Aimer son ennemi

Pour celles et ceux qui sont tombés tout petits dans un baptistère ou un bénitier qui est une image plus expressive pour les mécréants, il n’y a pas de grand mérite à proclamer sa foi chrétienne dès lors que les hasards  n’ont pas conduit à y renoncer pour mener en société une vie de bâton de chaise, plus douce et plus tranquille. En revanche, annoncer la parole du Christ relève de l’apostolat, on ne peut pas se contenter d’être simple spectateur de la désolation du monde, confortablement assis devant la télévision ou en devisant sur les réseaux sociaux de chiasse. Et comme les prêtres, les laïcs doivent participer à cette propagation de la foi, qui relève bien plus de la confiance en l’action du Saint-Esprit que des simples capacités humaines, heureusement pour nous, simples mortels. Il y a dans la foi chrétienne des mystères que le Notre Père ou le Credo résument en quelques phrases souvent récitées sans prendre le temps dans la prière de s’arrêter à chaque expression pour en chercher la signification cachée (Image introductive : les fonds baptismaux de la collégiale Saint-Barthélémy de la ville de Liège, XIIè siècle).

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Le baptistère Saint-Jean à Poitiers, est probablement le plus ancien édifice chrétien de France. Il aurait été construit entre l’an 313 et 350 sous le règne de l’empereur Constantin sur des fondations de constructions romaines antérieures datant de l’an 276. 

Mais tout le monde n’est pas tombé dans un bénitier à la naissance, loin s’en faut. Un mandarin pendant la révolution culturelle devait brandir le Petit livre rouge de Mao pour tout évangile terrestre. Entre 1922 et 1991, les Arméniens ont été interdits d’aller prier dans leurs monastères millénaires transformés en granges ou baraquements militaires et les Russes qui proclamaient à haute voix leur foi étaient brutalement invités au petit matin  à traverser en wagons à bestiaux la Sibérie pour exécuter des travaux forcés dans l’hiver infernal de l’archipel  du Goulag. Aujourd’hui encore, un Saoudien vivant désormais dans le désert des tours climatisées n’a aucune chance de croiser le moindre signe matériel de la présence du Christ, ni église, ni croix, pas même un poisson tracé au sol d’un bout de bois par un inconnu.

La rénovation du monastère arménien d’Haghartsin a été en grande partie financée par une donation du  Sultan Ben Mohamed Al Qasimi, Membre du Conseil suprême des Emirats Arabes Unis,  Emir de Sharjah

Et pourtant Les chrétiens seraient plus de cent millions en Chine communiste, plus de la moitié des Arméniens en quelques années ont demandé le baptême, un émir allant jusqu’à participer à la reconstruction de l’un des innombrables joyaux de l’architecture arménienne en remerciements pour service rendus par des Arméniens. Les popes russes manient à nouveau l’encensoir dans leurs cathédrales rénovées et la dynastie tremblante des Saoud est toujours obligée de faire preuve de cruauté pour exterminer  toute présence symbolique du christianisme, jusqu’au jour où elle renoncera aussi à la violence, sans autre explication possible que l’exemplarité du sang versé des chrétiens d’Orient.

Couverture La Faculté de l'Inutile

La Faculté de l’inutile est l’oeuvre majeure de Iouri Dombrovski. Arrêté quatre fois par le régime soviétique entre 1932 et 1949, il passera dix-huit ans de sa vie en relégation au Kazhahstan et déportation en Sibérie avant d’être libéré en 1957.  Il meurt en 1978 après avoir été passé à tabac par des membres du KGB dont un certain Vladimir Poutine se targue d’avoir été  membre. Ce livre comporte un récit admirable de la Passion du Christ.

Au-delà de la simple récitation des prières pieuses, le mystère chrétien tient en fait en un absolu. Il faut aimer son ennemi et renoncer à la loi du talion en toutes circonstances. En ces temps troublés qui abordent désormais les rivages de l’Occident, les crimes d’une lâcheté monstrueuse commis à Paris au Bataclan ou sur les terrasses de café et encore à Nice sur la promenade des Anglais un jour de fête, nous rappellent que nous ne pouvons nous contenter d’aimer notre prochain, il nous faut aussi aimer nos ennemis, comme l’a rappelé l’archevèque de Rouen dans son homélie remarquable prononcée le jour des adieux terrestres au prêtre assassiné sur les marches du choeur de l’église de Saint-Etienne-du-Rouvray.

Le Petit livre rouge de Mao, un recueil de citations, est paru en 1966 pendant la révolution culturelle qui provoqua la mort de dix à vingt millions de Chinois ; sa lecture fut rendue obligatoire dans tout l’empire maoïste pour tous les militaires, travailleurs et paysans, ainsi que dans toutes les écoles. Cette pratique est tombée en désuétude après l’accession au pouvoir de Deng Xiaoping en 1978. 

Comment pouvons-nous aimer notre ennemi qui tue ici des passants ou des enfants, là des proches ou des anonymes dans la foule ? Est-ce même possible que de l’aimer ? Il est peut-être envisageable de lui pardonner, ce qui est le premier pas de l’amour. Mais l’aimer ? Il était plus facile à Jean-Paul II d’aller rendre visite en prison à l’homme qui avait tenté de le tuer au milieu de la place Saint-Pierre, qu’à toutes ces victimes ou proches ayant perdu une épouse ou un mari, une fille ou un fils, un ami ou un cousin. Aimer son ennemi relève de l’impossible. Et pourtant, nous n’avons pas le choix si nous voulons renaître à la vie, prendre le chemin escarpé de la paix et de la prospérité plutôt que le sentier irréfléchi de la guerre.

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Le massacre de la Saint-Barthélémy, le 24 août 1572, est l’épisode le plus connu des guerres de religion qui opposèrent en France catholiques et calvinistes de 1562 à 1598. L’Edit de Nantes, le 13 avril 1598, rétablit la paix religieuse.  Nul pays n’est à l’abri du chaos quand on assiste à une montée aux extrêmes de l’exacerbation des passions.

La seule façon de commencer à pouvoir aimer son ennemi est de se mettre à sa place et de regarder le monde tel qu’il le voit, son monde et pas le notre, sa façon de voir et pas la notre, ce qu’il ressent et non ce que nous ressentons, son point de vue sur l’univers pour aussi incompréhensible qu’il soit, se mettre ainsi dans une perspective inversée qui change toute la perception de ce qui est considéré comme une énigme abominable, vouloir tuer. Notre ennemi d’aujourd’hui n’est pas né dans un bénitier, il n’a pas vécu les Trente glorieuses et il ignore tout ou presque de cette terre d’enchantement vantée par la publicité, qu’est la France. Notre ennemi d’aujourd’hui est un djihadiste, souvent jeune, qui a quitté son pays adoptif et non d’adoption pour rejoindre une secte d’illuminés menant une politique de la terre brûlée en pays musulmans dans la perspective d’un embrasement mondial, et qui n’hésite pas à revenir en Europe pour y semer la terreur. De son point de vue, la violence et la cruauté sont justifiables et justifiées. Il n’est en fait guère différent d’un conquistador de la Renaissance qui participa à exterminer les civilisations amérindiennes ou de ces conquérants de l’Ouest américain qui firent table rase des tribus indiennes en les repoussant sans cesse dans des réserves où il leur était impossible d’y vivre, pas même d’y survivre. L’histoire est jonchée de chevaux et cavaliers jetés à terre par ces hordes assassines venues ici d’Orient, là d’Occident et qui n’avaient pour précepte que le sceptre de la violence.

La conquête sanglante de l’empire Aztèque par Herman Cortés

C’est pourquoi, nous qui avons admiré aveuglément John Wayne dans les films de John Ford, nous qui n’avons pas trop voulu regarder la face cachée de la conquête de l’Amérique depuis Christophe Colomb, nous qui nous sommes guère embarrassés des ravages de l’esclavage sur les populations africaines ou nous, encore, qui avons trouvé de multiples charmes exotiques à la colonisation ensanglantée du monde pendant cinq siècles, et nous qui n’avons guère protesté quand la folie nazie s’acharna à mettre en oeuvre la décision d’exterminer les juifs d’Europe, nous, donc,  Occidentaux criminels de l’histoire au même titre que d’innombrables peuples d’Asie ou d’Afrique en d’autres circonstances, nous pourrions peut-être cesser de faire preuve de morgue, de mépris et d’hypocrisie et tenter de comprendre notre ennemi pour l’aimer, cet ennemi qui est le miroir de notre âme, le reflet de nos pensées les plus obscures, car chaque être humain possède en lui un soupçon de cette violence originelle qui, de génération en génération, se perpétue, sauf à s’aveugler en niant l’existence de cette violence.

Le Crazy Horse Memorial, en cours d’édification, sur le modèle du mount Rushmore, est un hommage tardif rendu aux tribus indiennes décimées. Il est situé dans les collines noires (Black hills)  des Badlands.

Aimer son ennemi n’est peut-être pas si compliqué que cela. C’est, au milieu du bruit et de la fureur, rechercher la lumière qui étincelle et apporte cette Paix ayant vocation à devenir universelle. Il est frappant de constater que de nombreuses victimes des attentats des deux dernières années ont exprimé leur souffrance et leur ressentiment en déclarant que les assassins n’auront jamais leur haine. Ne pas laisser la place à la haine, c’est refuser l’aveuglement et entrevoir la possibilité de chercher à comprendre, voire aller jusqu’à pardonner sans pour autant verser dans la justification des crimes ou la compassion pour des assassins qui demeurent des assassin en prenant des vies au mépris du premier commandement, Tu ne tueras point, pierre angulaire de toute humanité.

Plaque d’ivoire représentant le sacrifice de Caïn et Abel puis le meurtre d’Abel et la malédiction de Caïn, musée du Louvre, artiste italien anonyme du 11è siècle, probablement destinée à la cathédrale e de Salerne inaugurée en 1084. Tuer est une longue tradition humaine, ce qui n’a rien de rassurant.

C’e sont pour toutes ces raisons que nous chrétiens, ne devrions pas proclamer nos croyances avec une ostentation suspecte et s’égarer dans des querelles d’un autre âge qui mêlent hasardeusement la morale à la foi. Lire les Evangiles, c’est emprunter le long chemin du pardon où il n’y a pas de place pour les hypocrisies du pharisien. Lorsque le Christ affirme que notre trésor est au ciel et qu’il faut tout donner pour le suivre, cela n’est pas qu’une histoire d’interprétation ou d’exégèse sur la plus ou moins grande étendue du don défiscalisable, c’est un principe qui a des conséquences économiques et sociales, ici-bas. Pour simplifier, la thésaurisation n’est jamais une solution et tout travail mérite salaire. L’église ne peut se détourner des questions sociales pour se préoccuper uniquement de la moralité de l’avortement, de l’homosexualité, du mariage pour tous et de toutes ces vaines querelles qui l’éloignent chaque jour un peu plus de l’essentiel, qui est d’aimer son prochain et ses ennemis. C’est en visitant les prisonniers, en accueillant les déshérités de la terre ou encore en soignant tous les malades que nous pourrons devenir le corps du Christ, le pain et le vin qui guérit. Sans oublier une orange ou du chocolat pour les enfants, car il n’y a pas de vie sans enfants, sans petits-enfants et même sans grands-enfants. Ils nous font tous retomber en enfance qui est l’âge d’avant la raison et son corollaire la déraison, dont sont issues, dans leur confrontation permanente et désordonnée, toute la violence du monde.

Le baptistère du Latran, construit à proximité de la basilique Saint-Jean de Latran, serait le baptistère le plus ancien du monde, construit lui aussi sous l’empereur Constantin qui y aurait été baptisé, selon la légende, en 324 par le pape Sylvestre Ier. Pour un Chrétien, renouveler les promesses de son baptême, c’est chercher à faire le bien pour autrui.

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