Une dépêche en page 11 du seul journal « sérieux » de France, les Echos, signale ce jour, mardi 28 avril 2014, que Dakar a célébré officiellement hier la fin de la traite négrière pour la première fois depuis l’instauration il y a cinq ans d’une journée de commémoration. La mairie de Dakar a inauguré une plaque en hommage à l’abolition de l’esclavage en présence de plusieurs diplomates étrangers. Jusqu’à présent, seules des initiatives privées avaient marqué l’événement.
Focalisés sur les Antilles, la Guyane et la Réunion où l’abolition de la traite négrière en 1848 donnèrent une nouvelle vie à 238.000 citoyens libres, nous oublions souvent, que 10.000 personnes furent aussi concernées dans cette ancienne colonie devenue indépendante en 1960, si on s’en tient au registre des « propriétaires » qui demandèrent et obtinrent une indemnisation auprès du Gouvernement français, indemnisation prévue dans les décrets d’abolition préparés par Victor Scoelcher. Il semble que l’abolition de l’esclavage ne fut pas bien reçue par les propriétaires maures assurant le commerce vivrier de la colonie et qui obtinrent des autorités françaises que leurs esclaves cherchant asile sur le territoire des colonies françaises soient systématiquement refoulés.
Au-delà de cette péripétie historique spécifique au Sénégal en raison de la proximité des voisins maures continuant de pratiquer l’esclavage, il faut aujourd’hui saluer l’initiative courageuse du Sénégal pour commémorer la fin de l’esclavage, car autant d’une certaine façon il est relativement « facile » de fêter l’abolition de l’esclavage aux Antilles, pays de destination des victimes, autant il est plus complexe de commémorer quand on est à la fois pays d’origine et d’exercice, même si l’esclavage est assimilé globalement à la période de la colonisation en ce qui concerne le Sénégal, première colonie française historiquement, avant même les Antilles.
Car la pratique de l’esclavage en Afrique s’est perpétuée bien au-delà de son abolition par les pays européens ou américains au cours du 19ème siècle, comme en témoignent de nombreux voyageurs ou commerçants en Afrique de l’Est à la fin du XIXème siècle ou le cas de la Mauritanie qui n’y a renoncé officiellement qu’en 1981 tout en poursuivant cette pratique héréditaire qui concernerait en 2014 4% de la population selon l’ONG Walk free, soit 150.000 personnes.
Il convient d’autant plus de saluer cette initiative que l’état d’esprit de cette commémoration n’est pas « revanchard ». L’objectif est de bâtir une mémoire apaisée pour reprendre l’expression du communiqué publié par les organisateurs regroupant la Ville de Dakar et l’Association Internationale Mémoires & Partages :
« De la traite des noirs à la colonisation: bâtir une mémoire apaisée
L’Etat du Sénégal a institué une Journée Nationale de commémoration des résistances pour l’abolition de la traite des noirs et de l’esclavage. Le Sénat sénégalais a voté le 27 avril 2010 une loi déclarant la traite des noirs et l’esclavage crimes contre l’humanité dont l’article premier stipule «La République du Sénégal déclare solennellement que l’esclavage et la traite négrière, sous toutes leurs formes, constituent un crime contre l’Humanité.» Le Sénégal est ainsi la première république africaine à inscrire dans son corpus juridique la qualification de ce crime contre l’Humanité.
Le Sénégal, ancienne capitale de l’AOF, du fait de son exceptionnelle position géographique et de son riche héritage historique, est un pays unique par son patrimoine matériel et immatériel issu de la rencontre brutale mais porteuse de civilisations que fut le commerce triangulaire. Dans une perspective d’éducation et de transmission, cette journée manifeste la primauté du devoir de mémoire comme ciment nécessaire à la lutte contre l’exploitation, le racisme et pour le dialogue des peuples et la paix dans le monde.
Les guerres de conquête, les massacres, les déportations, les razzias, les esclavages, les travaux forcés, la discrimination raciale institutionnelle et les récentes et encore inachevées décolonisations ont installé des mémoires chaudes et contrastées rendues particulièrement virulentes par la mondialisation. Autour du thème « De l’esclavage à la colonisation: bâtir une mémoire apaisée», il s’agit de réfléchir sur les enjeux d’affirmation identitaire mais aussi de mobilisations progressistes et de dialogue avec les peuples que l’histoire a mis sur le chemin des peuples africains.
Ce thème veille à ne pas déconnecter la traite, l’esclavage et la colonisation de l‘Histoire. A rendre lisible ce qui l’a rendu possible hier et ce qui s’en perpétue aujourd’hui. A réactiver une mémoire d’acteurs loin de la posture victimaire afin de postuler une fraternité vigilante. Il faut absolument transmettre les résistances et contributions des esclaves, des indigènes et de leurs descendants.
Cette journée de commémoration a par ailleurs donné lieu à la tenue d’un séminaire à Dakar ayant comme modérateur le professeur Abdoulaye Elimane Kane, avec la participation de :
Mr Xavier Ricou « Le rôle de Gorée dans le mouvement abolitionniste »
Pr Ibrahima Thioub « L’esclavage et les traites en Afrique occidentale : entre mémoires et histoires »
Pr Hamady Bocoum « Quel avenir pour le patrimoine colonial sénégalais »
Mr Moussa Sène Absa « Le rôle du cinéma dans la préservation de la mémoire africaine »
Pr Samba Thiam « La notion de crime contre l’humanité dans l’histoire »
Mr Amadou Lamine Sall « Pourquoi le Mémorial de Gorée? »
Synthèse- Pr Iba Der Thiam « Le sens de la loi du 27 avril 2010 déclarant la traite des noirs et l’esclavage crimes contre l’humanité
Au-delà de cette journée de commémoration, le Sénégal a la responsabilité de conserver et transmettre aux générations futures l’héritage patrimonial de l’Ile de Gorée d’où étaient embarqués les esclaves razziés dans la région, destinés aux comptoirs d’Amérique. Cette « île de la mémoire » est classée depuis 1978 par l’UNESCO sur la liste du patrimoine mondial de l’humanité, qui présente ainsi sa dramatique histoire qu’on ne doit pas plus ignorer que celle d’Auschwitz, car même si les causes de la tragédie sont différentes, le sort réservé aux victimes fut tout aussi épouvantable :
Au large des côtes du Sénégal, en face de Dakar, Gorée a été du XVe au XIXe siècle le plus grand centre de commerce d’esclaves de la côte africaine. Tour à tour sous domination portugaise, néerlandaise, anglaise et française, son architecture est caractérisée par le contraste entre les sombres quartiers des esclaves et les élégantes maisons des marchands d’esclaves. L’île de Gorée reste encore aujourd’hui un symbole de l’exploitation humaine et un sanctuaire pour la réconciliation.
L’Île de Gorée témoigne d’une expérience humaine sans précédent dans l’histoire des peuples. En effet, cette « île mémoire » est pour la conscience universelle le symbole de la traite négrière avec son cortège de souffrance, de larmes et de mort.
Cette petite île de 28 ha située à 3,5 km au large de Dakar cristallise les douloureuses mémoires de la Traite atlantique. Ce destin singulier, Gorée le doit à sa position géographique d’une extrême centralité entre le Nord et le Sud, et à son excellente position stratégique offrant un abri sûr pour le mouillage des navires, d’où son nom de « Good Rade ». De ce fait, elle a été, depuis le XVe siècle, un enjeu entre diverses nations européennes qui l’ont successivement utilisée comme escale ou comme marché d’esclaves. Premier point d’aboutissement des « homéoducs » qui drainaient les esclaves de l’arrière pays, Gorée a été au cœur des rivalités entre nations européennes pour le contrôle de la traite négrière.
Jusqu’à l’abolition de celle-ci dans les colonies françaises, l’île a été un entrepôt constitué de plus d’une dizaine d’esclaveries. Parmi les éléments tangibles qui témoignent de la valeur universelle de Gorée on retrouve notamment le Castel, plateau rocheux recouvert de fortifications qui domine l’île ; le Relais de l’Espadon, ancienne résidence du gouverneur français ; etc….
L’île de Gorée est aujourd’hui une terre de pèlerinage pour toute la diaspora africaine, un foyer de contact entre l’Occident et l’Afrique et un espace d’échanges et de dialogue des cultures à travers la confrontation des idéaux de réconciliation et de pardon.
Voici l’adresse directe de la présentation complète de l’île de Gorée par l’Unesco dont on soulignera qu’il est inacceptable que cet organisme implanté en France privilégie la langue anglaise dans sa communication ce qui est à la fois un manquement envers ses devoirs et la marque d’un mépris envers les Francophones quand il s’agit de lieux en pays de langue française. La visite virtuelle n’est qu’en Anglais !
hhttp://webworld.unesco.org/goree/en/visit.shtml
ttp://whc.unesco.org/fr/list/26
Ecole à l’île de Gorée, Sénégal
Nota : toutes les photos et images sont relatives à l’île de Gorée. L’Unesco étant sous le régime juridique d’autorisation préalable de reproduction de ses images, l’auteur s’est débrouillé pour se passer d’une institution internationale censée promouvoir le patrimoine mondial !
Il s’agit, bien sûr, des Echos du 28 avril 2015 ! Ah, jeunesse, quand tu nous tiens !
J’aimeJ’aime
au moins un lecteur de la première ligne attentif ; au-delà, nul ne sait 🙂
J’aimeJ’aime