Sur ma route

Ste Croix deux plaques

Alors que l’apprentissage du code de la route fait désormais appel à des questions fantaisistes adressées aux candidats pour évaluer leur culture générale plutôt que la signification vulgaire mais utile, des panneaux de circulation et des principes de priorité relégués en option facultative, on peut espérer que les plaques de cocher retrouveront leur grandeur perdue pour attirer à nouveau le regard des automobilistes, ou plutôt celui des camionneurs qui sont plus à la hauteur de ces panneaux insolites pour lesquels une poignée de fervents admirateurs se bat pour les sauver des intempéries et flétrissures  [ouf ! Voici une phrase  à tweeter en quatre fois, alors qu’il suffit d’écrire : les plaques de cocher sont menacées de disparition, sauvons-les !]

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Plaque de cocher en forêt de Bercé, à hauteur de 2 mètres du sol.

Vouloir sauver les plaques de cocher est une entreprise curieuse à l’heure où le guidage par satellite (GPS) rend obsolète nombre de panneaux indicateurs qui fleurissent sur les routes comme autant de pissenlits, chardons ou coquelicots selon leur couleur. Bientôt la circulation de véhicules entièrement autonomes permettra peut-être de se passer des feux tricolores, des radars et des gendarmes en même temps que des conducteurs appelés à jouer de la clarinette, du saxophone ou de la contrebasse pendant le parcours entièrement confié à un robot comprimé en boîte comme une sardine, histoire de libérer le siège pour un passager épris de musique ou de paysage, le temps d’un voyage entièrement dédié à la romance, dont on sait avec Florian que Plaisir d’amour ne dure qu’un moment, tout comme se rendre d’un point à l’autre en auto devenue silencieuse par la magie de la fée électricité.

Avant d’être européennes ou nationales, les routes furent impériales

C’est que l’homme moderne est appelé à bénéficier des bienfaits des progrès de l’humanité. Les voitures ne rouleront plus sans être pour autant des avions ou hélicoptères. Elles survoleront d’un mètre ou deux la chaussée et se croiseront dans les airs comme dans un ballet, sans mettre la gomme au sens litéral du terme. Les passagers pourront alors au carrefour admirer les plaques de cocher qui retrouveront toute leur utilité, comme quoi l’entretien de leur émail est indispensable pour ne pas se gausser de l’avenir, ce dernier a une légère tendance à se moquer du monde, n’être jamais comme on l’attend, il paraît qu’il appartient à ceux qui se lèvent tôt, et pourtant, de jour comme de nuit, à l’aurore comme au crépuscule, nul ne le voit advenir, reportant au lendemain sa venue.

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Certaines plaques de cocher, à l’initiative du Club alpin français (CAF) indiquent le chemin à partir du pré de madame Carle vers les refuges situés dans les sommets du massif des Ecrins.

C’est pourquoi, nous avons toujours besoin de ces plaques de cocher que l’administration des ponts et chaussées, dans sa grande sagesse, avait fixé à une hauteur de deux mètres trente, histoire que les cochers assis sur leur siège ou les postillons juchés sur les chevaux de l’attelage, puissent les lire sans se tordre le cou. C’est que nous tout oublié de la chaise de poste et d’Hubert son postillon maintenant que nous avons Uber et son conducteur posté, immobile et nonchalant au coin de la rue, attendant qu’un chaland l’appelle en utilisant une application mobile qui fait le désespoir des chauffeurs de taxi.

La plaque Michelin marque l’entrée dans le monde de l’automobile des panneaux indicateurs

Le monde change. Mais les plaques de cocher sont là pour nous rappeler qu’en matière de toponymie ou de routes, les principes sont les mêmes, que les noms de lieux soient en latin ou français, et les voies romaines bien avant d’être vicinales, départementales ou nationales. Les-Ponts-de-Cé qui enjambent la Loire à proximité d’Angers, s’appelaient les-Ponts-de-César lorsque la ville est mentionnée par Ptolémée sous le nom de Juliomagus, pour prendre au Bas-empire le nom de Civitas Andecavorum en référence au peuple gaulois des Andécaves transformé progressivement en Andecavis, Andegavis, Angieus, Angeus et Angiers au XIIè siècle.

Les plaques de cocher n’ont pas que le mérite de donner des distances routières. Il arrive qu’elles mesurent des pacours fluviaux ou signalent l’élévation des cours d’eaux, nous rappelant que les voies navigables permettaient le transport des marchandises et des hommes à une époque où le chemin de fer n’existait pas et les transports routiers limités par la capacité des chevaux à tirer de lourdes charges. Tout celà n’est guère lointain, à peine deux siècles, depuis qu’un ingénieur des ponts et chaussées, un certain Legrand, en 1813, soumet à Napoléon Ier l’idée de relier par chemin de fer la capitale française aux grandes villes des façades atlantique et méditerranéenne  ou des frontières du Nord et de l’Est. Ainsi est né le projet de construction en étoile du réseau ferré français qui demeure à ce jour l’ossature des chemins de fer actuels, y compris après la construction des voies de TGV.

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Une plaque de cocher restaurée

Depuis quelques années, la France a renoncé à faire feu de tout bois en matière d’équipements, de construction, de travaux publics. Elle ne s’en remet plus aux ingénieurs phosphorant et carburant à l’intelligence des plans et des calculs, elle préfère la poésie des chenilles processionnaires, la protection des hannetons, la sauvegarde des libellules, des papillons et des fourmis spadassines, bientôt prête à trouver des charmes assassins aux moustiques tigres. L’écologie est devenue une marque d’arrogance pour les ignorants, et le « bio » l’étendard égoïste des Bobos engoncés dans le confort des sofas, incitant des zadistes, véritable armée clandestine, à empêcher ici la construction d’un aéroport, là un barrage, un pont ou une route.

A ce rythme et avant même l’émergence des voitures volantes, les panneaux de circulation disparaîtront sans tenir compte de celles et ceux qui ne peuvent lire un itinéraire par GPS et ne roulent, désargentés, qu’en bagnole d’un autre temps, celui des moteurs à explosion. Ils n’ont plus leur place dans ce monde qui appartient aux possédants et aux indifférents. Ce serait sans tenir compte des vestiges en faïence ou en émail des temps immémoriaux où les cochers régnaient en maître sur la route, maniant le fouet pour donner de l’ardeur aux chevaux et rouspétant à l’étape au relais de poste, quand la soupe n’était qu’eau chaude, le café bien trop tiède et le foin affreusement mouillé pour des chevaux épuisés qui n’étaient pas à vapeur.

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Plaque au mur d’une maison d’Argentière-la-Bessée dans les Hautes Alpes, indiquant la distance en heures à dos de mulet sur le seul chemin accessible pour se rendre à Ailefroide

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Indicateur de distances le long de la Loire, à Oudon

Pour ceux qui souhaitent mieux connaître l’histoire du patrimoine routier et plus particulièrement celui des plaques de cocher, on conseillera le site remarquablement documenté : plaques de cocher. On y trouve notamment des plaques géographiques d’une extrème précision, à partir de renseignement apportés par la société de Géographie, comme quoi le GPS n’a fait que poursuivre et accélérer à l’échelle mondiale des travaux menés depuis longtemps.

Plaques géographiques dans le Rhône

Et comme chante Black M, sur ma route, il se peut qu’on ne sait pas toujours où l’on va, mais on finit toujours par retrouver son chemin, il y a toujours une plaque de cocher au carrefour d’une rue de village, au milieu des champs ou d’une forêt.