De toutes les salades françaises, la salade de fruits est la plus jolie

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Dans notre précédente chronique, nous avons évoqué cette salade française ainsi appelée en Macédoine qui dissimule ce qu’on appelle dans l’Hexagone, la macédoine. Il ne nous appartient pas ici de faire un cours de cuisine, encore qu’en regardant l’émission politique Ambition intime aussi évoquée antérieurement, nous avons pu constater que nos hommes politiques en haut de l’affiche aimaient bien laisser croire aux spectateurs ingénus qu’ils savaient jouer de la batterie de casserole devant les fourneaux, à condition d’oublier d’allumer le gaz, un désastre culinaire est si vite arrivé, plus vite encore que de tomber de l’estrade pour se retrouver chauffeur de salle au prochain meeting de l’ultime prétendant de son camp au trône présidentiel. La vie politique est aussi cruelle que la farce pour la dinde.

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 Carte « macédonienne » des régions naturelles de France, plus claire ICI.

Plus ennuyeuse est cette incapacité française d’assimiler non pas les populations étrangères, mais la réalité d’un monde en bouleversement. On évoque la Guerre froide, la chute du mur de Berlin alors qu’un monde nouveau apparaît, surgi de l’explosion démographique des quarante dernières années qui a vu la population terrienne passer de trois milliards en 1960 à 4 milliards en 1975 puis sept milliards et demi d’habitants cette année. La France, dans cette transformation mondiale, ne peut plus raisonner comme en 1914 ou en 1940, elle doit s’apprêter à affronter la situation qui fut celle des Balkans ou du Liban, à l’image par exemple de cette Macédoine de 1892 où coexistaient peuples et religions de divers horizons (voir carte ci-après). Cela suppose pour reprendre une image culinaire, que l’Etat, garant de la Nation française, trouve un creuset pour faire partager aux populations diverses qui vivent sur son territoire, non pas une identité heureuse ou malheureuse, mais une langue qui est le véritable trésor national et qui rayonne bien au-delà des frontières de l’Hexagone, la langue française. Pour simplifier, le présent et l’avenir de la France et des Français, c’est le français, et rien que le français, le ciment indivisible de toute la nation.

Carte ethnologique et religieuse de la Macédoine montrant les Slavo-Macédoniens comme Bulgares

Et pour en revenir à la salade, point n’est besoin de vanter ici ses vertus, cette chronique n’est pas plus destinée au bien-être physique qu’aux excès culinaires dont il faut admirer en France les capacités incroyables de rebondissement. Par une gazette consacrée à la bonne bouffe, galéjade typiquement française, nous avions déjà appris que tout était bon dans le cochon, voilà qu’un magazine défendant un concept inédit de fashion food, nous apprend qu’il existe depuis 2012 une association de femmes gourmandes regroupées sous le nom de Mounia et ses filles à fromage, destinées à promouvoir, citation à l’appui, « notre terroir à travers le fromage, de manière décalée, avec le charme à la française et l’élégance incarnés par nos ambassadrices plus ou moins connues, issues de divers horizons« , dans une perspective d’associer le monde de la gastronomie à celui de la mode. Sans prétendre en devenir l’ambassadeur, un simple titre de consul général auprès des filles à fromage nous conviendrait bien. C’est une perspective alléchante pour un descendant d’Auvergnat et de Normand, défenseur du terroir, Viking en herbe, Celte en drap de velours. Que le grand Cric nous croque, et n’en déplaise au Trump-la-Mort,  la France sera toujours la France, une terre d’enchantement, comme le mentionne une publicité pour bulles de champagne.

Encore faut-il que pour accompagner le plateau de fromage, nous soyons d’accord sur la salade. Et c’est là que tout se complique, comme dirait Sempé. Déjà, il faut se mettre d’accord pour décider s’il faut servir la salade, avant, pendant, voire entre la poire et le fromage, expression subtile qui ne signifie rien moins qu’avant le fromage puisqu’il n’est plus temps après, et encore moins pendant, tant il faut apprendre qu’en matière de savoir-vivre à la française, on ne déguste pas un morceau de fromage sur le pouce, on le respecte, on l’apprécie, on lui réserve un sort tout en prévenance et bienveillance, c’est cela la France, savoir choisir six ou sept fromages parmi mille qui puent plus ou moins, pour dire au monde entier que nous ne serons jamais tout à fait comme les autres, béret sur la tête, pain en paume, fromage sur le plateau, la preuve en un encadré extrait du site cuisinealafrancaise.com (voir en fin de chronique).

Pour en revenir à nos salades, les possédants et grands-bourgeois, autrement appelés les Riches qui aiment en général les programmes politiques brutaux et radicaux, apprécient plutôt la roquette tirée de l’épicier Fauchon, voire de chez Hédiard qui a survécu au mirage russe, et à la rigueur du Bon marché qui ne l’est certainement pas, il ne manquerait plus que les manants fréquentent le septième arrondissement des lodens verts et écharpes blueberries. C’est que les Riches n’aiment pas la salade française au sens vulgaire de macédoine, cela leur rappelle les fins de semaine des pauvres, lorsqu’un bout de carotte, quelques petits pois éparpillés, un morceau de potiron et une ou deux pommes de terre écrasées suffisent au bonheur d’une famille trop nombreuse. Il faut avoir été nécessiteux pour savoir qu’accommoder les restes est plus qu’un art.

Les riches, tout au moins en France, n’aiment pas les pauvres, cela se saurait. Vous imaginez un milliardaire français faire don d’au moins la moitié de son patrimoine pour des oeuvres caritatives ou humanitaires comme le font les milliardaires américains en nombre ? Déjà qu’avec l’ISF, ils sont obligés de s’exiler les malheureux, ils ne vont tout de même pas renoncer à la moitié de leur fortune pour des pauvres qui n’avaient qu’à être riches. Et puis ils sont trop nombreux, tous ces pauvres, tous ces réfugiés, tous ces sans-papiers, tous ces clochards, ces va-nu-pieds sans-abris devenus sans domicile fixe, sans oublier qu’ils peuvent compter sur le Secours catholique, le Secours populaire ou la Mie de pain si bien nommée. Faites le calcul. On compte pas moins de  8,8 millions de pauvres en France en 2016, selon la méthode de l’INSEE qui retient un revenu inférieur à 60% du revenu médian, soit près d’un million de plus par rapport à 2008. Chaque chèque d’un milliardaire qui distribuerait par mégarde un milliard à tous les pauvres, serait en moyenne d’un montant de 113,64 euros, ce qui est fort peu, presque rien et donc inutile d’un point de vue narcissique s’il n’y a pas un avantage fiscal à la clé. C’est dire l’étendue de la pauvreté. Mais soyons, sérieux, avec un milliard d’euros attribuée à une fondation, on peut faire beaucoup de choses, nourrir, vêtir, loger, soigner, surtout quand l’hiver est venu… le milliardaire narcissique de son côté, a bien d’autres préoccupations, la productivité, la rentabilité, l’exploitation des masses misérables, pardon des salariés, la réduction de la masse salariale justement et du déficit de l’Etat bien sûr, sans compter d’écrire des programmes politiques pour politicien ambitieux.

En cuisine, comme en politique, tous deux passées à la moulinette ou au moulin-légumes d’invention française, chaque jour a son lendemain !

Ce n’est pas la façon de voir des milliardaires français. Ils préfèrent spéculer sur l’art, sponsoriser des courses de voile, voire, pourquoi pas, les 24 heures du Mans Classic, en entretenant quelques bolides rouges « vintage ». C’est beaucoup plus amusant. Et c’est ainsi qu’avec l’aide de l’Etat, on se retrouve aux quatre coins de Paris avec des clinquants musées de marques de sac ou de parfum, un effet d’aubaine fiscale comme dirait un économiste en herbe.

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A cinquante ans, si tu n’as pas au poignet une Richard Mille Tourbillon RM 008, tourbillon chronographe à rattrapante achetée 500.000 €, tu n’as pas réussi ta vie et tu ne pourras aider cet heureux horloger suisse à être le sponsor principal de Le Mans Classic, la course des gentlemens en combinaison. Désolé ! On ne dit plus sponsor mais partenaire, that’s so distinguish, of course.

Prix Richard Mille Collection 2004 RM 008 - V2 Tourbillon Chronographe à rattrapante

Pour 500.000 euros, t’as plus rien !

Allons, allons, tous les milliardaires français ne sont pas désagréables, caricaturaux ou détestables. D’ailleurs, ils investissent dans la presse, la détiennent à titre personnel quand ils ne la gavent pas de publicité au rendement des mérites rendus, n’est-ce pas là une bonne oeuvre, ce ne sont pas les journalistes et rédacteurs en chef de ces journaux et revues qui diront le contraire. Il faut bien que la presse vive quand les milliards de l’Etat déversés pour les canards boiteux que sont les quotidiens Le Monde, le Figaro, le Parisien, Les Echos ou encore Libération tous détenus par des milliardaires, ne suffisent pas. Vous voyez qu’un milliardaire  narcissique sait être utile. Il nourrit les journaleux et intellectuels d’ambiance qui font l’opinion, et si nécessaire les sondeurs dont les legos algorithmiques influencent cette même opinion au jour le jour tandis que les  entreprises du CAC 40 assurent les fins de mois de tout ce petit monde par le biais des enquêtes de consommation ou la publicité. Le « mur de l’argent », expression désuète au possible, se trouve là aujourd’hui, dans les entrelacs des journaux et des sondages, et tous ces retours discrets attendus pour les services rendus en belle et bonne monnaie sonnante et trébuchante.

Liste des 30 trente titres de presse les plus aidés  par l’Etat en 2014, soit au total plus de 150 millions d’euros hors TVA réduite à 2,1% et les aides à Presstalis pour la diffusion, soit 197 M€ (source : Assemblée nationale) : la connaissance et le savoir n’ont pas de prix !

Mais, me direz-vous donc, que viennent faire là nos milliardaires dans cette salade française ? Ils aiment la roquette et ont un mauvais souvenir de la macédoine, mais encore ? Et bien, je vous le dis en vérité, ces milliardaires qui font l’opinion, ces grands bourgeois qui répètent aux six coins du pays la bonne parole drapée de vertu, qui n’a rien de chrétienne, ils n’aiment pas la salade de fruits jolie, jolie, surtout pas celle de Bourvil, ils la détestent. ils préfèrent la compote de pomme en boîte d’aluminium que les bénévoles distribuent aux repas des Restos du coeur ou dans les réseaux de la banque alimentaire.  C’est si bon la compote et c’est si pratique, on achète la paix sociale pour quelques pommes sur-stockées à écraser, on laisse croire à tout un peuple qu’il est formidable de générosité pour quelques euros défiscalisables et on pulvérise chaque année l’audience de la chaîne du bétonneur sans un euro d’investissement, que ne ferions-nous pour obtenir une minute supplémentaire de publicité, même valser un tango avec le diable en personne est désormais possible les jours de grand audimat.

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Et c’est pourquoi l’auteur virtuel trouve à Bourvil un autre grand mérite en dehors d’être Normand, ce qui n’est pas donné à tout le monde, même par moitié ou pour un quart. Il se souvient du titre d’un livre de Léo Perutz, Où roules-tu petite pomme ?, et se dit qu’après tout, il vaut mieux que sa petite pomme tombe de l’arbre, roule au fossé, soit ramassée par une jeune Africaine égarée dans les champs  ou par un Syrien affamé, que de se retrouver en tranche de pommes pour garnir un plateau à fromage avant les douceurs du dessert qui ne seront jamais à Passy, Auteuil ou Neuilly,  une salade de fruits jolie, jolie, jolie,  telle qu’il les aime avec Bourvil.

Où roules-tu, petite pomme ? par Perutz

« Trois millions de lecteurs ont lu la première édition de ce roman, qui parut en 1928 en feuilleton dans le plus grand magazine du continent, la Berliner Illustrierte Zeitung, et dont le titre devint bientôt un véritable slogan exprimant l’incertitude et l’angoisse des gens devant l’avenir. Dans une lettre adressée à Perutz, Ian Fleming, le créateur de James Bond, écrivait en 1931, après avoir lu ce roman:  » Si le terme de génie, si galvaudé, n’avait pas perdu depuis longtemps toute valeur et toute signification, j’aurais tout simplement qualifié ce livre de génial. « 

Pour les paroles de la chanson de Bourvil qui est un hymne à l’Amour, c’est ICI. Pour la musique, en dessous. Et pour l’art de composer un plateau de fromages à la française, c’est en dessous d’en dessous. et pour les filles à fromage,  c’est LA.

 

L'art de servir le fromage en France

C'est la dernière saveur salée avant les douceurs du dessert. Selon le style du repas et le nombre des convives, on peut opter pour une variété unique, Brie, Vacherin ( entier et d'une qualité parfaite), ou pour le classique plateau de six ou sept variétés différentes au moins. Mieux vaut qu'il soit grand, ce plateau. Les fromages doivent y être au large. Si vous êtes très nombreux, prévoyez en deux. Disposez au moins deux couteaux (spéciaux à deux dents) sur chaque plateau, un pour les saveurs douces, l'autre pour les corsées. Pour les fromages frais, ou mous comme le vacherin, prévoyez une cuillère de service.
Indispensables pour accompagner le plateau : une corbeille bien garnie de pains différents, campagne, seigle, pain au noix, au cumin, ou même pain d'épices ; Du beurre, soit en beurriers individuels, soit en beurrier central pour quatre convives ; Et éventuellement des condiments, cornichons, confiture d'oignons, fruits selon la saion (raisins, noix, tranches de pommes ou de poires )
A l'exception de ceux de toute petite taille (crottins...), les fromages doivent être entamés. S'il ne le sont pas, l'hôte ou à défaut, l'hôtesse, se chargera de le faire avant de présenter le plateau aux invités. Le principe de partage des fromages est le suivant : que chacun ait la même part, du coeur à la croûte. Donc, les ronds et les carrés se coupent en triangle comme un gâteau, les cylindres allongés, en tranches comme un saucisson, les pyramides et les cônes en portions proportionnelles, les persillés en tranches (Roquefort, Bleus..) en gros quartiers débités en éventail à partir du milieu. Les petits fromages ronds ou cylindriques se coupent simplement en deux, les tout petits (Bouton-de-culotte...) ne se partagent pas. Les pâtes pressées cuites (Emmental, Comté...) présentées en morceaux rectangulaires se partagent en tranches régulières à partir de l'entame après avoir ôté la croûte d'un côté. Enfin les pâtes pressées, type St Nectaire, ou Tomme, présentées la plupart du temps en demi ou quart se découpent aussi en tranches parallèles à l'entame.
La dégustation du fromage obéit encore aujourd'hui à des règles strictes. On ne repasse pas le plateau, on ne se ressert pas, et à l'exception des fromages frais, ou des crémeux comme le Vacherin, qui se dégustent (salés ou sucrés) à la cuillère à entremet (ou à dessert), les fromages sont toujours consommés au couteau, jamais à l'aide de la fourchette. On enlève la croûte, on coupe un petit morceau, et on le déguste sur une bouchée de pain (et non à la pointe du couteau!)
http://www.cuisinealafrancaise.com/fr/11-manieres-de-table

 

Et surtout, n’imaginez pas plaisanter avec le fromage. Ce serait probablement l’ultime raison de notre pays épuisé, éclaté et divisé d’entrer en guerre, comme en témoignent les conflits bureaucratiques successifs passée avec l’Union européenne ou l’Amérique sur les fromages qui puent : vous en connaissez beaucoup de pays capables de consacrer un documentaire de 50 mn sur un tel sujet ?