S’il existe sur cette terre, un lieu où se réfugier loin du monde, et même loin de tout le monde pour y vivre en toute sérénité, c’est bien l’île de Marie-Galante, hélas rendue populaire par l’une des chansons préférées des Français depuis quarante ans, et pour laquelle Laurent Voulzy devrait être assigné à résidence permanente à Belle-Île-en-Mer sans autorisation de retourner dans son île natale. Heureusement, la nature est bien faite et Marie-Galante résiste toujours et encore aux invasions touristiques, ce qui est miséricorde pour celles et ceux qui fréquentent en voyageur averti, ce paradis oublié.
Si on fait exception du cliché touristique, Marie-Galante n’est pas forcément un paradis pour ses habitants en dehors de cet incroyable luxe que constitue son calme et la volupté de ses paysages tranquilles, surtout au milieu des terres de canne à sucre. L’île souffre d’une situation de double insularité, ce qui signifie en géographie qu’elle dépend humainement et économiquement d’une autre île, certes plus grande, la Guadeloupe, qui est aussi en situation de dépendance humaine et économique par rapport à la métropole, l’Europe et l’Amérique. Concrètement, cela signifie qu’en matières alimentaire, éducative ou hospitalière par exemple, Marie-Galante dépend de la Guadeloupe qui dépend du reste du monde, y compris pour les transports aériens et maritimes locaux qui relient Marie-Galante aux seules installations portuaires et aéroportuaires internationales de la Guadeloupe. Résultat, tout y est plus cher et plus compliqué, c’est aussi simple que cela et c’est ce qui rend les Marie-Galantais encore plus attachants.
Oublions quelques instants la géographie humaine et physique. Arrêtons-nous sur cette étrange « galette », terme employé pour désigner l’île de Marie-Galante. On dirait un Pithiviers. L’île est si extraordinaire qu’on doit sa découverte à Christophe Colomb, rien moins, lors de sa seconde traversée, le 3 novembre 1493, lui donnant le nom de l’une des trois caravelles du voyage. L’île était déjà habitée cependant par des Arawaks, des Amérindiens. Ce n’est que cent cinquante plus ans tard, en 1648, que les premiers Français s’y implantent, recourant à l’esclavage au cours de la seconde moitié du dix-septième siècle pour développer des sucreries.
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La relation de voyage du Père dominicain Labat, demeure l’un des documents historiques les plus étonnants et documentés sur cette île. Parti comme missionnaire en 1693, il apporte un éclairage sur le vif assez inattendu de la part d’un homme d’église qui va développer les sucreries dans les Antilles françaises et développer cette eau de vie qui deviendra le rhum à partir de la distillation de la canne à sucre. Il participe aux combats contre les Anglais et décrit avec une grande précision la flibuste, les Caraïbes et l’esclavage, avec tous les préjugés de l’époque, s’intéressant aussi à la faune et à la flore qu’il étudie en véritable homme de science. Son témoignage, bien que controversé, est essentiel pour comprendre l’histoire des Antilles.
Pour revenir à l’île de Marie-Galante, celle-ci était peuplée de trente mille habitants en 1945 ; elle n’en compte plus que douze mille et à peine dix mille hors doubles comptes. Elle souffre terriblement du déclin de la canne à sucre, principale activité économique de l’île, et de cette double insularité qui y rend la vie particulièrement difficile au quotidien pour ses habitants. Il faut se rendre en métropole en partant de Marie-Galante pour comprendre ces difficultés : emprunter le bateau puis se rendre à l’aéroport et embarquer vers Paris est une rude et coûteuse affaire. Et encore, s’il y avait des activités économiques ! Même pas ! Les seules activités économiques en dehors de la production de sucre subventionnée par l’Europe, c’est le rhum et le tourisme. Mais l’île n’a jamais bénéficié d’un développement touristique comme à Saint-Barth ou Saint-Martin , ce qui d’une certaine façon est une chance pour tous ceux qui privilégient authenticité, rusticité et tranquillité, bref l’A.R.T. de vivre aux Antilles, l’un des derniers endroits de la Caraïbe où l’on vit comme nous n’aurions jamais du cesser de vivre, dans un havre de paix où méditer quelques vers de poésie en vidant quelques bons verres de rhum.
C’est à juste titre que Marie-Galante a été surnommée un temps l’île aux cent moulins. Ils étaient en effet nombreux sur les 160 km² de superficie de la Galette. Certains ont survécu et comme on peut le constater, il n’y a guère de différence entre un moulin de 1895 et les moulins préservés, sauf qu’ils ne sont plus en activité.
L’île ne compte que trois bourgs, l’un un peu plus gros que les deux autres, qui s’appellent Grand-Bourg pour le plus important, les autres Saint-Louis et Capesterre-de-Marie-Galante. Les trois bourgs ont leur charme propre mais ont en commun de vérifier que la loi Macron d’incitation à travailler le dimanche est une absurdité. On ne trouve pas grand-chose d’ouvert le dimanche ni même le samedi après-midi et c’est fort bien ainsi. Pourquoi ouvrir le dimanche ? On se repose le dimanche à Marie-Galante depuis peut-être l’antiquité même si les recherches archéologiques concernant les Arawaks n’ont cependant pas encore permis de répondre à cette question de savoir si un petit Macron avait sévi chez eux un jour pour autoriser le troc tous les jours de la semaine. Le jour du repos est une bénédiction du Seigneur, peut-être plus encore à Marie-Galante qu’ailleurs. Car ce jour-là, on ne songe pas à partir en weekend en dehors de l’île. En revanche, les boeufs s’amusent à tirer leur charrette dans les chemins boueux en pente, histoire de montrer qui est le plus fort.
Alors que faire le dimanche à Marie-Galante ? On peut imaginer visiter l’habitation Murat, les vestiges d’une des premières habitations coloniales de l’île qui donne une idée très exacte de ce que fut l’esclavage aux Antilles : cette habitation fut longtemps la plus grande sucrerie de l’île ; elle compta une dizaine d’esclaves au dix-septième siècle, un peu plus d’une centaine au début du dix-neuvième et plus de trois cent en 1839, 175 femmes et 132 hommes pour être précis qui vivaient dans une centaine de petites cases en bois. La maison du maître, d’architecture néo-classique, est bien plus grande, toujours debout, ainsi que le moulin à vent. Quentin Tarentino aurait pu y tourner Django si l’intérieur avait résisté au temps : on imagine assez facilement ce que signifie la cruauté du système esclavagiste, son inhumanité, sa perversité. Tout cela se visite, mais pas le dimanche, ni d’ailleurs, de mémoire, le samedi.
Car le dimanche est consacré à la plage, et à juste titre. Des plages, à Marie-Galante, il n’en manque pas, parmi les plus belles du monde et les moins fréquentées. Y croiser quelqu’un, c’est un peu rencontrer un Martien, sauf qu’il est plus facile d’aller à Marie-Galante que sur Mars. L’île compte 84 km de côte dont des dizaines de kilomètres de plages plus belles les unes que les autres, sans requins ce qui est déjà bien, et sans écrevisses, pardon, touristes, ce qui est encore mieux ! Il n’y a qu’à choisir. Certaines se laissent facilement découvrir, d’autres sont plus discrètes, sans compter quelques anses secrètes dont on taira le nom, des fois que cet article serait lu et que des hordes de touristes s’y rueraient, ce qui serait fâcheux pour la tranquillité des lieux.
Entre toutes ces plages, l’une des plus connues est celle de Feuillère, avant l’entrée du bourg de Capesterre. La route longe la plage plantée de dizaines de cocotiers. Il suffit de s’arrêter, descendre de voiture et hop! les pieds dans le sable, quelques mètres et hop à nouveau!, bain de mer! Et hop, Langoustes sur le pouce !
La plage, c’est bien, mais la plage est une composante mineure de l’art de vivre antillais. Ce sont les métropolitains qui aiment la plage. Ils s’y ruent et les voilà en moins d’une heure transformés en écrevisse à se rouler de douleur dans le sable, ce qui un mode de vie assez curieux et pénible à voir. Ils font un peu pitié à imaginer que le soleil est sympathique. Le soleil n’est pas sympathique, il brûle et le sable est alors un berceau perclus de douleur. L’art de vivre aux Antilles, cela commence par s’abriter du soleil tout simplement, en toutes circonstances, en n’oubliant pas quelques accompagnements loyaux qui mettent du baume au coeur. Tout est dans le choix de la chaise longue, transat ou chilienne, cela se discute à l’infini. Le hamac peur l’emporter loin des cocotiers assassins.
Passons aux choses sérieuses. L’avantage de l’île est de pouvoir compter sur la production de trois distilleries de rhum qui comptent parmi les premières de toute la Caraïbe en qualité, si ce n’est carrément, les meilleures. Les distilleries Bielle, Bellevue et Poisson produisent à la fois du rhum agricole et du rhum vieux, la distillerie Poisson étant plus connue pour sa célèbre marque, le Père Labat. Le degré d’alcool monte à 59°, et pour reprendre une expression des Tontons flingueurs, faut quand même admettre que c’est plutôt une boisson d’homme.
Quant au rhum vieux de l’île, il n’a rien à envier aux plus prestigieux Cognac ou Armagnac, tout est dans le fût, ce qui est à la réflexion est assez normal en pays de corsaires et de pirates.
Marie-Galante a aussi développé une étrange spécialité culinaire, le bébélé qu’on ne trouve nulle part ailleurs. On n’est pas obligé d’apprécier, mais faut savoir se laisser tenter. Cela dit, on peut préférer le matoutou de crabe avec avocat et riz, ou le chiquetaille de morue.
Si la nostalgie vous tente, maintenant que l’Europe exige de la productivité pour la dernière usine de canne à sucre, le temps de récolter la canne en utilisant la charrette passe, hélas. Mais on peut toujours se promener dans les terres ou s’entraîner le dimanche pour un prochain concours de boeufs tirants où les Marie-Galantais excellent. Ils sont les plus réputés dans ces courses qui n’ont rien à envier aux chevaux de Formule dans la mesure où c’est vraiment le plus fort qui gagne.
La visite de Marie-Galante est loin d’être terminée. On pourrait évoquer les énergies renouvelables : l’île a innové depuis plus de vingt ans en matières éolienne, solaire ou transformation de la bagasse, ces résidus de canne broyée, dans le but de combler une absence totale d’énergie primaire. Mais cela reviendrait à évoquer à nouveau les questions économiques et sociales. Ce n’est pas que le tissu de l’île soit fragile, il est quasiment inexistant, voilà tout.
Il n’y a pas que l’île de Marie-Galante qui soit attachante, les Marie-Galantais le sont bien plus. Alors, s’il y a une chose à faire, c’est bien de se rendre à Marie-Galante, pour un jour, une semaine, un mois, un an ou toute la vie. La place ne manque pas pour accueillir un ou plusieurs résidents supplémentaires. En plus, il existe un aérodrome disposant d’une piste de 1.240 mètres. De quoi s’y rendre en famille ou en groupe.
Ce n’est pas parce que cet aérodrome est peu actif qu’il n’en est pas moins surprenant. L’auteur aurait pu y laisser la vie voilà près de vingt ans si Dieu n’avait voulu qu’il consacre, un jour, une de ces inoubliables chroniques dont il a le mystérieux secret, probablement puisé dans quelques rhums vieux retrouvés au fond de la mer, dans les vestiges d’une frégate anglaise venue piller les ressources de l’île. Car il faut le savoir, par deux fois les Hollandais et par cinq fois les Anglais ont tenté de s’emparer de Marie-Galante. Sans résultat, les Marie-Galantais ont toujours repoussé les envahisseurs. Heureusement pour la civilisation. Car ni les Bataves ni les Saxons ne s’y connaissent en rhum, et encore moins en bélélé.
Alors, amie lectrice, ami lecteur, si tu ne sais que faire de ta vie, ce qui après tout peut arriver, débarque sans tarder à l’aérodrome des Basses de Marie-Galante, c’est ainsi qu’il s’appelle, fais le tour des distilleries de l’île en sachant qu’il vaut mieux confier alors sa vie aux boeufs qu’à une voiture de location: si l’automobile s’en va au fossé au premier virage à 59°, le boeuf rentre de lui-même à l’étable. Enfin, pas toujours ! J’en connais qui préfère se faire tirer le portrait en attendant que la grenouille réussisse à se faire aussi grosse. Car, tous les boeufs n’ont pas la chance de vivre à Marie-Galante à tirer des charrettes toute la journée et se rafraîchir à la mare au punch.
Le nom de la mare au punch n’a en fait rien d’amusant. Il provient d’une révolte d’esclaves affranchis en juin 1849, abusés par une tricherie électorale des colons propriétaires de l’habitation la Pirogue, lors des premières élections faisant suite à l’abolition de l’esclavage en juin 1848. Le bourrage des urnes ayant été découvert une révolte éclata, aboutissant à la destruction de l’habitation et le déversement du rhum dans la mare proche, d’où son nom. Les propriétaires en fuite étant poursuivis par les affranchis, la troupe tira sur la foule révoltée, en tuant plusieurs, d’où le nom donné au morne voisin, Morne rouge. L’histoire tragique des Antilles se faufile partout, jusque dans les mares, les mornes et les plages qui longtemps ont fait office de cimetières où reposent dans le sable, les dépouilles anonymes de trois siècles d’esclavage. Marie-Galante est peut-être un paradis oublié, mais Dieu veut que notre mémoire ne laisse rien disparaître des crimes anciens pour oeuvrer à ce qu’ils ne se perpétuent plus sur terre.
Habitation esclavagiste en Guadeloupe
Merci pour ce merveilleux article complet et si bien écrit
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très bien,cet article,merci.sérénité avec aussi tous ces moulins,les chars à bœufs,à l’ancienne,c’est cela la vraie vie! un os pour les cyclones!!y-en a t-il aussi?
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