Les écluses du ciel

Sortie de l’arche sur le mont Ararat

S’il vous arrive d’oublier une citation biblique ou votre parapluie, soyez rassurés, Dieu aussi oublie, comme nous le rappelle discrètement la Genèse :

Alors Dieu se souvint de Noé et de toutes les bestiaux qui étaient avec lui dans l’arche ; Dieu fit passer un vent sur la terre et les eaux désenflèrent. Les sources de l’abîme et les écluses du ciel furent fermées ; – la pluie fut retenue de tomber du ciel et les eaux se retirèrent graduellement de la terre ; – les eaux baissèrent au bout de cent cinquante jours et, au septième mois, au dix-septième jour du mois, l’arche s’arrêta sur les monts d’Ararat. Les eaux continuèrent de baisser jusqu’au dixième mois apparurent les sommets des montagnes.

Monastero di Khor Virap, monte Ararat, #Armenia. Itinerario completo su kel12.com

Monastère de Khor Virap et le mont Ararat, vu de l’Arménie

 Il faut reconnaître à la Bible une précision rare dans le récit, la maîtrise des mois, des jours et des heures est égale à celle des années au point qu’on apprend qu’avec l’aide d’un corbeau et d’une colombe, on sait exactement quand la terre est déclarée sèche après le déluge : C’est en l’an six cent un de la vie de Noé au premier mois, le premier du mois, que les eaux sèchèrent sur la terre. Mais attention, il faut attendre au second mois, le vingt-septième jour du mois, pour que la terre fut sèche. Heureusement Noé est patient !

Il est plus facile de décrire la décrue après le déluge qu’un génocide. Dans un cas, il existe des témoins alors qu’en matière de génocide, les témoins sont rares, et on peut difficilement s’en remettre aux peintres  quelques siècles plus tard pour raconter ce qui s’est vraiment passé.

Ainsi en est-il de l’épisode confus des Dix mille martyrs sur le mont Ararat, un récit historique plus proche de la légende qui raconte comment dix mille Chrétiens furent passés par le fil de l’épée en 130 ou 140 après Jésus-Christ, sous l’empereur Hadrien. Le Carpaccio et Durer nous donnent leurs versions fort différentes.

Le martyr de dix mille chrétiens sur le mont Ararat    

Le martyre des dix mille Chrétiens sur le mont Ararat,

œuvres d’Albrecht Durer et Vittore Carpaccio

Vingt siècles plus tard, l’affaire se compliquerait pour un peintre s’il devait représenter le martyre de millions d’Arméniens lors du génocide des années 1894-1922. On change d’échelle, non pas tant en cruauté que dans le nombre. Car c’est le caractère principal des génocides du vingtième siècle, cet aspect quantitatif, le changement de volumétrie. Il faut des moyens, de l’organisation, de la technique. Les Arméniens occidentaux furent les premières victimes de cette industrialisation de la mort en chaîne, à l’heure où Ford dans le monde automobile automatisait les chaînes de production.

Les crimes de masse sont à l’image de notre monde, comme en a témoigné d’une certaine façon, les attaques terroristes du 11 septembre 2001 avec le recours aux avions. Croire que les assassins decidés à éradiquer des populations entières se limiteront à recourir au couteau ou à la Kalachnikov est faire preuve d’un aveuglement pathétique. Nous vivons à l’ère du drone, les criminels aussi. Il faut s’en souvenir et veiller.


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Cathédrale d’Edjmiatzin Arménie