Mais où est donc passé le pays de mon enfance ?

Morannes – Page 3 – Café de RÊVE CLAIR

Voici une chronique publiée le 10 novembre 2016, veille du 11 novembre, au neuvième jour suivant la journée consacrée à la commémoration de tous les fidèles trépassés, qui suit celle de tous les Saints. Inspiré par Joachim du Bellay dont le petit Liré se trouve en Anjou au Sud de la Loire et Chateaubriand, originaire de Combourg où, pour s’y rendre, il faut se diriger vers le Nord-Ouest, sans oublier René-Guy Cadou errant vers Chateaubriant, l’auteur virtuel se souvient des premières années de son enfance jusqu’à l’entrée dans le nouveau millénaire qui n’est que le vingt-et-unième siècle à une échelle plus humaine. Relisant cette chronique d’un temps révolu, à la réflexion, il n’y a rien à retrancher et rajouter ou presque, si ce n’est qu’il arrive, tôt ou tard, que les osselets tombent à terre. Et pas que les osselets, les églises aussi comme celle de Morannes où un arrêté de péril aété pris en ce mois de mars 2023.

C’est dans le Haut Anjou que la Congrégation des Petites Soeurs de Saint François d’Assise, a été fondée par Louise Renault, née à Morannes et baptisée à l’église Saint Aubin où, devenue mère Joséphine, elle demeura toute sa vie à la Maison de la Fraternité et de la Paix, implantée place du marché. 

Quant au « petit matin des hirondelles scolaires » évoqué ci-dessous, c’était celui des enfants de paysans  qui parcouraient à pied ou en vélo, pour certains cinq à six kilomètres, qu’il pleuve, qu’il vente ou qu’il neige, dans les brumes d’automne, les brises de l’hiver, les giboulées du printemps, consacrant les vacances d’été aux foins sous le soleil.

Voici la chronique après que l’essentiel ait été ajouté, y compris un dernier message qui ouvre des perspectives sur tout l’univers. Et puis, merci aux Petites soeurs d’avoir accompagné l’un des médecins de campagne de ce bourg, dans leurs missions communes : soigner le malheur des hommes sur un territoire couvrant douze villages du Haut Anjou.

Morannes

Plus tard, quand je serai vieux et si Dieu veut, je raconterais mon enfance passée au bord d’une rivière douce dans un village sans histoire ou presque, peuplé du souvenir de nos ancêtres dont certains noms sont gravés sur le monument aux morts célébrant l’infortune des guerres récentes. Mais pour le moment, occupé à gagner ma misérable vie, il ne me reste que le temps de glaner des fragments de souvenirs éparpillés aux quatre coins d’une mémoire défaillante. Et lorsque je soulève la poussière accumulée sous le tapis des joies et des douleurs, j’entrevois des alignements de pommiers et poiriers, un sillon de billes et de boulets sous le préau d’école, la chute inéluctable des osselets jetés en l’air et la carte écornée du loup rusé d’un jeu de mistigri.

Enfants, nous n’avions alors pour tout terrain de football qu’un pré boueux prêté par un paysan où des troncs endormis d’ormes servaient de poteaux de but, avec pour spectateurs quelques taupes et blaireaux bayant aux corneilles sous le regard d’une chouette blasée.

49-MORANNES...LA PLAGE ET LE CAMPING...CPM ANIMEE - France

Quant à la piscine, elle se résumait à des pontons de bois recouverts de goudron, flottants dans la rivière où se prélassaient des boudins noirs de tracteur qui faisaient le bonheur des plongeurs. Il n’était pas question de terrains de tennis ou de salle multisports, encore moins de pistes de skateboard ou VTT ; les chemins creux de campagne remplissaient largement nos rêves d’exploits vélocipédistes.

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Ce pays de notre enfance situé dans le grand livre du temps au siècle dernier, n’était au fond guère différent de ces territoires d’Empire sans gloire vautrés dans la misère d’Ancien régime, que les Bourbons et le Corse féroce ont cruellement laissé dériver sans postérité tandis que la République de son côté se contenta d’abord de déguiser  les va-nu-pieds en sans-culottes avant de les grimer en poilus affublés d’un pantalon garance d’outre-tombe.

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Bourg d’un village du Haut Anjou, dont le centre tel qu’en lui-même demeure

Et pourtant nous n’étions point malheureux dans ce paysage nuageux de bocage filandreux, où les leçons de choses à l’école s’accompagnaient d’une visite matinale au boulanger qui pétrissait la farine sans se rendre compte qu’il allait produire ainsi un pain artisanal  bien meilleur que le croûton bio préféré des citadins à l’esprit émietté pour ne pas dire égaré hors des sentiers de la nature.

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Et pourtant, pour toute classe verte, de neige ou cul-culturelle, nous allions, toujours au petit matin des hirondelles scolaires, écouter doctement le maréchal-ferrant qui, comme son nom l’indique pour ceux qui ont tout oublié, ferrait les chevaux de labour au son du marteau. Et nous arpentions ainsi tout le village pour saluer les artisans du labeur, coiffeur ou cafetier, meunier, savetier et ferronnier, sans réaliser un instant, au milieu d’un siècle qui n’est plus, que tout un monde disparaissait en silence dans le vacarme de tous ces jours éperdus d’ennui, qui menaient à l’hospice.

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Car il arrivait aussi d’apprendre que le grainetier s’en était allé dans la grange qui n’était pas le moulin pendu sur la Sarthe,  étrangler tout son désespoir ou que le jardinier de la petite noblesse avait roulé  d’une balle dans le fossé pour y éteindre les dettes intraitables d’une ruine galopante. Jusqu’à la plus belle fille du village fut atteinte devenue grande, du mal incurable d’en finir avec cette vie morne à force d’en être quelconque.

A la poursuite des LENTAIGNE – Feuilles d'ardoise

Moulin pendu sur la Sarthe, au temps de sa splendeur.

On y trouve parfois de  grandes maisons à vendre, 11 pièces, 262 m², 265.000€.

Et pourtant, il nous arrivait même d’être heureux quand le curé de la paroisse pour ses bonnes oeuvres, nous envoyait soutirer quelques sous aux fermiers retranchés dans leurs champs, avec pour toute douve, une mare aux canards et quelques lapins faisant office de garde rapprochée du palais en torchis. On y allait de bon matin pour tremper dans un bol de café au lait des rillettes étalées sur du gros pain, qui ne faisaient plus rire le cochon suspendu au plafond. Et la fête était totale quand le paysan cherchant quelques pièces dans ses poches, versaient des gouttes de gnôle pour améliorer l’ordinaire du petit noir, suivant le principe que ce qui n’a jamais fait de mal aux générations précédentes ne pouvait qu’être bénéfique aux nouvelles qui se bousculaient au portillon des espérances, tout cela s’accompagnant d’une ivresse de bonheur en grillant des maïs ou des gitanes, autant de signes discrets secrètement évanouis dans la fumée, d’une appartenance au monde des hommes en gapette, qui ne font pas tout un foin pour une clope au bec d’un gamin.

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Et puis, nous n’avions point besoin alors de regarder le soir une émission telle que le Bonheur est dans le pré pour savoir que sans un sou vaillant il était possible d’être heureux et de surmonter à force de volonté, tous les chagrins en suivant à pied et en silence, un corbillard traîné en toutes saisons par un cheval noir insaisissable de désespérance, dans une odeur d’encens destinée à soulager la peine des infortunés en pleurs, car personne n’ignorait en ruminant le long de ces pénibles et interminables ruelles qu’il faudrait bien se mettre, un jour ou l’autre, à la disposition miséricordieuse du fossoyeur.

Cinquante ans ont passé, le village de mon enfance n’est plus bercé par le bruit cliquetant des michelines d’antan ou recouvert de la sueur épuisée des locomotives à charbon, il est désormais traversé par un TGV pressé qui ne s’y arrête jamais sauf lorsqu’il percute un désespéré, tandis que la coopérative agricole a supplanté le grainetier et liquidé le maréchal-ferrant. De leur côté, le boulanger, le boucher et l’épicier survivent dans la misère des jours pluvieux, à l’ombre du carrefour des supermarkets supergéants qui sont au commerce ce que le pissenlit est aux parcs et aux jardins, un casino aux champs où s’égarent dans un univers de béton, d’acier trempé et de  verre opaque, des consommateurs trompés bien plus que détrempés.

Morannes sur Sarthe-Daumeray | Mapio.net

Choeur Plantagenêt d’une église de village dans le Haut-Anjou

Alors, au milieu des églises vides et des autoroutes surchargées, dans le flot des files indiennes se bousculant pour accoster les avions low-cost en début de weekend, ne me demandez pas ce qu’il faut penser de Donald Trump trompettant que la France n’est plus la France. Il ignore les concours internationaux de pêche à la ligne partant de la gare avec fanfare pour rameuter la populace et taquiner goujons et brochets !

Voilà quarante ans que notre cher vieux pays croulant chaque jour un peu plus sous les déficits, les dettes et le chômage, a choisi la voie du renoncement, abandonnant toute ambition d’être un havre de paix et de liberté, un phare pour les nations européennes et les peuples francophones, soulageant autant qu’il se peut l’immense misère du monde. Il serait temps de retrouver un peu de sens commun, de regarder le monde tel qu’il est et imaginer avec un peu de bonne volonté et de courage, que la France est évidemment capable de redevenir le pays de notre enfance, celui de notre jeunesse éternelle, une nation vieille de mille cinq cents ans, constituée d’un peuple sans cesse renouvelé par de nouveaux Elus bienvenus, un peuple qui a toujours tout supporté et supportera toujours tout, pourvu qu’il y ait du vin, du pain et des quenelles au lieu des sempiternelles querelles, afin que le soir venu pour celui qui nous quitte, nous puissions une dernière fois, nous retrouver ensemble au banquet des souvenirs perdus.

C’est en évoquant notre enfance perdue et retrouvée, qu’il arrive de se souvenir que François d’Assise est allé les mains nues à la rencontre du Sultan, rencontre qui est celle de deux Croyants comme en témoigne un autre François qui poursuit le dialogue en priant dans les Emirats ou au Maroc.

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Pour les amateurs de fanfare, on conseillera la lecture de Jours de fanfare dans le Haut Anjou, qui est à la littérature ce que la grosse caisse est à l’harmonie.