Des effets du bon gouvernement à la ville et à la campagne

S’il est un écrivain qu’il est conseillé de lire en ces temps de troubles et de disette, c’est bien Jean Bodin Angevin, l’auteur du célèbre aphorisme souvent détourné par les grippeminauds, gribouilleurs et scribouillards : il n’y a richesse ni force que d’hommes (Ci-dessus, Allégorie du bon gouvernement, fresque de Lorenzetti, Palais national, Sienne).

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L’oeuvre de jean Bodin, né à Angers en 1529 et mort en 1596, demeure méconnue alors qu’il est l’un des plus importants philosophes politiques de tous les temps pour avoir défini le premier, la notion de souveraineté dans son oeuvre majeure intitulée Les Six livres de la République, dans laquelle il considère la monarchie absolue comme la structure idéale d’un Etat moderne reposant à la fois sur les principes de la Rome républicaine et de la royauté française, dans le cadre d’une étude comparative de tous les Etats et institutions ayant précédé ou alors connues à la Renaissance, inventant ainsi, d’une certaine façon, le droit constitutionnel comparé.

Couverture de Les six livres de la République de Jean Bodin (1576).

Nos actuels souverainistes qui pataugent allègrement dans les idées glauques ou nauséabondes devraient lire ou relire Jean Bodin dont la théorie de la souveraineté est résumée en une expression, celle de la puissance du souverain de donner et casser la loi : sont compris tous les autres droits et marques de souveraineté de sorte qu’à parler proprement, on peut dire qu’il n’y a que cette seule marque de souveraineté, attendu que tous les autres droits sont compris en celui-là : comme décerner la guerre ou faire la paix ; connaître en dernier ressort des jugements de tous magistrats ; instituer ou destituer les grands officiers ; imposer ou exempter les sujets de charges et subsides ; octroyer grâces et dispenses contre la rigueur des lois ; hausser ou baisser le titre, valeur et pied des monnaies… »

Allégorie du mauvais gouvernement, fresque de Lorenzetti, palais national, Sienne

Le suffrage universel populaire a aujourd’hui remplacé le monarque absolu pour exercer la puissance du souverain reposant sur les quatre piliers d’un Etat moderne :  puissance absolue, puissance de commandement, puissance indivisible, puissance perpétuelle.  L’Etat peut tout, sa puissance n’est en rien entravée par les lois civiles et sa puissance s’élève au-dessus des contingences particulières pour perpétuer un royaume ou une République indivisibles. Mais l’Etat doit aussi, par-dessus tout, surveiller les puissances de l’argent, qui partout nuisent, ce qui peut aller jusqu’à embastiller les prévaricateurs et comploteurs comme le surintendant des finances Nicolas Fouquet condamné au bannissement à vie et la confiscation de ses biens au nom du monarque absolu, Louis XIV. Le péculat et la concussion demeurent, jusqu’à nos jours, l’alpha et l’omega du métier des banquiers et financiers quand ces derniers traitent avec les Etats où la corruption règne en maître.

Effets du mauvais gouvernement à la campagne, fresque de Lorenzetti, Sienne

Pour revenir à la citation la plus fréquente de l’oeuvre de Jean Bodin, qui nous « interpelle », en voici le paragraphe entier. Celui-ci conduit à une lecture bien plus intéressante que l’expression convenue dans la bouche de n’importe quel dirigeant égaré dans le brouillard, à la recherche de la martingale du management. Le paragraphe est extrait du chapitre 2 du livre V des Six livres de la République,  intitulé :  Les moyens de remédier aux changements des Républiques, qui adviennent pour les richesses excessives des uns, et pauvreté extrême des autres, tout un programme en ces temps de discorde et disette intellectuelles !

Les effets du Bon gouvernement à la campagne, Fresque de Lorenzetti, Sienne

 » Or il ne faut jamais craindre qu’il y ait trop de sujets, trop de citoyens : vu qu’il n’y a richesse, ni force que d’hommes : et qui plus est la multitude des citoyens (plus ils sont) empêche toujours les séditions et factions: d’autant qu’il y en a plusieurs qui sont moyens entre les pauvres et les riches, les bons et les méchants, les sages et les fous : et il n’y a rien de plus dangereux que les sujets soient divisés en deux parties sans moyens : ce qui advient ès Républiques ordinairement où il y a peu de citoyens. »

Jean Bodin et l'absolutisme politique | Contrepoints

Les interprétations des écrits de Jean Bodin sont aussi nombreuses que son oeuvre est féconde. Que les souverainistes ou les « hypermondialistes » y trouvent aujourd’hui matière à réflexion, témoignent de la richesse inaltérable de sa pensée.  Mais rares sont ceux qui évoquent les observations de Jean Bodin Angevin sur les dangers que les inégalités sociales font peser sur la stabilité des Etats. Quand les riches écrasent les pauvres, il n’est bientôt plus question de guerre sociale mais de guerre civile.

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Les effets du mauvais gouvernement en ville, fresque de Lorenzetti, Sienne

En quelques lignes, Jean Bodin nous donne une leçon d’économie toujours d’actualité cinq siècles plus tard en mettant en évidence les trois principes majeurs d’un Bon gouvernement pour empêcher les divisions, factions et séditions qui menacent la stabilité de l’Etat et le bien-être de ses citoyens:  une politique démographique active (plus est la multidude des citoyens) ; une politique volontariste de réduction des inégalités sociales  pour remédier au caractère déstabilisant des richesses excessives des uns,  et de la pauvreté extrême des autres ; un objectif général d‘émergence et soutien des classes moyennes pour maintenir la cohésion sociale.

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Détail des effets du bon gouvernement en ville : échoppes d’artisans et école

Les économistes actuels qui n’écrivent que pour se répéter et s’encourager à ne rien penser à force de théories descriptives statistiques, algorithmes et autres fadaises vaseuses, ne trouvent pas le temps d’exprimer aussi simplement et clairement ce qui devrait constituer le véritable programme en trois points d’un bon gouvernement.

  1. Il faut d’abord remettre les principes démographiques d’Alfred Sauvy au coeur des politique économiques occidentales, un pays souverain étant un pays démographiquement fort (A cet égard, la Chine va vers l’échec si elle ne remédie pas d’urgence à une situation démographique explosive.)
  2. Il faut ensuite se préoccuper de l’économie réelle, à savoir cette civilisation matérielle et capitaliste étudiée par Alfred Braudel à la période de la Renaissance, et non une prétendue économie immatérielle qui est pure spéculation financière appelée à s’effondrer un jour ou l’autre, car tel est son destin. Toute économie disjonctée du travail des hommes et de la réalité des choses est appelée à disparaître : c’est d’ailleurs pourquoi les GAFA cherchent aujourd’hui leur salut dans l’économie matérielle (automobile, transports, spatial, objets connectés, santé…)
  3. Enfin, ce n’est pas tant d’une loi de moralisation de la vie politique, dont il faudrait principalement se préoccuper mais d’une loi de strangulation de la spéculation pour en terminer avec les bulles financières qui perturbent l’économie mondiale. Il n’y a rien de plus urgent que de contrecarrer la puissance extraordinaire de tous ces milliardaires insupportables de vanité qui « Trump » leur monde, et procèdent en bandes organisées à l’accumulation exponentielle des richesses par des oligarchies. Face à ces démons de la finance, il est urgent de développer à l’échelle mondiale des mécanismes de régulation limitant les principes de valorisation boursière en tenant compte de la création réelle de  valeur ajoutée des entreprises, ainsi que de leur véritable valeur humaine (les salaires versés) tout en déterminant des ratios acceptables du bénéfice par action et des dividendes attribués, rapportés à un nombre d’années à échelle humaine qui est plus ou moins celui du passage d’une génération (20 à 25 ans). Mais avant d’envisager une phase radicale de captation des fortunes mal acquises et de confiscation des héritages au-delà de certains seuils, il serait souhaitable de procéder à une incitation généralisée aux dons pour les grandes fortunes sur le modèle américain de constitution de fondations humanitaires ou éducatives regroupant de 50% à 80% voire plus des actifs capitalisés par les milliardaires. Il faut en finir avec cet égoïsme excessif des riches indifférent à la pauvreté extrême d’un très grand nombre.

Jean Bodin, premier monétariste & précurseur de la souveraineté étatique

Jean Bodin est aussi l’auteur de livres de son temps, consacrés à l’astrologie et aux démons pour lesquels il fait preuve de sévérité puisqu’il recommande de brûler sorcières et sorciers ; le principe en serait aujourd’hui reconnu pour les bateleurs et fanfarons de l’économie qu’on appelle professeurs de science économique, il n’en resterait guère dans les universités.

Les  » Quarante Piteuses » qui ont succédé aux Trente Glorieuses, sont une incitation à revenir à une politique économique inspirée de Jean Bodin Angevin : favoriser la natalité et l’immigration pour accroître la multitude des citoyens en rétablissant les mesures favorables aux familles qui ont été supprimées ces dix à vingt dernières années ; mener une politique fiscale énergique  de réduction des inégalités tout en menant à l’échelle européenne une véritable chasse aux profiteurs, oligarques et milliardaires narcissiques qui déstabilisent l’économie mondiale : la question de la confiscation des biens et ressources mal acquis se pose désormais avec acuité pour un certain nombre d’entre eux, surtout quand ils sont dissimulés dans les paradis fiscaux, y compris pour les « GAFA ». Et enfin, faire émerger par l’éducation et la formation tout au long de la vie professionnelle, de nouvelles classes moyennes sur tout le territoire pour que renaisse l’idée de la réussite sociale, et donc dans le même temps, avoir une véritable politique de soutien à la création et au développement d’entreprises. La France, comme chaque pays, a bien plus besoin d’enfants et d’entrepreneurs que d’héritiers ou de milliardaires, mais encore lui faut-il un bon gouvernement pour en ressentir les effets à la ville ou à la campagne.


Les effets du Bon gouvernement en ville, Fresque de Lorenzetti, Sienne

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