Si nous voulons que tout reste tel que c’est, il faut que tout change

Normandie (36)

Voici une chronique datant de février 2015, passée alors inaperçue si on en croit le nombre des lecteurs détectés par l’honorable hébergeur WordPress, dont il faut saluer au passage que ce « Gafa » honni des aristocrates d’Etat fait bien plus pour la liberté d’expression que le milliard d’euros ponctionné annuellement sur l’impôt versé par les contribuables français pour  soutenir  la presse moribonde, au  plus grand bénéfice des milliardaires narcissiques, qui jouent à la perfection à l’avare dès qu’il s’agit de leur cassette personnelle. A ce sujet Simone Weil a écrit à juste titre : « lorsque le journalisme se confond avec l’organisation du mensonge, il constitue un crime« . On comprend que personne ne se bouscule pour faire connaître l’oeuvre de cette admirable philosophe, il faudrait rouvrir le bagne de Cayenne !

Donc, entre le texte publié sur ce site en 2015 et  celui mis en ligne, une seule modification a été  apportée. Elle concerne le titre qui substitue à la première partie d’une citation célèbre du Guépard, la seconde partie de la phrase ce qui en modifie à la fois la tonalité et le sens. Voici donc cette chronique qui n’a pas pris une « ride » trois ans plus tard. Elle aborde la question centrale à laquelle sont confrontées nos sociétés, celle de l’esclavagisme moderne. L’esclavage est comparable à une pieuvre des profondeurs qui disperse du sepia, cette encre noire destinée à la rendre invisible. Loin d’avoir disparu, l’esclavage possède de multiples tentacules qui lui permettent de s’opposer au fait qu’un être humain possède une destinée éternelle, pour citer une fois encore Simone Weil. Nous y reviendrons.

En attendant, retrouvons ce texte tombé aux oubliettes du numérique. Il nous permet de réaliser que nos actuels aristocrates d’Etat en pillant subtilement les caisses publiques pour leur intérêt propre, ne se comportent pas différemment de Fouquet en son temps, que Poutine gère sa fortune à l’identique d’Hitler et qu’il est plus que temps de substituer des mécanismes d’économie de marché moral à ceux de la prétendue économie de marché parfait, en  commençant par la destruction des niches fiscales qui empoisonne la société française aussi bien que les poisons de Poutine. Car il faut que tout change pour que tout reste tel que c’est. Si nous le voulons. Voici enfin le texte de 2015 !


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Si nous voulons que tout reste tel que c’est, il faut que tout change. Cette phrase adressée par Tancredi à cette ruine libertine, son oncle le Prince de Salina, est d’actualité permanente. Dans le Guépard de Tomasi di Lampedusa, le contexte est celui de l’expédition des Mille en 1860, le débarquement des chemises rouges républicaines de Garibaldi en Sicile qui va aboutir ultérieurement au rattachement du royaume des Deux-Siciles au royaume de Piémont. Et par ricochet, à l’accélération du processus d’unification de l’Italie. Les conséquences de cette révolution justifient la réponse provocatrice de Tancrède au Prince : le Roi certes, mais pour quel Roi ?,  lorsque ce dernier  lui fait remarquer qu’un Falconeri doit être avec nous, pour le Roi.

Il en est de même de l’économie de marché. Si nous voulons que tout reste tel que c’est, c’est à dire vivre dans un monde libre, il faut que tout change en matière économique et sociale. C’est un peu comme pour la démocratie qui est le moins mauvais des systèmes à défaut d’être parfait. A ce jour, on n’en connaît pas d’autres qui marchent, car l’économie de marché s’adapte aux hommes et aux sociétés, là où le socialisme et le communisme  asservissent les hommes et disloquent les sociétés sur le long terme (ainsi que le fascisme, rajout de l’auteur).

Il n’empêche que la mondialisation a conduit à un dérèglement général des lois de l’économie de marché et à la destruction de pans entiers de l’économie mondiale, avec des conséquences catastrophiques sur la vie des hommes et la nature. Pour remettre l’économie mondiale sur les rails, ce ne sont pas de règles économiques nouvelles qui sont nécessaires mais de solides principes moraux à appliquer en matière économique.

L’économie mondiale est devenue un système généralisé de corruption à tous les étages. La loi du profit marginal est devenue la loi du bénéfice pervers maximum. Pour retrouver de la croissance, pour créer des emplois utiles, il faut tout changer et imposer des règles morales que seules les démocraties sont en mesure d’imposer. On ne peut compter sur les oligarchies communistes, russes ou chinoises, les despotes orientaux du pétrole ou les dictateurs africains pour réviser les règles actuelles du système économique mondial fondé désormais sur des principes d’acquisitions systématiquement frauduleuses d’actifs mobiliers ou immobiliers, de détournement de barils de pétrole, de mètres cubes de gaz ou de matières premières, d’exploitation d’enfants dans les ateliers du monde, de corruption, de fraude fiscale, de ventes d’armes, de drogue, de traite humaine, de prostitution ou de jeux de hasard , jusqu’au passage illégalement taxé des clandestins en route vers l’Europe ou l’Amérique.

Pour que tout reste tel que c’est, il faut que tout change. Si les démocraties fondatrices de l’économie de marché ne veulent pas disparaître, il faut d’urgence introduire des règles morales dans les échanges économiques mondiaux, ce qui signifie taxer à l’entrée des marchés des pays démocratiques, la production des pays qui ne respectent pas la dignité des femmes, qui exploitent des enfants, qui financent le crime organisé, qui détournent l’argent du pétrole ou du gaz au profit d’oligarchies, qui planquent l’argent des fonds souverains dans des paradis fiscaux, tout cela au lieu d’investir dans les systèmes de formation ou de santé de leurs pays.

Dans le même temps, il faut assainir les systèmes financiers des économies démocratiques en taxant lourdement les transactions financières, en considérant comme des crimes, et non plus comme de simples sanctions ou délits, les placements dans les paradis fiscaux, la fraude fiscale organisée sous les vocables actuels d’optimisation et de défiscalisation, ou encore le recours au travail des enfants dans les ateliers du monde. Pour cela, il faut tout simplement menacer les dirigeants des entreprises prises sur le vif d’être considérés comme responsables pénalement d’esclavagisme moderne. et de les traiter comme Louis XIV sut le faire avec Fouquet qui pillait les caisses de l’Etat.  A l’échelle du monde, la situation n’est pas différente aujourd’hui sauf qu’il n’y a pas un Fouquet mais des milliers de Fouquet. Il faut les remettre d’urgence à leur place, il en va de la paix économique, social et du futur des démocraties.

Il faut aussi en terminer avec le délire des milliardaires narcissiques. Gagner de l’argent, réussir financièrement, pourquoi pas ? Mais dans quel but ? Qu’as tu fait de ton talent ? Si c’est pour construire des Palais du vent à coups de montage défiscalisé pour obtenir de pleines pages de publicité et vendre des produits de luxe, c’est nul. Cela ne sert à rien si ce n’est satisfaire des égos surdimensionnés qui sont en fait d’une rare médiocrité. En revanche s’il s’agit d’adopter la charte de Bill Gates, l’ancien patron de Microsoft, qui prévoit de gérer dans le cadre de fondations caritatives la moitié des richesses acquises, c’est mieux. Mais il aller plus loin, et exiger des barèmes beaucoup plus progressifs suivant le niveau de fortune et rendre obligatoire la création de ces fondations humanitaires, sauf à rendre systématiquement impossible, à l’échelle du monde,  la vie de ces milliardaires en matière fiscale, patrimoniale ou simplement en limitant leurs déplacements pour les loisirs et le plaisir.

Car il en va du sort de la planète d’assainir moralement le capitalisme. Seules les démocraties ont la légitimité pour le faire. Ne comptez pas sur les militaires chinois, les oligarques russes ou les dictateurs africains pour mettre en place des systèmes correctifs, ils sont trop occupés à piller les richesses de leur pays. Il n’y a là rien de nouveau. Selon Chris Wetton, dans un livre paru en 2005 (Hitler’s fortune), le patrimoine caché du dictateur nazi aurait représenté 4,5 milliards d’euros actuels : la construction du Berghof et du Nid d’Aigle aurait coûté 200 millions d’Euros ; le nombre de tableaux de sa collection personnelle était de 8500 dont les deux tiers volés dans les collections nationales des pays conquis ou spoliés récupérés dans le cadre de la spoliation des biens de la communauté juive. Il est vrai qu’après une procédure de redressement fiscal abandonnée en 1934, le dictateur ne fut plus jamais imposé, un peu comme nos milliardaires qui légalement ne sont taxés qu’ à 10% ou 12% après défiscalisation, quand les classes moyennes ou supérieures le sont à 20%, 30% ou 40% voire plus selon les différents pays de l’OCDE.

En conclusion, c’est à l’échelle des nations démocratiques que l’ensemble de ces questions doivent être traitées. Il faut probablement arriver à rétablir un taux de change fixe entre cette quarantaine de nations, à mettre en place des règles d’imposition commune pour les principaux impôts et taxes, créer de nouvelles taxes sur les flux de transport, l’énergie et les transactions financières. Et établir des barrières douanières sur des critères non pas économiques mais moraux qui permettraient de localiser les industries de main d’œuvre dans des pays frères souhaitant progressivement respecter des principes démocratiques de base :  le Rwanda, le Ghana ou le Sénégal plutôt que la Chine, voilà le mot d’ordre ! Il y a suffisamment de femmes et d’hommes sans travail dans le monde pour ne pas laisser exploiter des enfants ou accepter que dans les ateliers du monde  le nombre d’heures de travail effectif soit digne de l’ère de l’industrialisation au  dix neuvième siècle.

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