Dans ses mémoires, Philippe de Commynes qui fut le conseiller du roi Louis XI, écrit : notre roi est le seigneur du monde qui le moins a cause d’user de ces mots : J’ai privilège de lever sur mes sujets ce qui me plaît ; et ne lui font nul honneur ceux qui ainsi le disent pour le faire estimer plus grand ; mais le font haïr et craindre aux voisins, qui pour rien ne voudraient être sous sa seigneurie , et même aucuns du royaume s’en passeraient bien qui en tiennent ; mais si notre roi ou ceux qui veulent l’élever ou l’agrandir disaient : j’ai des sujets si bons et si loyaux qu’ils ne refusent chose que je leur demande ; et je suis plus craint obéi et servi de mes sujets que nul autre prince qui vit sur la terre, et qui plus patiemment endurent tous maux et toutes rudesses et à qui moins ils se souviennent de leurs dommages passés, il me semble que cela lui serait grand los ( honneur) et en dis la vérité que non pas de dire : je prends ce que je veux et en ai le privilège, il me le faut bien garder. Le roi Charles Quint [Charles V] ne le disait pas, aussi ne l’ai-je pas ouï dire aux rois, mais je l’ai bien ouï dire à aucuns de leurs serviteurs auxquels ils semblaient qu’ils faisaient bien la besogne ; mais selon mon avis ils se méprenaient envers leur seigneur et ne le disaient que pour faire les bons valets, et aussi ils ne savaient ce qu’ils disaient.
Je prends ce que je veux, telle est la devise actuelle des bons valets de Bercy qui se méprennent envers leur saigneur suprême qui se trouve être non plus le royaume de France mais la République française. Les excès de zèle de l’administration fiscale française ne datent pas d’hier, Philippe de Commynes nous le rappelle dans ses mémoires concernant les règnes de Louis XI et Charles VIII, voilà plus de cinq siècles.
C’est le plus souvent sous la contrainte financière que l’administration fiscale se modernise, comme sous Louis XIV dont les besoins considérables pour financer ses guerres successives conduirent à la création de nouveaux impôts tels que l’impôt du dixième en 1710, plus connu sous le nom de la dîme royale qui deviendra permanent à compter de 1749, mais réduit au vingtième. Appliqué à l’ensemble des revenus de la propriété, il fut substitué à tous les impôts directs tels que la taille ou la dîme du clergé, ce dernier obtenant en définitive d’y échapper en contrepartie du versement d’un don gratuit, une contribution volontaire aux finances du Royaume, qui deviendra coutumière.
La création de l’impôt sur le revenu en juillet 1914, coïncide aussi avec les besoins nouveaux engendrés par l’effort de guerre tandis que la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) créée en 1954 ne se met véritablement en place qu’à compter de 1958 pour se substituer aux pertes de recettes notamment douanières qu’il conviendra de progressivement compenser à la suite de la création du marché commun et de l’ouverture des frontières.
A l’opposé des démarches de modernisation fiscale, abuser du privilège de prendre ce que l’on veut, est la marque acharnée des serviteurs de Bercy qui font leurs bons valets et croient faire bien la besogne. Leur esprit d’imagination en la matière est sans borne au point qu’à l’automne 2012, à la recherche de nouvelles recettes fiscales pour combler un déficit hors de contrôle, chaque jour qui passait une nouvelle taxe était proposée, une nouvelle hausse envisagée, oubliant ainsi la prudence élémentaire préconisée voilà plus de cinq cents ans par Philippe de Commynes qui mettait en garde sur le fait que de tels comportements ne pouvaient que faire haïr le seigneur du monde, en l’occurrence, aujourd’hui, l’Etat.
La leçon à retenir c’est que tout désordre ou abus fiscal engendre une diminution de l’adhésion à la contribution aux charges publiques voire un affaiblissement du consentement à l’impôt qui se traduit par le développement de l’économie souterraine. Depuis une décennie, les gouvernements successifs sont ainsi haïs, et le mot n’est pas trop fort, pour avoir notamment laissé ses serviteurs provoquer maux et rudesses fiscales, toutes choses qui sont un parfait exemple à méditer en matière de politique fiscale.
On ne gouverne pas un pays en multipliant taxes et impôts au point d’en compter plus de deux cent cinquante aux dernières nouvelles de même qu’on ne laisse pas sans surveillance les bons valets jouer au billard dans un mauvais remake des Looney Tunes, cette série désopilante de dessins animés projetés au cinéma en introduction au film principal, entre 1930 et 1969. En quoi les bons valets de Bercy jouent-ils au billard fiscal comme Bugs Bunny, Elmer ou Daffy Duck ? Tout simplement en considérant que chaque agent économique est une boule de billard avec laquelle jouer sans aucune considération de personne, comme si ces agents économiques n’étaient que des êtres abstraits ayant un statut uniquement économique tels que salariés, entrepreneurs, professions libérales, artisans, auto-entrepreneurs, actionnaires ou retraités, et que leurs revenus et patrimoines seraient à la disposition de l’Etat pour combler les déficits suivant le principe de prendre ce que l’on veut et peu importe ce qui leur ait laissé. A Bercy, le bonheur est dans les cuisines fiscales où se concoctent des millliers de pages de codes et procédures fiscaux nappés de doctrine fiscale indigeste.
S’il ne s’agissait que de combler un déficit, à la limite on pourrait le concevoir, toujours en suivant les principes de Philippe de Commynes que les agents économiques consentent à l’effort fiscal dans cette logique bienfaitrice qu’étant sujets si bons et si loyaux, ils ne refusent chose qu’on leur demande.
Malheureusement, les sollicitations fiscales n’ont pas conduit ces dernières années à combler le déficit comme il leur avait été expliqué sans empêcher dans le même temps que la dette continue de filer mauvais coton . Car les bons valets de Bercy jouent au billard, prenant dans la poche des uns pour redonner aux autres, démultipliant prélèvements et redistribution au détriment de l’efficacité économique au point qu’aujourd’hui recettes et dépenses cumulées de l’Etat, des collectivités territoriales et organismes de sécurité sociale excèdent plus de 100 % du PIB, 110% pour être précis : 53% de ressources et 57% de dépenses publiques en 2014, la différence se retrouvant dans une dette dont le paiement est sans cesse reporté au malheur des générations futures.
Cette situation s’explique par le fait que les bons valets de Bercy se déchaînent autour de la table d’un billard américain. Mais au lieu de précipiter les boules dans le trou annoncé après les avoir touchées avec la boule blanche, ils préfèrent jouer inlassablement au billard français dit billard carambole qui se joue avec trois billes en suivant le principe de chercher à entrer avec sa bille en contact avec les deux autres. C’est exactement ce que fait en permanence, Bercy : prendre à l’un et donner à l’autre, au point que plus personne n’est véritablement capable de décrire l’intégralité des mécanismes de redistribution mis en place que ce soit dans le domaine social, du logement, de l’entreprise et de tous les secteurs économiques, jusqu’ la fumisterie qui a perdu la foi du charbonnier.
Ainsi, au lieu de réduire la fiscalité directement prélevée auprès des particuliers et des entreprises , Bercy passe son temps à justifier de l’intérêt de créer des mécanismes de crédit d’impôt de dépenses de recherche (CIR) ou de crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) qui représentent des dizaines de milliards d’euros empochées d’un côté par l’Etat pour être redonnés de l’autre avec une plus ou moins grande parcimonie et volonté suivant des mécanismes d’une complexité susceptibles de donner lieu à contestation fiscale ultérieure par les bons valets de Bercy, sous un plus ou moins bon ou faux prétexte. Et s’il n’y avait que le CIR ou le CICE, mais non, toute la vie économique et sociale est régie par des mécanismes fiscaux d’une complexité incroyable, totalement illisibles, parfois inapplicables tant ils sont complexes, et qui sont systématiquement destructeurs de valeur, car dans le même temps ils imposent aux entrepreneurs, créateurs et innovateurs des règles qui suscitent incompréhension et découragement.
Deux chiffres résument le fait que depuis quarante ans la fiscalité française sape et détruit l’économie française : le code général des impôts (CGI) et le livre des procédures fiscales (LPF) représentent ensemble un volume de textes de 6,4 millions de signes (espaces blancs compris) soit une fois et demie la Bible (dans sa version du Roi Jacques) qui ne comporte que 4,3 millions de signes ; cela constitue, en moyenne, 86 heures de lecture, soit douze jours de lecture si on y consacre sept heures par jour, et sept jours si on y consacre douze heures par jour ce qui est fortement déconseillé pour le psychisme; par ailleurs, en moyenne, entre le cinquième et le sixième du CGI et du LPF est modifié chaque année, ce qui donne une indication de l’instabilité législative, la fiscalité étant la matière normative la plus régulièrement modifiée.
C’est pourquoi, il est urgent d’engager une réforme fiscale en profondeur qui suivrait deux principes : supprimer radicalement le plus grand nombre d’impôts et taxes possibles en compensant une part des diminutions de ressources par augmentation des impôts conservés pour lesquels le consentement à l’impôt est le plus fort ; supprimer les usines à gaz fiscales et autres mécanismes de redistribution inefficaces de sorte de diminuer dans l’immédiat, au moins cinq points la dépense publique, ce qui suppose d’en finir avec l’auto-glorification des bons valets sur les CIR et CICE qui marcheraient. C’est une ineptie. Il vaut mieux laisser les agents économiques disposer directement de leurs revenus plutôt que les imposer pour leur restituer sous des formes bureaucratiques qui n’ont pour mérite que d’occuper les bons valets de Bercy et ruiner le pays.
Car s’il y a une leçon à retenir, elle est connue depuis longtemps, il ne faut jamais laisser les valets devenir les maîtres, le terme de valet n’ayant rien de péjoratif concernant Bercy, puisque cette forteresse est issue de l’administration de la Ferme générale, qui sous l’Ancien régime était une compagnie privilégiée chargée de la collecte des impôts indirects. Le dictionnaire Larousse nous donne un bon aperçu de ces Bons valets .
Quant à ceux qui veulent savoir ce qu’est devenu Bugs Bunny, aux dernières nouvelles il serait majordome à Bercy, chargé des collations et conservation des bouchons de champagne à la direction générale des impôts et finances publiques. Je ne l’y ai pas vu personnellement, mais c’est Elmer que j’ai croisé un « colt des impôts » à la main qui me l’a dit.
Fonctionnaire de la DGFIP en plein travail
Incroyable cet article ! on peut dire que vous avez de l’humour 🙂
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