenterait l’avantage d’obliger les administrations publiques à rationaliser leurs décisions d’investissement, leurs parcs immobiliers ou de matériels, tout en associant la société civile devenue actionnaire aux décisions puisqu’elles seraient représentées aux conseils d’administration ou de surveillance de ces fondations financières publiques dont les méthodes de gestion seraient privatisées. Des cessions ou rachat entre FFP seraient possibles pour dynamiser le système.

L’hôtel des Invalides, joyau architectural de la capitale française

Ainsi,la fondation financière constituée pour la gestion des participations de l’Etat seraient en mesure de récupérer 100 à 150 milliards d’euros de capitaux en contrepartie de la globalisation dans une holding d’Etat de l’ensemble des participations de l’Etat sans que celui-ci perde le contrôle des entreprises publiques détenues alors qu’actuellement les ventes d’actifs publics au coup par coup se traduisent par leur privatisation sans forcément être une bonne affaire pour l’Etat (exemple des cessions d’autoroutes). Le capital de la banque de France, ceux de la Caisse des dépôts et consignations ou de la banque postale seraient rattachés à cette holding financière publique à capitalisation privée.

Abbaye du Mont-Saint-Michel, propriété de l’Etat

Des fondations financières culturelles pourraient être aussi constituées en y rattachant des biens culturels et en y dynamisant leur gestion, y compris par la cession d’oeuvres d’art dont les caves publiques regorgent (plus de 100.000 rien qu’à Beaubourg, sans compter le Louvre, Orsay… ), étant entendu qu’il serait préalablement établi une longue liste des oeuvres incessibles. Une opération identique porterait sur les principaux monuments historiques et sites naturels protégés dont la transformation du statut en fondation publique permettrait aux Français non seulement d’apporter des capitaux mais d’être associés à leur gestion.

Palais du Tau à Reims, monument national

S’agissant du patrimoine immobilier de l’Etat et des collectivités territoriales, leur cession financière à des fondations publiques détenue par des épargnants privés, exigerait le paiement sur le long terme de loyers rééls et non plus fictifs imposant un « big bang » de la gestion immobilière des administrations publiques, appelées à procéder à de véritables choix de gestion, à cesser de construire inutilement sans rationalité économique, en les obligeant à prendre en compte le montant des loyers, les coûts réels d’entretien et de fonctionnement sur l’ensemble des bâtiments publics, y compris les établissements scolaires ou universitaires.

Abbaye-aux-Hommes à Caen : l’abbatiale Saint-Etienne abrite le tombeau de Guillaume-le-Conquérant tandis que le le palais accueille désormais l’hôtel de ville après avoir été un lycée.

On pourrait même envisager de recourir à l’épargne publique pour financer dans le cadre de fondations financières de défense nationale, les investissements de défense sous forme de grands emprunts nationaux destinés à la recherche ou aux grands équipements (escadrilles d’avions ou d’éhlicoptères, bâtiments de la flotte, divisions blindées…)

Une telle approche permettrait de recourir à l’épargne nationale pour financer les administrations publiques et leurs investissements. En 1975, la dette de l’Etat était une dette détenue par les nationaux ; depuis lors celle-ci n’a cessé de s’internationaliser, la dette détenue par les Français qui n’était déjà plus que de 60% en 2003 étant tombée à moins de 40% en 2013. Au cours des trois dernières années, le Trésor public a émis chaque année plus de 200 milliards d’euros d’emprunt pour rembourser les dettes venues à échéances et le déficit budgétaire nouveau.

La gestion de l’Institut de France, propriétaire de douze fondations parmi lesquelles le domaine de Chantilly, le musée Jacquemart-André, l’abbaye royale de Chaalis, la maison Monet de Giverny et le musée Marmottan, vient d’être « saluée » par la Cour des Comptes pour son grand amateurisme, et c’est un euphémisme. Pourtant, pas moins de 1.100 fondations de droit privé contribuent par leurs dons et legs générant une dépense fiscale, au financement de cette institution qui dispose d’un immobilier de rapport évalué à 420 millions d’euros, hors fondations et musées.

La capitalisation du patrimoine des administrations permettrait de réduire le stock des dettes qui s’élèvent actuellement à 2.000 milliards, avec l’objectif de transformer un quart à la moitié de cette dette en capitaux permaments sous forme d’actions ou obligations convertibles, réduisant d’autant la charge de la dette, tout en permettant de financer à l’avenir les investissements sur un modèle beaucoup plus sain que l’actuel modèle opaque puisque les décisions d’investissement ne sont pas fondées sur la rationalité mais sur les disponibilités de trésorerie. La procédure des investissements d’avenir est à cét égard révélatrice de la dérive des comptes publics. Initialement prévus pour relancer l’économie, aujourd’hui les fonds gérés dans ce dispositif sont destinés à combler l’incapacité de l’Etat à investir dans le cadre du fonctionnaire budgétaire traditionnel.

Le palais du Capitole à Toulouse, qui abrite l’hôtel de ville

Quoiqu’il en soit une telle approche patrimoniale bousculerait toutes les traditions administratives bien plus sûrement que tous les prétendus plans de modernisation de l’administration de type RGPP, car elle contraindrait à réorganiser en profondeur les structures administratives pour mettre fin au désordre et à l’anarchie régnants de type multiplication des opérateurs, des établissements publics, et autres entités publiques dont l’Etat a les plus grandes difficultés pour cerner missions, activités, résultats, voire tout simplement leur existence. Qui sait dans le grand public, par exemple, qu’à force d’empiler les textes, qu’il existe en France pas moins de trois structures administratives pour « gérer » une université, non compris les oeuvres universitaires ?

Bibliothèque universitaire de la Sorbonne : les murs dépendent du chancelier, les élèves sont rattachés à quatre universités selon leur spécialité (I, II,, IV, V), et 13 établissements universitaires peuvent revendiquer de donner des cours au grand amphithéâtre ou d’envoyer leurs élèves à la bibliothèque : pourquoi faire simple ?

Au fond ce qui est ici proposé n’est guère différent de ce qui a été fait en 1789. A l’époque les biens du clergé et de la noblesse ont été captés par la Nation et sont devenus biens nationaux. Aujourd’hui captifs, la jouissance de ces biens, d’une certaine façon, a été accaparée par une nouvelle noblesse d’Etat, énarques, hauts fonctionnaires, élus, universitaires, dirigeants d’entreprises publiques, sans oublier les académiciens (!) qui ne rendent comptent qu’aux inspections générales, à l’inspection des finances ou à la Cour des comptes c’est à dire à eux-mêmes. Il est temps de restituer ce patrimoine aux Français en transformant radicalement la gestion des administrations publiques, non pas par la privatisation mais par la constitution de sociétés publiques à capitaux privés dans lesquelles les actionnaires privés, entreprises ou particuliers, demanderont des comptes sur la gestion du patrimoine des administrations publiques et de leurs programmes, dans un cadre rationalisé de droit privé (comptabilité, personnels…).

Par legs successifs, la chancellerie de la Sorbonne est propriétaire des murs historiques, du domaine de Richelieu, d’un domaine en Seine-et-Marn, d’une villa en Italie et de vignobles à Banyuls… 

Ainsi, par exemple, au lieu que ces braves académiciens demandent de l’argent défiscalisé aux « amis de l’Institut », ce sont les amis de l’Institut qui géreraient et exploiteraient les biens et les fonds de l’Institut, dans un cadre privé, ce qui laissera un peu plus de temps aux académiciens pour leur travail intellectuel du dictionnaire…

Séance dynamique de l’académie des Beaux-Arts

Mais ces actions sur la dépense publique ou la gestion de la dette resteraient insuffisantes si elles ne s’accompagnaient pas d’une réforme en profondeur de la fiscalité et de profondes modifications dans les priorités d’action en vue de retrouver le plein emploi (à suivre : 4b)

 

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