Le sanctuaire Dominus Flevit à Jérusalem

29 octobre Dominus Flevit (2)

Après avoir quitté le carmel du Notre Père et longé le cimetière juif, descendant le mont des Oliviers, peu avant la vallée du Cédron, le panorama sur Jérusalem se rétrécit et la vue sur la vieille ville enserrée dans ses remparts, se précise, notamment sur l’esplanade des mosquées parfaitement visibles, le dôme doré du Rocher brillant tout particulièrement dans le ciel bleu automnal.

29 octobre Jerusalem vu de Dominus Flevit (2)

La vue est si resplendissante que l’on pourrait passer par le chemin qui descend sans apercevoir le sanctuaire de Dominus flevit dissimulé par un mur de pierres de couleur identique à la façade de la chapelle.

29 octobre Dominus Flevit (10)

Heureusement, une plaque attire notre attention. Les anglo-saxons toujours un peu lents à la détente, bénéficient d’un rappel bienvenu dans leur idiome, ce qui change tout, Sanctuarium Dominus Flevit devenant : THE Sanctuary OF THE Dominus Flevit. On est tellement habitué à la domination mondiale de THE english language que même les Franciscains en perdent leur latin, probablement fatigués d’indiquer aux Texans où se trouve THE sanctuary.

29 octobre Dominus Flevit (1)

Oublions un peu les gars de l’Okhahoma et pénétrons dans le sanctuaire. Y a foule, on se croirait à Lourdes un quinze d’août ou sur la place du Vatican un jour d’audience, à moins que ce soit tout simplement jour de soldes, tant on se bouscule et que la foule piétine.

C’est pour cela que certains portent des casquettes jaunes ou d’autres des casquettes rouges, ce qui n’empêche pas aux pèlerins en groupe de se tromper de bus à l’occasion, il faudrait les peindre de la même couleur que les casquettes, pas les pèlerins mais les bus, on a vite fait d’en retrouver sur les bords de la mer morte alors qu’ils devraient se trouver au tombeau du ressuscité au milieu des moines grecs qui attendent son retour en faisant l’obole, en encensant et en vendant des cierges.

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Toujours est-il que, miracle d’un jet discret de boules puantes, on arrive à prendre des photos de la chapelle édifiée en 1955 sans qu’il n’ y ait foule qui s’y pressât tout autour. Croyez-moi, un bon pèlerin ne doit pas se déplacer à Jérusalem sans quelques farce et attrape s’il veut réussir à prendre d’inoubliables photographies pour un usage qui sera forcément dicté par les voies impénétrables du Seigneur.

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La chapelle n’est pas très grande, volontairement humble. Elle est récente, ayant été commandée à l’architecte italien Barluzzi qui, après-guerre, a construit ou restauré de nombreux lieux de culte catholique en Terre sainte pour le compte de la custodie franciscaine à qui la garde des lieux a été confiée par la papauté depuis sept siècles.

Le lieu s’y prêtait. On a retrouvé des vestiges d’un ancien monastère du Vème siècle qui détruit fut remplacé par une mosquée, elle-même disparue dans l’une ou l’autre de ces tourmentes qui ensanglantent l’histoire de Jérusalem depuis des siècles. La forme architecturale de la chapelle est celle d’une larme, en relation directe avec les paroles de l’Evangile qui ont justifié l’édification du sanctuaire, Dominus flevit :le Seigneur a pleuré.

Dédié au culte catholique, on peut y célébrer des messes, il suffit de réserver à l’avance auprès des Franciscains qui mettent à disposition, lieux, ciboires et hosties, sans oublier la chasuble et l’étole ornementées de la Croix de Jérusalem. Il s’agit d’une croix à quatre branches dont chacune se termine par un Tau, quatre petites croix indiquant les quatre points cardinaux vers lesquels la parole du Christ s’est diffusée à partir de Jérusalem.  . Cette croix très ancienne est le symbole de la custodie franciscaine de Terre sainte.

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La vue de l’intérieur de cette minuscule chapelle est magnifique, tournée vers le Saint Sépulcre, et donc de ce lieu vers l’Ouest ce qui déroge à la tradition chrétienne des constructions cultuelles dont la nef indique la direction de l’Orient, le lever du soleil, et non Jérusalem. Une autorisation papale a été accordée en raison même de ce qui a justifié la construction du sanctuaire, le fait que le Christ n’a pas seulement pleuré, mais a pleuré sur Jérusalem.

vue de Jérusalem depuis Dominus Flevit

Car, entre la beauté des lieux et le bruit des pèlerins, nous en avons oublié ce pourquoi nous sommes entrés dans le sanctuaire, ce passage de l’Evangile qui ne se trouve que dans la version selon Saint Luc, en 19, 41-44, un événement qui précède son agonie au jardin de Gethsémani et son arrestation, cette lamentation sur Jérusalem intervenant lors de son entrée messianique à Jérusalem, le jour dit des Rameaux :

Quand il fut proche, à la vue de la ville, il pleura sur elle, en disant : «Ah ! si en ce jour tu avais compris,  toi aussi, le message de paix  ! Mais non, il est demeuré caché à tes yeux. Oui,  des jours viendront sur toi, où tes ennemis t’environneront de retranchements, t’investiront, te presseront de toute part. Ils t’écraseront sur le sol, toi et tes enfants au milieu de toi, et ils ne laisseront pas en toi pierre sur pierre parce que tu n’as pas reconnu le temps où tu fus visitée.

The Dominus Flevit Church| Flickr - Photo Sharing!

Ce texte est souvent interprété comme l’annonce de la destruction de Jérusalem et du Temple par les Romains en 70 après Jésus-Christ, lors de la guerre de Judée, mais rien de précis dans la description des événements par Luc n’indique que l’évangéliste ait eu connaissance de cette destruction par les Romains, le texte ayant pu être écrit avant  la guerre de Judée.

Mais si la construction du sanctuaire a popularisé l’expression Dominus Flevit, celle-ci n’est pas sans susciter des interrogations. Autrefois, ce récit évangélique était plus connu en reprenant directement l’expression latine « Flevit super illam », sans pour autant appartenir aux passages les plus commentés ou représentés dans l’iconographie chrétienne qui privilégie l’entrée acclamée du Christ dans Jérusalem. Les tableaux de la scène Dominus flevit ne semblent pas fréquents mais plutôt de tradition récente, et de peintres souvent secondaires comme Simonet.

File:Enrique Simonet - Flevit super illam - 1892.jpg

Flevit Super Illam, Enrique Simonet, 1892, musée de Malaga

En construisant ce sanctuaire, Les Franciscains, ordre d’humilité par excellence, et donc Rome, n’auraient-ils pas cherché après-guerre à ce que l’entrée glorieuse du Christ dans Jérusalem  prenne une nouvelle signification à travers le rappel des larmes versées par le Christ ce jour-là, ce qui le rend plus humain encore au moment où s’annonce la Passion, c’est d’autant plus possible que les larmes du Christ portent sur la destruction de Jérusalem, et que la construction du sanctuaire intervient moins de dix ans après la tentative hitlérienne d’extermination du peuple juif en Europe qui a conduit à la renaissance en 1948 de la nation juive avec la création de l’Etat d’Israël ; alors les paroles de l’Evangile prennent un sens nouveau en ce que les larmes du Christ sont toujours aussi actuelles, portant moins sur la destruction historique des deux temples de Jérusalem qui est de l’ordre du passé, que sur la destruction du peuple juif en Europe qui vient hélas d’intervenir, et plus encore, pour nous qui sommes vivants, sur les risques encourus si le message de paix, hélas, demeure caché, alors que la guerre de 1948 a engendré malheur, destruction et nouvel exode, incompréhension et haines sourdes et retentissantes qui demeurent et persistent jusqu’à nos jours. Et ces motifs actuels de pleurer vont bien au-delà de la seule Jérusalem, les larmes coulent sur tout le proche et moyen orient à feu et à sang, au milieu des villes immolées et des ruines renversées où errent femmes et enfants captifs des destructions.

Toujours est-il, que l’oracle délivré alors par Jésus est nourri par l’évangéliste Luc, de nombreuses réminiscences bibliques tirées d’Isaïe, Jérémie, Ezéchiel, Osée, Nahum, sans oublier le célèbre psaume 137, ballade de l’exilé :

Au bord des fleuves de Babylone,

nous étions assis et pleurions,

nous souvenant de Sion

aux peupliers d’alentour

nous avions perdu nos harpes. 

  Rembrandt Harmensz. van Rijn - Jeremiah Lamenting the Destruction of Jerusalem, (c. 1630)

Jérémie se lamente de la destruction de Jérusalem, Rembrandt van Rijn, vers 1630

Et c’est là en ce sanctuaire, au moment de le quitter, que nous revient le génie de Racine :

Jérusalem, objet de ma douleur,

quelle main en un jour t’a ravi pour tes charmes ?

Qui changera mes yeux en deux sources de larmes

Pour pleurer ton malheur ?

Justement, un peu de Racine pour se rendre au jardin de Getshémani tout proche est une bonne idée :

Mais d’où vient que mon coeur frémit d’un saint effroi ?

Est-ce l’esprit divin qui s’empare de moi ?

C’est lui-même, il m’échauffe,  il parle, mes yeux s’ouvrent,

Et les siècles obscurs  devant moi se découvrent.

Chateaubriand a bien raison, face à Racine, nous ne sommes que vils barbouilleurs. Mais quand donc ces idiots du village de l’éducation nationale comprendront-ils que quelques vers appris de Racine, même de force, constituent le chemin le plus sûr pour connaître le français tel qu’il est et sera toujours sauf à renoncer au français ? En plus, il faut commencer tout jeune à se prémunir d’Alzheimer, n’est-ce pas ce que conseille nos doctes médecins ? 🙂

Athalie interrogeant Joas, ignorant qu’il est son petit-fils, peinture de Charles-Antoine Coypel, XVIIIème siècle