Un de mes amis a pour habitude de répéter que la mort d’un homme a pour tragédie corollaire de provoquer la perte irrémédiable d’une bibliothèque. Il n’a pas tort. Chaque être est une bibliothèque vivante, au sens large, une bibliothèque des sensations, regroupant les livres, objets, lumières, senteurs, goûts, sons et expérimentations se rapportant aux six facultés sensorielles que tout humain porte en lui : la vue, le toucher, le goût, l’ouïe, l’odorat et le désir.
La lecture, la musique, les parfums, les objets, les couleurs et les attirances sexuelles ont des liens spécifiques à chaque être humain qui répondent à des lois générales de correspondances que la nature et les règles de vie en société s’efforcent de conserver invisibles et perpétuer pour maintenir les êtres humains dans l’ignorance de leurs chaînes, hors les chemins de la liberté. Or, la liberté n’est pas qu’une histoire de droits et obligations octroyés dans le cadre de chartes, préambules ou constitution appelés simplement à fortifier juridiquement les droits de l’homme. La liberté est d’abord humaine, c’est à dire individuelle, spirituelle et physique, avant de constituer des droits dévolus à l’ensemble d’une communauté. Et l’homme n’est pas simplement libre en cultivant son jardin. Il doit aussi, avec abnégation, enrichir la bibliothèque des sensations qu’il possède en lui-même, selon ses capacités propres, les circonstances et l’obstination du hasard.
Ce sont ces « correspondances cachées » et « intelligences secrètes » que la présente rubrique s’efforcera de mettre régulièrement en évidence.