De l’usage démographique du SIX, premier nombre parfait

Dans de précédents articles consacrés aux six âges du monde, il a été observé combien le chiffre SIX prenait une signification particulière dans une pensée de Blaise Pascal méditée de l’oeuvre de saint Augustin. Ce dernier affirme même n’ y avoir aucune raison de mépriser les nombres, ajoutant que les êtres sont faits non hors des nombres (ex numeris) mais selon les nombres (secundum numeros). En cela, saint Augustin rejoint une tradition de la spéculation sur les nombres qui remonte à Philon d’Alexandrie, philosophe juif héllénisé contemporain du Christ, qu’il développe dans Opificio mundi, notamment la partie consacrée à la tétrade se rapportant au quatrième jour de la création du monde.

Marco Terencio Varron (116-27 avant J.-C.)

Avant même sa conversion, saint Augustin s’est initié à l’arithmétique, ayant vraisemblablement puisé dans Le songe de Scipion de Favonius Eulogius, mais aussi dans De arithmetica de Varron ou encore Introductio arithmetica de Nicomaque de Gérase. Il connaît donc les principes arithmétiques en vigueur à l’époque, et la théorie de la construction des nombres avec leurs propriétés particulières, évoquant dans ses oeuvres et sermons une signification mystérieuse des nombres cités dans la Bible et les Evangiles.

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Antique cité de Gérasa en Palestine, actuelle Jérash en Jordanie

Croyant à la valeur mystique des nombres, saint Augustin en fait l’exégèse, donnant de l’autorité à des spéculations qui ont abouti ultérieurement à développer une prétendue science numérologique qui n’est pas sans beauté et trouve ses admirateurs mais dont ne fait pas partie Blaise Pascal (et l’Auteur virtuel !). Pascal considère qu’un nombre ne doit pas être interprété autrement que pour sa valeur numérique intrinsèque, sauf à ce que l’auteur du texte ait expressément recherché une idée de signe et ainsi voulu donner au nombre une signification symbolique. Les nombres en tant que signes ont alors une valeur arbitraire, conduisant à ce que les spéculations numérologiques soient dépourvues de signification. La numérologie n’est donc pas une science mais une supercherie qu’il convient de vigoureusement dénoncer. Elle ne peut même pas prétendre à l’alignement des astres sur laquelle s’appuie la voyance astrologique ou celui des cartes avec lesquelles les cartomanciennes développent leurs boniments et autres affabulations.

La pensée de Pascal recueillie dans Fragments, Perpétuité, n’en présente donc qu’un intérêt d’autant plus grand par rapport aux réflexions de saint Augustin, qu’elle se limite à une signification symbolique du nombre SIX dont Pascal, en mathématicien de génie qu’il est, n’ignore rien : Ce 6 est le sixième nombre naturel,  le troisième nombre triangulaire et surtout le premier nombre parfait.

Pour simplifier, un nombre parfait est défini comme un nombre entier positif égal à la somme de ses diviseurs stricts, à l’exception de lui-même, mais en y comprenant 1 qui divise tout chiffre. S’agissant de 6, ce chiffre est divisible par 6 qui est exclu, et encore 3, 2 et 1 ; d’où 6 = 1+2+3 + (6-6) = 1x2x3. Nicomaque de Gérase en donne la définition suivante : le nombre parfait ne fait pas que ses parties réunies soient plus que lui-même, il ne se montre pas lui-même plus que ses parties mais il est toujours égal à ses propres parties, ce qui est parfaitement clair.

De Divina Proportione,  ou le nombre d’or expliqué par Fra Luca Pacioli, moine franciscain et mathématicien (1445-1517), tableau de Jicopo de Barbari

Autrement dit, et de manière plus scientifique, un nombre parfait N s’obtient pas la formule : N = 2 n (2 n+1 – 1), en supposant que (2 n+1 – 1) soit un nombre premier. Les nombres parfaits sont toujours pairs, puisque le terme multiplicateur appartient à la série géométrique de raison 2, et ils ont toujours pour plus grand diviseur un nombre premier, donc impair.

Pour trouver ces nombres parfaits, Nicomaque de Gérase a défini une règle simple, connue de saint Augustin :  il faut prendre la série géométrique des nombres de raison 2 à partir de l’unité, 1, 2, 4, 16, 32, …, et chaque fois que la somme des termes de cette série est égale à un nombre premier, multiplier celui-ci par le dernier terme de la série totalisée ; c’est le cas du nombre 6 : 6 = (1 + 2) x 2.

Le chiffre 6 a aussi une autre particularité qui le rend unique  : 6 est 3 ! (factorielle de 3) ; aucun autre nombre n’est à la fois le produit de trois nombres et la somme de ces mêmes trois nombres : 6 = 1 + 2 + 3 = 1 x 2 x 3.

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Des particularités arithmétiques de ce nombre 6 parfait, saint Augustin en fait une interprétation mystique dans La Genèse au sens littéral ou La Cité de Dieu, à propos de la création du monde.

Mais en quoi cela peut-il nous intéresser aujourd’hui que la valeur des nombres est parfaitement connue, que les Traités des chiffres sont légion  et que les propriétés arithmétiques atteignent des sommets astronomiques ? Et bien, tout simplement, à un moment ou à un autre, il faut simplifier et revenir à un usage compréhensible des nombres pour maîtriser leurs valeurs, dompter leurs significations multiples et interprétations divisibles.

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Il en est ainsi de ce nombre 6, premier nombre parfait pour asseoir une division des âges qui soit compréhensible par tous et d’un usage unique dans le temps. Reprenons saint Augustin et Blaise Pascal qui divisent la vie humaine en six périodes, et faisons évoluer cette structuration du temps à l’échelle humaine en tenant compte de  l’espérance de vie de l’Homme dans l’histoire. On obtient le tableau sommaire suivant :

Les six âges

Saint Augustin / Pascal Création de la sécurité sociale (1950) 2012 Perspectives

2040 – 2050

Espérance de vie 1750 < 25 ans

1800 : 30 ans

1900 : 45 ans

H : 63 ans

F : 69 ans

rares octogénaires

H : 78 ans

F : 85 ans

rares centenaires

H : 84 ans

F : 89 ans

nombreux centenaires

1 (déluge de l’oubli) Petite enfance 1 – 6 ans 1- 6 ans 1 – 6 ans 1 – 6 ans
2 Enfance 7 – 12 ans 7 – 14 ans 7- 16 ans 7 – 12 ans.
3 Adolescence 13 – 18 ans 15 – 20 ans 16 – 18 ans 13 -18 ans
4 (Juventus) Jeunesse 19 – 24 ans 21 – 25 ans 16 – 25 ans 19 – 30 ans
5 (Aetas media) Maturité adulte 25 – 36 ans(1750)

25 – 48 ans (1900)

26 – 65 ans 26 – 62 ans 31 – 72 ans
6 (Senectus) Vieillesse >  36 ans (1750)

>  48 ans (1900)

>  65 ans >  62 ans >  72 ans

7

« Repos sans fin »

 Grand âge  Âge de la dépendance  Âge de la dépendance

L’usage démographique du 6 fondé sur les âges de la vie selon saint Augustin et repris par Pascal éclaire d’un jour nouveau l’évolution de l’espérance de vie au cours des 250 dernières années. Voilà trois siècles, l’espérance de vie des femmes et des hommes ne dépassait pas 25 ans, franchissant le seuil de 30 ans seulement à la fin du XVIIIème siècle. L’éradication de la variole au dix-neuvième puis les progrès généraux de la médecine aboutissent à ce qu’en 1900 l’espérance de vie s’élève à 45 ans, puis  à 63 ans pour les hommes et 69 ans pour les femmes en 1950. Depuis lors, l’amélioration des conditions de vie a porté l’espérance de vie des hommes à 78 ans en 2012, et celle des femmes à près de 85 ans, les perspectives  pour 2040 -2050 étant une espérance de vie proche  de 90 ans pour les femmes et 84 ans pour les hommes,  avec parallèlement le maintien en vie de nombreux centenaires alors qu’ils sont encore rares aujourd’hui.

Le tableau simplifié des six âges de la vie met en évidence que lors de la mise en place de l’organisation du système de sécurité sociale entre 1945 et 1950, celui-ci tenait compte de l’espérance de vie, s’agissant notamment de l’âge légal de départ à la retraite, qui fixé à 65 ans équivalait à l’espérance de vie des hommes et des femmes en 1950.

Si la croissance économique des « Trente glorieuses » (1945-1975) a permis de faire face à la forte augmentation de l’espérance de vie durant cette période, d’un point de vue démographique  non seulement il n’a pas été tenu compte des conséquences de cette forte élévation de l’espérance de vie, mais des décisions politiques absurdes d’un point de vue démographique ont déséquilibré encore plus la situation. Aujourd’hui, les systèmes de retraite fondés sur la répartition doivent tenir compte d’une espérance de vie portée à 78 ans pour les hommes et 85 ans pour les femmes, soit de 16 à 23 ans de financement à faire supporter aux générations qui travaillent, comparativement à l’âge légal de retraite. Il en résulte un prélèvement sur la création de richesses annuelle qui dépasse désormais 13% du PIB et qu’il faudrait encore augmenter pour faire face à l’évolution démographique naturelle, excluant à terme en toutes hypothèses, le maintien du pouvoir d’achat des actuels et futurs retraités.

Dans le même temps, on constate que le système éducatif n’a pas tenu compte de l’évolution générale de l’espérance de vie. Il faut remonter au général de Gaulle et aux débuts de la Vème République pour retrouver trace d’une décision d’étendre l’obligation  d’instruction scolaire de l’âge de 14 à 16 ans, par l’ordonnance du 6 janvier 1959. La lecture du tableau des six âges devrait conduire à porter immédiatement l’âge d’obligation d’instruction scolaire jusqu’à 18 ans qui est aussi l’âge de la majorité civile. Ce serait là la véritable réforme de l’éducation à conduire, imposant dans le même temps de tout revoir d’un système à bout de souffle en alignant sur une tétrade éducative les rythmes annuels scolaires du primaire, du collège et du lycée (3 * 4 ans, soit 12 ans au total hors maternelle).

Pyramide des âges de la France en 2014 (sources : INED)

Enfin, pour rendre le système de retraite par répartition plus équitable, et ne plus pénaliser celles et ceux qui font des études, la prolongation de la scolarité au-delà de 18 ans et les périodes de formation de manière générale devraient être prises en compte dans les calculs sur la durée d’assurance. Parallèlement, dans le même temps, au-delà de 60 ans, le travail à temps partiel devrait être facilité pour encourager le maintien en activité jusqu’à 72 ans, l’âge légal de départ à la retraite étant porté dans l’immédiat à 66 ans pour 48 ans de durée d’assurance, y compris les études au-delà de 18 ans, validées par l’obtention de diplômes, ainsi que  les périodes d’insertion professionnelle. A terme l’âge de départ de retraite serait porté à 72 ans, avec des seuils dégressifs de durée du travail hebdomadaire à partir de 60 ans pour tenir compte des facteurs de vieillissement, pénibilité et santé.

Comparaison de la pyramide des âges de la France en 1914 et 2014 (sources : Le Parisien)

La dernière colonne du tableau intitulée « perspectives » donne un exemple de l’usage du 6 en tant que premier nombre parfait, dans le domaine de la démographie en l’espèce : la période de la petite enfance est égal à 1×6 ans, l’enfance à 1×6 ans, l’adolescence à 1×6 ans, la jeunesse à 2×6 ans, l’âge adulte à 7×6 ans, soit au total 2x6x6 ans, égal à 72 ans, soit un solde de 12 ans, 2×6 ans, par rapport à l’espérance de vie des femmes qui est de 84 ans, ce qui correspond à l’effort moyen nécessaire de financement des retraites à taux plein. Il n’y a là rien d’arbitraire quand parallèlement, on constate que l’effort de la Nation pour l’éducation serait équivalent en nombre d’années (3×4 ans), hors maternelle et études supérieures qui, dans ce dernier cas, entrent dans la période de travail en tant que durée de formation destinée au travail, comprise dans la durée d’assurance pour le calcul de la retraite.

Mais cet usage du nombre 6peut s’appliquer à beaucoup de choses, y compris au sonnet des Voyelles de Rimbaud dont l’écriture est fondée sur ce six premier nombre parfait. A celà, pas de mystère, le poète d’ Une saison en enfer était un excellent latiniste, et c’est bien connu le latin mène à tout.

 
Pyramide des âges de la France de 1914 à 2014 (sources : INED)

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